Publié le 8 Mar 2021 - 22:07
REINE ALYSSE OUMOY DIEDHIOU

Reine mère, dame de fer

 

De son vrai nom Ahan Kalidji Béatrice Diédhiou, Alysse Oumoy (la femme aux longs cils, en langue locale) est à la tête du royaume d’Oussouye, depuis août 2000. Intronisée à l’âge de 14 ans, alors qu’elle venait juste de passer son examen d’entrée en 6e, ‘’Lyssou’’, comme l’appellent ses proches, gère les affaires des 17 villages de son département, aux côtés de son époux le roi Sibilumbaï Diédhiou, dont elle est la première reine. Malgré son jeune âge, elle reste l’une des femmes les plus sollicitées de la zone. Un honneur qu’elle prend avec modestie et courtoisie.

 

Sa simplicité est la première chose qui retient l’attention, quand on rencontre, pour la première fois, la reine Alysse Oumoy Diédhiou. Loin de l’image des reines des films hollywoodiens qu’on voit dans leur cour royale entourées de leurs servantes et servants, ‘’Lyssou’’, comme l’appellent ses proches, s’occupe elle-même de ses tâches ménagères, secondée par ses proches. Aucun servant, aucune servante à sa disposition. En vraie femme diola, elle va elle-même piler son riz à la machine, se rendre aux rizières pendant l’hivernage, etc. A ses activités, s’ajoutent, les cérémonies sacrées des femmes de son royaume auxquelles elle doit obligatoirement assister et qui se terminent parfois au petit matin. A côté, il y a la réception quotidienne des hôtes et des habitants de son royaume qui viennent auprès d’elle pour des besoins personnels ou sociaux, et aussi un téléphone qui ne cesse de sonner.

‘’Gérer son foyer en même temps qu’un royaume n’est pas une chose aisée. Parce que le royaume d’Oussouye est composé de 17 villages. C’est difficile. Nous n’avons pas de budget pour le royaume. Mais Alysse Oumoy m’aide beaucoup dans la gestion. On n’a jamais eu de problèmes. Elle est vraiment brave et me soutient beaucoup. Je la remercie pour cela. Elle travaille d’arrache-pied pour le bien d’Oussouye’’, témoigne son époux, le roi Sibilumbaï Diédhiou, trouvé dans le bois sacré où il réside. 

Intronisée le 17 janvier 2000, la première reine fut officiellement lié au roi 8 mois après, précisément le 24 août de la même année, le jour où Alysse Oumoy (qui signifie la femme aux longs cils, en diola d’Oussouye) fut installée. A l’époque, Ahan Kalidji Béatrice Diédhiou, de son vrai nom, était en classe de CM2 et venait juste de passer son examen d’entrée en 6e et profitait bien de ses vacances scolaires comme tous les élèves de son âge.

‘’Quand on m’a désignée comme reine, au début, ce n’était pas évidement. Car c’est une lourde responsabilité et je n’avais que 14 ans. Je ne savais même pas qu’il y avait une histoire de choix de reine et de roi. Parce que le prédécesseur de Sibilumbaï, le roi Sibacouyane Diabone, est décédé en 1984. Alors que moi, je suis née le 28 février 1986. Dans la tradition diola, les anciens n’écrivent pas leur histoire. Le Diola ne raconte pas l’histoire de sa culture ou de ses ancêtres à ses enfants. Tant qu’on n’est pas confronté aux faits, ils ne vous expliquent pas’’, confie la reine.

Ici, on ne naît donc pas reine ou princesse. On le devient. Ce qui est loin du schéma classique.

L’absence de communication sur le choix de sa personne

Issue de la famille royale et habitant pendant son enfance juste à côté du bois sacré, Ahan Kalidji (qui signifie en diola, celle qui est au-dessus de tous les habitants de son quartier Kalidji) comme l’a surnommée son père à sa naissance, balayait pourtant sa maison et les alentours, et versait les ordures à côté du lieu sacré. Mais jamais elle n’a été informée que cet endroit servait de résidence à tous les rois de sa localité. ‘’Je ne le savais pas, jusqu’au jour où ils ont intronisé le roi Sibilumbaï en janvier 2000. Et c’est en août qu’ils m’ont intronisée à mon tour. Alors que ma grand-mère était là, avec ses coépouses. Mais aucune d’entre elles, ne m’a jamais confié que c’est dans notre famille que viendrait la prochaine reine. C’est interdit, personne n’en parle, pour ne pas que la fille boude une fois qu’un roi est désigné.  Parce que si on explique cela aux filles et qu’elles fuient au moment de leur intronisation ou avant, les fétiches vont se retourner contre la personne qui a révélé le secret. C’est pourquoi, malheureusement, je n’ai rien su et personne de ma prévenue’’, raconte Lyssou.

