Où va Macky Sall ?
Quatre mois après sa prestation de serment, le président de la République donne l'impression de chercher ses marques alors que les urgences sont cassantes. À ses côtés, le Premier ministre se révèle un vrai handicap, perdu entre la complexité de sa mission et l'immobilisme du banquier qu'il sera toujours. Pour tous deux, l'état de grâce est presque arrivé à son terme.
Où va Macky Sall ? Sait-il seulement où il va ? Y va-t-il avec le bon groupe de performance que requièrent les urgences sénégalaises de l'heure et de l'avenir ? Quatre mois pile après le départ d'Abdoulaye Wade, nous sommes en droit (et en devoir, surtout) de nous interroger sur le bilan du nouveau (et déjà ancien) chef de l'Etat au regard de la vision qu'il a déclinée en campagne électorale ; mais aussi sur l'action de son Premier ministre et de son gouvernement face à des obligations incompressibles. La photographie des deux maillons de l'Exécutif renseigne sur «l'état clinique» global du pouvoir issu des urnes du 25 mars 2012.
Macky Sall, des capacités en question
Aujourd'hui, le repère essentiel du gouvernement, c'est la satisfaction de la promesse phare de Macky Sall : la baisse des prix de certaines denrées de première nécessité. C'est indéniable même si on peut trouver à en dire. Socialement populaire, la mesure est donc politiquement efficace. Elle est ainsi devenue l'emblème de la présidence Sall. Son mantra. Mais après ? Après, c'est des interrogations à n'en plus finir, mais légitimes. Après, c'est des inquiétudes sur la solidité du cap tracé. Après, c'est des doutes sur la rupture promise... Avant, c'était le feuilleton autour de la présidence de l'Assemblée nationale, un sociodrame dont on se demande a posteriori avec quel couleur de fil il a été cousu. Avant encore, c'était le psychodrame sur la durée du mandat présidentiel.
Aujourd'hui, face au danger de l'auto-brouillage de l'action gouvernementale, il semble indispensable que le président de la République monte au créneau, d'une manière ou d'une autre, pour répondre aux inquiétudes affirmées et de plus en plus précises des Sénégalais. Les appréhensions portent sur les capacités intrinsèques de Macky Sall à rendre opérationnels ses grands chantiers politiques, économiques, sociaux... Ce doute découle logiquement du rythme et de la méthode par lesquels les dossiers politiques et sociaux sont en train d'être pris en charge par le gouvernement. Les tâtonnements sont plus que perceptibles, et le chef de l'Etat, censé devoir fixer un cap, est un peu trop discret. Il semble absent, comme s'il avait délégué un peu trop de prérogatives pour ne pas se mouiller directement. Cette posture, quoique reposante, ne renvoie pas à l'opinion l'image du capitaine à la tête de ses troupes en zones de turbulences. Comme si l'obsession de ne pas être pris en faute en public commandait cette discrétion qui n'atteint pas cependant les limites de la désertion. Macky Sall se surprotège-t-il face aux rancœurs naissantes des électeurs du 25 mars ? Quatre mois après sa prestation de serment, il se cherche encore. D'où la cacophonie sur les audits, les biens mal acquis, les rétro-pédalages, les réglages...
Un PM structurellement poreux aux conflits d'intérêts
L'autre coupable du système est le Premier ministre Abdoul Mbaye. Dans un duo d'Exécutif où il est incapable de présenter sa Déclaration de politique générale (DPG) après quatre mois d'activités, trois scénarios sont possibles pour expliquer cet immobilisme : il existe soit des indices de crise entre le Président et lui mais à un degré encore acceptable ; soit une crise effective sous forme de divergences tactiques liées à de grands dossiers d'Etat ; soit un horizon de crise dû à des contradictions stratégiques insurmontables. Dans le premier cas, et en présence de deux responsables dépourvus d'un socle politique historique commun, mais liés par un principe hiérarchique, la cohabitation se fera inéluctablement à coup de compromis par étape. Mais pour le reste, le chef de l'Etat gagnerait du temps à se séparer d'un Premier ministre qui va finir par lui empoisonner une première année de présidence que l'on espérait tonitruante, éclairée et efficace. Mais tout cela n'est pas surprenant au regard des états de services et du carnet d'adresses de M. Mbaye. C'est un financier structurellement ouvert aux conflits d'intérêts qui a été placé au cœur de l'Etat. Le président de la République ne pouvait l'ignorer ! Propulser un tel homme à la tête d'un gouvernement d'urgences a été la meilleure façon d'impulser un rythme de tortue au pays. A moins que la prudence soit dictée par le chef lui-même.
Distorsion dans les temps
En réalité, Abdoul Mbaye n'est pas dans le temps politique de Macky Sall. Les facteurs (sociaux et politiques) agrégés qui ont conduit à la chute de Wade ne semblent être à ses yeux qu'un magma de phénomènes populaires passagers que le rythme et la méthode du techno-banquier qu'il est doivent rendre acceptables pour le nouveau cadrage macro-économique. Il n'a jamais été «l'homme de la situation» alors que, par exemple, la Déclaration de politique générale renvoyée en septembre (et pourquoi pas au delà ?) aurait dû être cette séquence à travers laquelle les Sénégalais trouveraient réponses à des questions pressantes dont une fondamentale et irrépressible : le chronogramme de mise en œuvre de «Yoonu Yokkute», le programme présidentiel du candidat Macky Sall.
L'heure est loin d'être au désespoir, mais il se constitue au fil des jours dans l'opinion un début de lame de fond articulé autant à l'image du président élu de la République.
MOMAR DIENG