Sorano accueille l’exposition sur Paul Robeson
Le Théâtre national Daniel Sorano accueille une exposition intitulée ‘’Paul Robeson (1898-1976) : Un homme de tout-monde’’. Elle marque le début d’une série d’activités du festival célébrant cette année le 100e anniversaire du mouvement Harlem Renaissance.
Dans le cadre de la célébration du 100e anniversaire du mouvement Harlem Renaissance, Sorano présente, jusqu’au 27 juin, l’exposition intitulée ‘’Paul Robeson (1898-1976) : Un homme de tout-monde’’. Cette dernière présente ainsi ‘’une personnalité peu connue'', ayant vécu entre New York et Londres, qui a marqué l’histoire politique et artistique du monde anglo-saxon et de l’Europe de l’Est, des années 1930 aux années 1960. Cette trajectoire individuelle est présentée, selon les concepteurs de l’exposition, ‘’par petites touches, pour évoquer des combats politiques et culturels souvent méconnus, qui ne dissociaient pas les luttes antifascistes et anticolonialistes des luttes sociales et de celles pour les droits civiques’’.
Ancien sportif et avocat, fils d’un esclave évadé, Robeson est célèbre à la fois pour sa carrière de chanteur, d’acteur et pour ses engagements politiques : soutien aux mouvements ouvriers, dénonciation du fascisme, de l’impérialisme européen, de la ségrégation raciale et de la colonisation. L’imbrication de son activisme et de ses performances en russe, yiddish, chinois en Ecosse devant des mineurs ou à Moscou devant les étudiants africains, caractérise cet ‘’homme de carrefours’’ qui, à sa manière, tente de redéfinir l’universel et qui anticipe la définition du ‘’tout-monde’’ d’Edouard Glissant.
Ainsi, les visiteurs découvrent notamment des textes de sources diverses qui sont accompagnés de photos d’illustration poignantes. Ils sont affichés sur 8 panneaux, retraçant la vie de cet homme. Les projections 1 et 2 exposent la vie ‘’sur scène’’ de Paul Robeson. Connus pour interpréter des Négros Spirituals et des chansons populaires, Paul Robeson s’inscrit aussi dans la lignée des grands concertistes africains-américains comme John Paynes (1872-1952) et Roland Hayes (1887-1977), qui menèrent d’importantes carrières internationales. Il interprète des œuvres de Moussorgski, Schubert, Bach, Beethoven, Dvorak. Ce corpus classique, a-t-on appris, lui permet parfois de transmettre des récits de luttes et de délivrances.
Lors d’un meeting de soutien aux républicains espagnols, en décembre 1937, Paul Robinson modifie certains passages de ‘’Old Man River’’, chanson mélancolique et résignée qui relate les sentiments des travailleurs noirs ségrégués sur les rives du Mississippi, pour faire du chant de résistance. Le passage ‘’Je suis fatigué et j’ai peur de mourir’’ devient ‘’Je dois continuer de me battre jusqu’à la mort’’. ‘’Old Man River’’ connaît aussi plusieurs versions en Inde, grâce à sa popularisation par le célèbre chanteur Bhupen Hazarika. Devenu ami avec Paul Robeson lors de ses études à Columbia University, entre 1949 et 1953, il adapte cette chanson en assamais, langue de l’Etat d'Assam, pour évoquer la situation des habitants démunis du bord du Gange. Dans un extrait du documentaire ‘’La bataille de la vie’’, l’on découvre que Paul Robeson a participé, en avril 1949, au premier Congrès international des partisans de la paix, Salle Pleyel, à Paris. De nombreux militants, artistes et intellectuels du monde entier, souvent communistes, y participent : Louis Aragon, Pablo Neruda, Omar Fast, W. E. B. Du Bois, etc.
L’affiche représentant une colombe, réalisée par Pablo Picasso spécialement pour cet événement, constitue la troisième projection. Ce symbole illustre aussi le disque de chanson de Paul Robeson enregistré à l’occasion. Lors de son séjour en Espagne en 1938, Robeson interprète ‘’The Four Insurgent Generals’’, une chanson républicaine espagnole devant les soldats et les populations civiles. Les quatre généraux sont les militaires antirépublicains François Franco, Emilio Mola, José Enrique Varela Iglesias et Gonzalo Queipo de Llano qui attaquèrent Madrid en 1936.