Surprise par le choix de ses ainés, en plus de son jeune âge, Alysse Oumoy ne comprenait rien de ce qui se passait autour d’elle. Et d’après la reine, les premiers jours n’ont pas été faciles. ‘’La première fois qu’on a dit que je devais être l’épouse du roi, je ne savais même pas ce que cela représentait. J’ai dit oui, sans même rien saisir. Pendant une semaine, je suis restée dans le flou total. Il n’y avait aucun manuscrit qui me permettait d’avoir un aperçu sur ce qui m’attendait, sur le rôle d’une reine. Il n’y avait rien. Il m’a fallu suivre différentes étapes pour savoir ce qui m’incombe en tant que reine d’Oussouye’’, narre-t-elle toute souriante.

Et comme le dit l’adage latin, ‘’la bouillante jeunesse a besoin qu'on la dirige’’, et la reine se considère chanceuse de trouver, au moment de son intronisation, deux des reines, épouses du défunt roi qu’a succédé son mari. Elles étaient encore dans la cour royale. Elle a été confiée à l’une d’elles, la reine Anssénimagne Lambal qui fut sa marraine. Sous sa tutelle jusqu’en 2010, elle a eu ses quatre enfants dans la demeure royale de celle-ci. Donc, ayant le temps d’étudier la sagesse aux côtés de cette dernière, Alysse a rejoint sa concession royale, ayant ainsi acquis le nécessaire pour gérer son foyer et son royaume. Sa marraine est décédée en 2017.

‘’J’ai été vraiment chanceuse de les trouver sur place. Ma marraine et sa coépouse m’ont beaucoup soutenue, encadrée et conseillée. Elles me demandaient de ne pas fuir et m’intimidaient en me disant que j’allais mourir si toutefois je prenais la fuite. Alors que tel n’était pas le cas. Mais étant gamine, je ne pouvais pas le deviner’’, se réjouit-elle toujours souriante.

Alysse se considérant cent fois plus chanceuse que la reine d’Essaoute, l’autre royaume situé à une dizaine de kilomètres d’Oussouye. ‘’Parce que quand on m’a intronisée à l’âge de 14 ans, j’avais deux reines à mes côtés, pendant 10 ans, avant de prendre mon envol. Mais, elle, quand elle a été intronisée en 2016, il n’y avait aucune reine à Essaoute. Donc, elle me considère comme sa marraine. Elle m’appelle au téléphone ou vient me voir à chaque fois qu’elle est préoccupée par quelque chose. On est liée. On se parle sans gêne. C’est pareil aussi pour ma coépouse, la deuxième reine’’, dit-elle.

Alysse est certes la première reine d’Oussouye, mais elle n’est pas la première femme du roi, qui avait une épouse avant son intronisation. Et à la suite d’Alysse, une autre reine a été choisie pour le roi Sibilumbaï.

L’obligation de répondre aux sollicitations de tous les membres de sa communauté

Cependant, ‘’le temps adoucit tout’’, comme le soutient Voltaire, et la reine a fini par accepter son destin et à s’habituer à son rôle. Elle ne regrette plus d’être désignée reine, car elle a su bien endosser cette responsabilité. ‘’Je me suis dit, quelque part, que c’est Dieu qui m’a choisie pour être à la tête du trône. Donc, je n’y peux rien. Je suis là, au service de tout le royaume d’Oussouye, et je dois obligatoirement répondre aux sollicitations de tous les membres de ma communauté. En tant que reine, je n’ai pas le droit de repousser un être humain, qu’il soit enfant ou adulte, de mon royaume ou un étranger. Même si je suis hyper prise, je vais bien lui parler, même si c’est pour lui demander de revenir un autre jour ou bien lui demander de me laisser son numéro de téléphone pour qu’on puisse s’entretenir’’, fait-elle savoir.

Une disponibilité qui a été aussi témoignée par Fatoumata Diédhiou, la cinquantaine, rencontrée à l’occasion d’une cérémonie des femmes d’Oussouye. ‘’Alisse Oumoy m’appelle ‘’Badiène’’ (tante maternelle) depuis toute petite. Et même après avoir été intronisée, rien n’a changé entre nous. Nous n’avons eu aucun problème avec elle. A chaque fois qu’on a un souci, on vient la voir et elle le règle discrètement. Si elle ne peut pas le faire, elle vous le dira honnêtement ou vous demandera de revenir un autre jour. Franchement, elle fait notre fierté’’, affirme notre interlocutrice. Quand elle a un hôte alors qu’elle est hors de la concession royale, la reine est obligée de revenir pour le recevoir. ‘’Je ne dis jamais à quelqu’un que je ne vais pas le recevoir. Ce n’est pas une bonne attitude et les fétiches n’accepteront pas que j’agisse ainsi. Ils ne l’acceptent pas. Même si un petit enfant se déplace, je me dois de l’écouter. Si je peux régler son problème, je le fais. Si je ne suis pas dans les disponibilités de le faire, je lui demande de revenir un autre jour’’, dit-elle.

