Les Sénégalais étalent leurs états d'âme
L'onde de choc qu'a été le très faible taux de participation aux législatives de dimanche s'explique d'une certaine manière. Et ce sont les électeurs potentiels qui se chargent d'éclairer la lanterne des experts.
MICRO-TROTTOIR RÉALISÉ PAR MATEL BOCOUM
Baye Sall (30 ans, Technicien ascenseur)
«Je n'ai pas jugé utile de voter car depuis que j'ai deux ans, je vois les mêmes têtes qui ne vivent que de débats stériles. Ils excellent dans le dilatoire. Depuis des années qu'ils occupent le devant de la scène politique, ils n'ont insufflé aucun changement dans la vie des citoyens. Je ne crois pas en eux. C'est perdre du temps que de chercher à leur attribuer d'autres pouvoirs.»
Abdoulaye Niasse (35 ans, commercial en informatique)
«L'essentiel pour moi, c'était de mettre fin au régime libéral qui a porté d'énormes préjudices au peuple sénégalais. Vu que Wade et son équipe sont partis, il nous faut maintenant respirer un peu. On savoure encore cette victoire, raison pour laquelle on n'a pas senti l'urgence de voter. Il s'y ajoute aussi, que c'est une tradition chez nous, la majorité est toujours acquise par la mouvance présidentielle. Il fallait s'y attendre. Pourquoi perdre son temps ?»
Elimane Niang (Courtier au Building administratif)
«Je n'ai pas voté à cause d'un retard accusé au niveau de mon bureau de vote. Il me fallait parcourir des km pour sacrifier à ce devoir civique. Mais je déplore le taux d'abstention des Sénégalais qui sont complètement passés à côté. Car j'estime que si on veut combattre une cause, on doit aller jusqu'au bout de sa logique. Un vote massif aurait répondu aux attentes du peuple.»
Guila Khouma (Agent ministère de l'Environnement)
«Tous les politiques se valent. Ils ne sont obnubilés que par leurs intérêts crypto-personnels. Rien d'autre. Ceux qui font du bruit au sein de l'opposition ne cherchent qu'à glisser des peaux de banane au nouveau régime. Ils s'inscrivent toujours dans une dynamique électoraliste. Le devenir du peuple ne les préoccupe pas.»
Vieux Soulèye Diallo (Stagiaire à la banque Uba)
«Je n'ai pu m'acquitter de mon devoir civique, car je dois voter normalement dans la région de Fatick. Mon nouveau boulot à Dakar ne m'offrait pas ce privilège. Le boulot est mon gagne-pain. Il est prioritaire.»
Moustapha Seck (Jeune documentaliste)
«Je suis un retraité électoral. Comme d'autres, je suis dépité par le grand déphasage entre les agissements des classes politique et intellectuelle par rapport au vécu des populations. Ils doivent définir les attentes du peuple de manière claire et précise et établir un système de juste rémunération en termes d'amélioration, d'éducation, de bien-être, de santé... On produit énormément de richesses dans ce pays. D'ici là, on s'abstiendra de voter pour offrir, à ces députés, de bonnes conditions d'existence.»
Babacar Charles Ciss (Membre AFP)
«J'ai été écœuré par le comportement de Moustapha Cissé Lô. Il est tombé si bas en critiquant, notre candidat Moustapha Niasse, leader de la coalition Bokk Yaakaar dont il est membre. Je me suis abstenu de voter à cause de lui. Je ne peux comprendre qu'on soit dans une coalition et se permettre de critiquer d'autres alliés. Son attitude nous fait peur quant à l'avenir même de cette coalition. Je doute qu'il y ait entente au sein de ce mouvement. Je dois avouer que je serai étonné de voir Benno tenir sur deux ans. Je crains que les différents leaders ne soient perdus par leurs grandes ambitions.»
Aïda Guèye (Commerçante)
«Pourquoi les Sénégalais iraient-ils voter en masse ? Ils ont toujours été déçus par les dirigeants. Au moment où de grandes bâtisses poussent comme des champignons dans ce pays, les structures sanitaires souffrent de tous les maux au détriment des pauvres citoyens. Par exemple, il n'y a qu'un seul scanner à la clinique Moussa Diop de l'hôpital Fann, ce depuis les indépendances. L'eau est une denrée rare dans cette clinique. Où sont nos milliards de francs Cfa ? Des responsables de famille ont toutes les peines du monde pour faire soigner leur famille. Voter pour qui ? Des hommes qui n'ont cure de la politique sociale...?»
Nafi Fall (Ménagère, «abonnée au banc jaaxle» non loin du Building administratif)
«Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. On est dépités, on se rend compte que tous les hommes politiques se valent. On nous a annoncé une réduction du prix du riz et de certaines denrées de première nécessité, il s'est trouvé que c'était du bluff. Pourquoi se sacrifier pour ces politiques ? Ils ont démontré à l'envi que leur seul souci est de récolter des dividendes et vivre dans le luxe. On croise les bras et on leur laisse le terrain politique. Que Macky Sall qui a polarisé l'espoir d'un peuple, évite d'être l'otage de son entourage et mette l'accent sur la politique sociale. La souffrance des Sénégalais est intenable.»
Serigne Mbaye (Émigré au chômage depuis son retour de Turquie)
«Je suis de Keur Madiabel dont la plupart des ressortissants occupent des postes stratégiques ou sont des ministres. Mais ils n'ont rien réalisé dans leur contrée malgré les richesses qu'ils ont amassées. Nous sommes sidérés mais nous osons espérer que l'Etat saura s'attaquer à la cherté du coût de la vie et au prix exorbitant du loyer qui étouffe les Sénégalais. De nos jours, on nous impose de payer trois mois de caution pour une location. Tant que ces problèmes majeurs ne seront pas résolus, le peuple continuera à se désintéresser de la chose politique.»
Arame Tine 22 ans (Domestique)
«Pour donner un coup de pouce à nos parents, nous sommes obligés d'exercer toutes sortes de métier et parfois, nous courrons derrière des mois sans salaire. Les autorités ne se soucient pas de nous. Nous avons estimé que la meilleure réplique, c'est de mettre une croix sur les politiques. Je m'étais rendue le jour du vote à l'intérieur du pays pour régler des choses plus importantes que le vote.»
Dave Tandian (Journaliste)
«Si je n'ai pas voté, c'est parce que je n'ai pu me rendre dans la région de Thiès où je suis inscrit. Ce, à cause d'une mauvaise communication sur la délivrance des cartes d'électeurs. Il s'y ajoute que je suis très déçu par le nouveau régime qui, en trois mois, a fait pire que Wade avec ses promesses non tenues de baisse des prix de certains produits de consommation... Les politiciens ne changeront jamais. Pour les avoir fréquentés, je puis vous dire qu'ils ont plusieurs facettes de circonstances et ne peuvent convaincre que les analphabètes....»