Publié le 3 Feb 2018 - 22:27
PAPE AMADOU SECK SUR L’EXECUTION DE TABARA SAMB EN GAMBIE

‘‘Ma mère n’a pas tué, elle a été accusée de meurtre’’

 

Après l’article de Libération lundi dernier, le fils aîné de Tabara Samb jette un pavé dans la mare et appelle les nouvelles autorités à ne pas laisser la piste du jugement de Yaya Jammeh se refroidir. Pape Amadou Seck réhabilite sa mère et déplore le statisme dans ce dossier, alors que ses deux frères, son père et lui, souffrent chacun à sa manière des conséquences de l’exécution.

 

Les dernières informations font état d’une exécution plus atroce que prévue de votre mère…

On n’a que de la désolation car quand on a vu l’article et les conditions dans lesquelles Tabara a été tuée, c’est une douleur innommable qui se recrée. C’était presque tombé dans l’oubli. Quand cette affaire a été publiée, ce n’est jamais vraiment agréable quand on retourne le couteau dans la plaie, mais elle a eu le mérite de faire renaître l’espoir dans la famille pour que justice soit rendue à Tabara Samb. Au-delà de la douleur qui nous a submergés en 2012, nous étions très intrigués, et nous n’étions pas les seuls. La question qu’on se posait tous, c’est à quel moment, et dans quel endroit Yaya Jammeh a-t-il pu bien faire sa sale besogne ?

Vous n’aviez pas de précisions ou de notifications des autorités gambiennes après l’exécution de la sentence ?

Jusqu’à présent, on n’en sait rien. Sous le règne de Jammeh, on n’avait naturellement aucune information, donc aucune idée sur ce qui s’est passé. Mais avec l’accession du président Adama Barrow au pouvoir, les enquêtes qui s’en sont suivies donnent une idée  plus ou moins exacte sur comment tous ces condamnés ont été exécutés et où ils ont été enterrés. Il est temps d’agir. Si les corps, dont celui de  ma mère, peuvent être récupérés, qu’on les rendre aux familles pour qu’elles puissent  faire leur deuil. Sinon, on s’en remet à Dieu. Mais le plus important c’est que Yahya Jammeh soit traduit devant la Justice. J’en appelle aux organisations de défense de droits de l’Homme comme Article 19 ou Amnesty International pour que justice soit faite. On ne doute même pas du fait qu’il sera attrait devant la barre. Hissein Habré a servi de leçon. Si c’est ce dernier qui a été jugé ainsi que d’autres dictateurs, il serait incompréhensible que Yahya ne le soit pas.

Vous seriez prêts à vous constituer contre lui ?

Mais bien sûr !  Mais il faut nécessairement l’appui des pouvoirs publics car c’est une affaire d’Etat. Depuis qu’une rencontre a été décidée avec l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye,  dont son directeur de cabinet nous avait donné des assurances fermes, nous ne sentons plus l’Etat à nos côtés. A deux reprises, je eu à le saisir par lettre. Il a bien eu l’amabilité de répondre pour dire que le dossier était en cours. Mais du moment que c’est en cours comme il dit, c’est la continuité qui prévaut. Le nouveau n’a qu’à s’activer pour que justice soit faite. Je mets de côté le cas de Tabara Samb, mais des Sénégalais ont été exécutés.

Il y a également Djibril Niang qui a été exécuté et dont on parle peu, dont on ne parle absolument pas je dirais même. Lui aussi est sénégalais et il a été tué comme ça, sans autre forme de procès. On n’entend même pas sa famille. En tout cas, nous n’avons pas reçu de messages de réconfort depuis et quand on saisit les autorités, elles nous disent qu’elles doivent d’abord y voir clair avant de poser un acte quelconque. Le nouveau ministre des Affaires étrangères aurait dû venir vers nous. Le dossier est toujours au ministère, je présume qu’il a déjà dû en prendre connaissance depuis septembre 2017. Je suis toujours en contact avec certains agents du Maese, mais Me Sidiki Kaba doit venir nous édifier si elle a été retrouvée et  dans quelles conditions.

Votre mère a été accusée de meurtre…

Il faut que les gens arrêtent de dire que Tabara Samb a commis un meurtre. La vérité, c’est qu’elle a été accusée de meurtre. C’est Yahya Jammeh qui a tué Ibrahima Inyass (Ndlr : son mari gambien). Les agents de Yahya Jammeh l’ont trouvé à l’hôpital de Banjul pour lui administrer une piqure d’une substance inconnue pour ensuite faire porter le chapeau à Tabara. Tout le monde savait que le dictateur gambien avait une haine viscérale envers les autorités sénégalaises et n’a pas trouvé un moyen autre que de se venger sur les Sénégalais vivant en Gambie. Il y a anguille sous roche.

C’est un crime d’Etat si on peut dire. Tous ceux qui la connaissaient savent très bien que c’était une personne bien. Nous prions pour le repos de son âme ainsi que celle de son mari. Ils s’aimaient. Les enquêtes, pour peu qu’elles soient approfondies, le démontreront facilement. Yahya Jammeh a tué trop de gens. Est-ce vous avez vu la jubilation quand il a été chassé du pouvoir. Tabara n’était pas du genre colérique ni sadique, elle n’a pas pu se permettre de faire cela. C’est ironique que la diplomatie n’ait pu régler son problème alors qu’elle a été pendant longtemps sous la tutelle de son regretté grand frère ambassadeur, Amadou Bator Samb.

On a beaucoup parlé de ses trois enfants qui ont perdu leur mère. Six ans après, comment arrivez-vous à reconstituer vos vies ?

Ma mère Tabara Samb était une grande dame de valeur dont la mort a complètement détruit la vie de ses trois enfants. Ils sont tous ici au Sénégal, chacun en proie à ses traumatismes. Moi je travaillais dans la mine d’or de Sabodala, mais depuis, je n’arrive plus à trouver, ni à garder un emploi stable. Je suis bachelier mais depuis cet évènement, je n’arrive plus à avoir quoi que soit. Mon puîné était à la police, il a été radié parce qu’il était traumatisé. Il est à la maison, instable, après 12 ans d’exercice à la police. Je ne sais pas trop pour quel motif, mais je pense que c’était à cause d’indiscipline. En fait, ses problèmes ont commencé avec les menaces d’exécution qui planaient sur notre mère. Il a été détaché pour la surveillance de plusieurs autorités du régime libéral dont Farba Senghor.

A l’exécution de la sentence, il était de faction chez Mbaye Jacques Diop qui nous a vraiment soutenus. Mis à part lui, nous n’avons pas vraiment senti l’aide des autorités. Quant à mon autre petit frère Babacar qui est dans l’armée, il était à  Bango quand la nouvelle est tombée. C’est par la suite qu’il a été muté en Casamance pour deux ans de durée légale. Mais lui, ça va plutôt bien, il tient bien le choc. Mais en tout, le président de la République n’a  pas écouté les enfants de Tabara Samb qui demandent que justice soit faite. Nous sommes ici avec notre père à Tivaouane. Il ne nous reste plus que l’affection paternelle comme réconfort et comme moyen de reconstituer cette famille déchirée. C’est notre seul soutien psychologique. Il ne veut même pas qu’on aborde le dossier. Il dit toujours qu’il s’en remet au Bon Dieu, Dieu est le meilleur des justiciers. Il nous dit tout le temps que quand tout le monde partage ta douleur, point besoin de s’épancher en paroles.

 

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