‘’De l’interprétation de ‘The Peat-Bog Soldier’, chant des prisonniers de camps de concentration de l’Allemagne hitlérienne, émane toute la ferveur de l’engagement résolu de mon père, dès 1934, à la cause antifasciste mondiale’’, disait l’homme qui est aujourd’hui célébré. Il a aussi interprété ce morceau. ‘’The Peat-Bog Soldiers’’ et le chant des marais sont les versions anglaise et française de la chanson ‘’Borgermoorlied’’, créée en 1933 au camp de Borgermoor, dans lequel le régime nazi emprisonne ses opposants politiques.
Directeur de cabinet du ministère de la Culture et de la Communication : ‘’Sorano s’honore’’
Ainsi, cette exposition qui mène dans l’univers ‘’fascisant et édifiant’’ de Robeson, ‘’met en lumière l’affirmation de l’identité noire dans l’œuvre de l’artiste éponyme, une des figures se rattachant au génie et au talent illustratif de Harlem Renaissance’’, selon le directeur de cabinet du ministère de la Culture et de la communication. ‘’C’est une immersion sublime dans toutes les expressions artistiques que la création noire a illuminées à travers le monde’’.
En effet, pour Demba Faye, Harlem Renaissance est ‘’l’affirmation altière et flamboyante de l’immortalité de l’âme’’ des ancêtres par les descendants d’esclaves noirs. Ainsi, estimant que ‘’Sorano s’honore’’ en ayant le privilège de recevoir cette exhibition qui est la restitution d’un pan de la trajectoire épique de cet homme, il salue une ‘’immersion sublime dans toutes les expressions artistiques que la création noire a illuminées dans le monde’’.
L’exposition ‘’Paul Robeson (1898-1976) : Un homme de tout-monde’’ a été, en effet, conçue par le musée Branly Jacques Chirac. Un travail dirigé surtout par son responsable de la documentation des collections, des archives scientifiques et administratives, Sarah Fridoux-Salgas. C’est à la demande du Théâtre noir de Paris, Benjamin Jules Rosette, qu’elle est mise à la disposition du Théâtre national Daniel Sorano. ‘’Ayant vu cette exposition au musée Branly de Paris, il y a quelques années, j’ai pensé tout de suite à la jeunesse sénégalaise, africaine. Depuis plus de 40 ans, je vais partout dans le monde à la découverte de la littérature négro-africaine francophone, du théâtre des Noirs, etc. Là, je déborde, je vais sur les territoires anglophones’’, explique M. Rosette.
Ainsi, à travers cette exposition, il invite la jeunesse africaine à s'inspirer de Paul Robeson. ‘’Harlem Renaissance me tient à cœur, parce que c’était le plus grand mouvement culturel, entre les deux guerres, aux Etats-Unis. Et j’ai choisi de présenter Paul Robeson, parce que son itinéraire devrait nous parler, nous servir nous Africains, mais surtout les jeunes. Dans le sens où ces derniers se trouvent dans des situations parfois dramatiques. J’ai pensé qu’en voyant l’itinéraire de cet homme, ça permettrait à la jeunesse de se dire qu’il y a du travail chez elle, et que si elle doit mourir, il vaut mieux le faire ici’’, dit-il.
Outre la présente exposition, des représentations théâtrales intra-muros et dans les établissements scolaires, des spectacles de musique et de danse sont prévus. En effet, il y aura une intervention de comédiens dans les établissements scolaires ; une exposition de livres afro-américains et pour finir, une pièce de théâtre intitulée ‘’Le Zulu’’, qui sera présentée pour la première fois au Sénégal.
Selon Benjamin Jules Rosette, ‘’il faut inciter la population à redécouvrir ce qui se passe au théâtre’’. ‘’Parce que, poursuit-il, je crois que le nouveau DG a des perspectives intéressantes. Il faut que les gens reviennent dans cet établissement de Senghor, qui représente la culture sénégalaise. Il faut le relancer avec toute l’équipe de Sorano qui s’implique’’.
BABACAR SY SEYE