‘’Ainsi, quand on l’appelle, elle vous répond dare-dare pour savoir ce qui se passe. Elle ne nous répond pas d’une manière désagréable. Elle est toujours souriante. Même si nous sommes ses ainées, nous nous soumettons à ses décisions. Et nous l’écoutons avec respect quand elle s’adresse à nous’’, avoue-t-elle.

Ambassadrice d’ONU Femmes pour lutter contre les mariages précoces et les mutilations génitales

Au-delà de son foyer et de son royaume, Alysse Oumoy est ambassadrice de l’Organisation des Nations Unies pour les femmes (ONU Femmes) pour lutter contre les mariages précoces et les mutilations génitales des jeunes filles. Ayant était victime de mariage précoce, elle trouve que ce sont des pratiques qui créent beaucoup de problèmes aux filles. Ainsi, elle milite aux côtés de cet organisme onusien pour que cela cesse.

‘’Nous encourageons aussi l’éducation des jeunes filles, leur scolarisation afin qu’elles puissent trouver un emploi décent et prendre soin d’elles-mêmes. Nous voulons que les mariages précoces, les violences faites aux femmes cessent vraiment. Parce que la femme est sacrée et les hommes doivent prendre soin d’elles. Ils ne doivent pas les violenter, les violer. Aujourd’hui, si je dois aller en voyage à travers le continent, c’est ONU Femmes qui s’occupe de tous les frais. Je suis allée avec eux au Nigeria, en Ethiopie, en Zambie. ONU Femmes m’a aussi invitée à Dakar pendant une semaine’’, dit-elle.

Son militantisme en faveur des femmes et des jeunes filles fait la fierté de son époux. ‘’Elle a beaucoup de relations ; elle est ouverte et disponible. Elle est aujourd’hui en train de faire le tour de l’Afrique pour apporter la bonne nouvelle et défendre les causes du royaume d’Oussouye’’, confie le roi Sibilumbaï.

Pour le développement de sa localité, la reine n’attend pas les financements de l’Etat ou des bailleurs de fonds. Les femmes de son royaume sont réunies au sein des groupements d’intérêt économique de femmes (GIE) à Oussouye. Et chacune d’elles travaille également pour son compte, pour avoir ses propres revenus. ‘’La reine œuvre beaucoup pour l’épanouissement économique des femmes de sa localité. Elle nous a trouvé une machine à moudre. Et c’est ce genre de reine dont nous avons besoin, une personne qui travaille pour son peuple, sans distinction’’, se réjouit, par ailleurs Fatoumata Diédhiou.

Autour de leur reine, ces femmes s’activent dans la transformation des produits locaux, la peinture ; elles transforment les fruits locaux en jus, etc. Elles conservent les gombos, la tomate, l’aubergine, etc., de sorte que ces légumes gardent leur fraicheur. ‘’Nous n’avons jamais reçu un financement, depuis que nous avons démarré nos activités. Alors que nous faisons régulièrement des demandes d’aide, d’appuis dans toutes les institutions dédiées. Nos demandes sont dans les tiroirs des ministères, etc. Nous n’avons reçu aucun retour. Heureusement que nous sommes des battantes. Avec ou sans l’aide financière de l’Etat ou des institutions de financement, nous menons nos activités. Heureusement, les matières premières ne coûtent pas cher. Nous profitons des périodes de campagne des produits locaux pour en acheter le maximum et les stocker pour nos activités, et les commercialisons pendant la période de pénurie’’, informe-t-elle.

En plus des GIE, la reine a aussi une association de femmes dont les membres sont disponibles à chaque fois qu’elle les appelle.

Comblée par le respect, la considération et la confiance que toutes les femmes de son royaume et son peuple en général, ont à son égard, Alysse n’en profite pas. Elle n’est pas une dictatrice. Elle ne se dit pas également que parce qu’elle est une reine, tous ses désirs sont des ordres. Non ! La royauté d’Oussouye ne fonctionne pas de la sorte. Elle a des conseillers, les membres de la cour royale, des proches à qui elle se confie, en cas de besoin. C’est après concertation avec eux qu’elle informe sa communauté. Et même ses sorties publiques sont validées par la cour. C’est pourquoi d’ailleurs, explique-t-elle, elle n’a jamais célébré officiellement le 8 Mars à Oussouye en compagnie des femmes du département. Car n’ayant jamais reçu d’invitation officielle ou même verbale de la part des organisations.

MARIAMA DIEME

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