La tyrannie du ''sukarou kor''
Bien lointaine l'époque où ''le sukarou kor'' renvoyait à un don en sucre. Il symbolisait un geste de solidarité à l’endroit des parents ou de la belle-famille en vue de les aider à supporter les fortes dépenses en sucre occasionnées par le mois béni de ramadan. Seulement, cette pratique a fini par épouser, au fil des ans, d’autres formes....
''Le sukarou kor'' est devenu, pour certains, un moyen d’entretenir, à grands frais, leur réputation. ''Personnellement, je fais, chaque année, des épargnes, pour le sukarou kor. Mes parents cotisent aussi pour que je sois bien vue par la belle famille. Mon mari ne me donne qu'une faible participation. Il estime que c’est du gaspillage''. Ces mots sont de Mme Ndiaye, une jeune dame qui s’est reconvertie dans le commerce. Elle est titulaire d’un Dess en management. Elle attache, comme des milliers de Sénégalaises, une grande importance à cette pratique qui permet de démontrer, outre une générosité de cœur, sa force de frappe à la belle-famille et particulièrement aux belles-sœurs enclines à la critique facile.
Mme Ndiaye sert tout un festin à Dame belle-mère et famille en ce mois de ramadan. ''Je me permets de cuisiner soit un bon michoui, soit des poulets grillés, chaque année. J’y ajoute un ''thioub'' de grande valeur pour ma belle-mère et des ''woodin'' pour mes belles-sœurs''. Les cadeaux ne s’arrêtent pas là. ''Mes beaux-parents ont chacun droit à 50 000f. Pour les oncles et tantes, c’est chacun 10 000 F''. Cette profusion de dépenses est loin d’être un fardeau pour la jeune commerçante.
Le sukarou kor représente, pour elle, une façon d’exiger un respect, mais aussi de clouer au pilori des belles-sœurs, qui seraient cupides sur les bords. Bénéficie-t-elle pour autant des attentions particulières de sa belle-famille ? Elle lance tout de go. ''Ils sont souvent des ingrats. Quand tu sors les gros moyens pour leur faire plaisir, ils te sourient, mais je sais qu’ils seront les premiers à nous donner un coup de poignard dans le dos''. Contrairement à certaines femmes, Mme Ndiaye est allergique à la tendance. Elle ne mise pas sur les paniers bien agrémentés offerts en guise de ''sukarou kor''. ''J’essaie toujours de faire preuve d’originalité'', lâche t-elle.
Des paniers bien garnis quand même......
Au fil des ans, les sucres en morceaux se sont transformés en tissus de valeur (''ganila'', ''bazin''), ou encore en méchoui ou en délicieux plats de poulets braisés. Si des femmes font preuve d'une générosité débordante, d'autres essaient de ne pas dépasser les limites du raisonnable. ''J'aime faire plaisir à mes proches durant ce mois béni, mais je ne suis pas dans ces folies'', confie Mme Faye, une fonctionnaire de l'État qui cherche à faire dans l'innovation chaque année pour ravir sa tante maternelle. Et la meilleure formule, pour elle, se trouve dans le panier ramadan.
Une corbeille bien décorée qui concentre des produits de consommation nécessaires à une rupture de jeûne tout en délices. ''C'est pratique et très classe'', confie notre interlocutrice.
Quand bon nombre de femmes préfèrent passer des commandes en ce mois de ramadan ou s'approvisionner dans les supermarchés, Mme Faye se charge de décorer sa corbeille. Elle la remplit de sachets de lait en poudre, de tablettes de beurre, de fromages gruyère, de saucisses, de dattes, de chocolat, de confiture, de café, pour ne citer que ceux-là. ''Je me retrouve au finish avec un joli panier bien emballé. J'achète le panier au marché kermel. J'y rajoute aussi de la pâtisserie. Mais je ne cherche pas à faire du tape à l’œil, mais c'est une marque de reconnaissance envers ma tutrice''.
''14 ans que je respecte ce rituel''
Les paniers du ramadan sont, en fait, très à la mode avec des prix allant de 10 000 à 30 000, ils ont permis à bon nombre de Sénégalaises d'économiser de l'énergie et des sous. ''Je n'ai plus besoin de cuisiner pour ma belle-famille, depuis que j'ai découvert cette formule'', confie Salimata Kane, une commerciale. Les plus chanceuses se contentent des paniers offerts dans leur entreprise ''combinés'' à ceux du mari, et le tour est joué... Bineta Touré est une universitaire qui accorde, comme d'autres femmes, grand intérêt au ''sukarou kor''. ''Tant que cela reste symbolique et a pour but de raffermir les liens sincères plutôt que de corrompre, je suis partante, car nous avons nos traditions. Je trouve que c'est un geste plein de sens, dans la mesure où les gens en comprennent la portée''.
Elle, aussi, porte son choix sur les paniers ramadan non sans apporter une précision de taille. ''j'achète toujours ceux qui coûtent 30 000 F que j'accompagne avec un plat copieux pour mes beaux-parents et mes parents. Je suis à la limite primitive, je n'aime pas le voyez-vous. Je casque en fonction de mes moyens''. Elle estime que ces dépenses ne sont pas de trop. ''Cela a toujours été une tradition chez nous. Je trouve que c'est acceptable, une fois par année, pour une femme qui travaille. Cela fait 14 ans que je respecte ce rituel. Je fais la cuisine pour tout le monde. J'offre des dattes, du sirop, des petits fours, et c'est tout....''
Ce au grand plaisir des bénéficiaires et au détriment de celles qui n'ont pas les moyens de dégainer l'artillerie lourde pour dame belle-mère et autres parents très portés sur ces cadeaux de valeur.
Le « poison » dans le couple
Par ailleurs, le ''soukarou kor'' se révèle souvent être une pomme de discorde dans les ménages. Il arrive que l'époux refuse à son épouse un soutien financier pour lui permettre de se hisser au même niveau des belles-sœurs qui disposent d'une force de frappe financière. Dans ces cas de figure, l'époux qui a du mal à joindre les deux bouts, en raison de ses nombreuses charges financières, finit par placer son épouse dans l'embarras. De jeunes couples en sont arrivés aux mains.
Et dans certains foyers, cette pratique a fini par aiguiser une rivalité féroce. Pour l'avoir vécu pendant des années, Alassane, un fonctionnaire qui a trouvé une nouvelle planque dans les Ong, a depuis deux ans, le sommeil moins perturbé. ''J'essaie de couvrir les besoins exprimés par ma femme, pourvu que cela ne dépasse pas 200 000 F.''
MATEL BOCOUM