Publié le 20 Apr 2021 - 03:44
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Purifier l’espace du savoir

 

Il était ‘’temps de rallumer les étoiles’’, comme l’écrivait Guillaume Apollinaire. Le vendredi 16 avril, le recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le directeur du Centre des œuvres universitaires et les représentants des étudiants se sont rencontrés pour mettre un terme aux dissensions qui sont les leurs, depuis bien avant les événements de février et dont le point d’orgue fut cet accès de violences survenues sur le campus, dans la nuit du 25 au 26 mars, et qui se solda par la mort du dénommé Ismaila Gaoussou Diémé, le 11 avril dernier, suite aux graves blessures reçues lors desdites violences.

Mercredi, le Conseil restreint de l’Assemblée de l’Ucad avait décidé de suspendre toutes les amicales des étudiants, ‘’jusqu’à nouvel ordre’’, et avait invité le directeur du Coud ‘’à procéder à la fermeture totale du campus social, jusqu’à la mise en place d’un nouveau système de gestion de la codification’’.

Il s’agissait, pour les autorités universitaires, de verrouiller les canaux aussi bien physiques que structurels par lesquels la violence estudiantine se planifiait et s’exerçait, avant de les aseptiser.

Mais une telle posture unilatérale n’aurait, à l’évidence, pas pu avoir, à court terme, autre effet que de radicaliser les antagonismes et de faire le lit de violences ultérieures.

Le bon sens commandait alors que l’on se ravisât et que l’on allumât les étoiles de la raison, en renouant le dialogue. L’espace du savoir ne pouvait rester plus longtemps un terrain de confrontations triviales sans que cela n’altérât, à terme, et la qualité de l’enseignement déjà bien mal-en-point et le niveau des apprenants, désespérément en effondrement, et, enfin, la crédibilité de l’enseignement supérieur sénégalais.

Aussi, au terme des échanges de vendredi, le recteur de l’Ucad s’est-il engagé à soumettre au Conseil restreint de l’université la levée de la suspension des amicales des étudiants et la poursuite du processus de renouvellement de ces instances ; en contrepartie, du respect des engagements pris par les étudiants, notamment, ’’accompagner le Coud dans le processus d’assainissement du campus social, identifier et expulser toute personne n’ayant pas le statut d’étudiant de l’Ucad, combattre toute forme de violence, de port ou de possession d’arme au sein de l’espace universitaire et, le cas échéant,  terminer le processus de renouvellement des bureaux des amicales dans la paix’’.

Plus précisément, les étudiants se sont engagés ’’à ne pas céder une chambre à une personne n’ayant pas le statut d’étudiant, ni à l’héberger, sous peine de sanction disciplinaire et d’expulsion du campus social ; à accompagner le Coud dans la mise en place d’un système d’identification et de contrôle au niveau des accès et des résidences universitaires’’.

Par ailleurs et substantiellement, les parties ont convenu de la mise en place d’une plateforme numérique pour la codification avec des critères essentiellement basés sur l’excellence et le mérite.

L’honneur est sauf pour les autorités académiques, qui n’ont pas cédé sur l’essentiel de ce qui fonde et formate tout espace destiné à la transmission des connaissances et aux échanges : le respect de l’altérité, la discipline, la recherche de l’excellence et le mérite.

Les évènements des jeudi 25 et vendredi 26 mars ont révélé aux étudiants eux-mêmes les terrains dangereusement glissants de permissivité sur lesquels ils évoluaient  et pour lesquels ils revendiquaient une certaine légitimité. Il s’est avéré que le défunt  Diémé n’était pas un étudiant du campus, mais qu’il y avait installé ses pénates, dans l’aise la plus totale, au point de devenir l’un des bras armés les plus agissants de l’insurrection estudiantine.

Ces chambres d’étudiants étaient donc devenues, dans une complicité estudiantine qui s’autorisait tout, avec le sentiment de toute-puissance dont elle s’était revêtue, de micro-hôtels particuliers où l’on pouvait héberger à sa guise, s’encanailler à volonté, dupliquer l’habitat personnel avec la même liberté et le même sentiment de propriété privée…

A cette faille, parmi tant d’autres, de nature disciplinaire, s’est ajoutée, au fil du temps et dans le délitement de l’atmosphère politique, la tentation ethniciste, avec ses réflexes grégaires qui ont créé au sein du même campus des territoires ethniques, virtuels et physiques. A terme, ceux-ci se sont imposés presque naturellement aux consciences et ont fatalement alimenté les surgeons de la confrontation. Il aura suffi d’une étincelle pour les libérer.

L’accord, auquel sont parvenus autorités académiques, administration sociale de l’université et étudiants, a la vertu de rappeler à tous que la volonté de dialogue est la seule réponse à la difficulté de parler. Elle révèle à tous qu’en dépit des divergences, le souci de sauver l’université est partagé par tous les protagonistes. Elle purifie l’espace du savoir en même temps qu’elle  purifie la raison, selon la belle formule du Pape émérite Benoit XVI. Elle indique, enfin, que l’université n’est qu’illusoirement un objet de manipulation entre les mains des politiques, parce que cet espace du savoir est fondamentalement éternel, comme l’est d’ailleurs toute chose qui part de l’Homme et qui va à l’Homme. Dans l’esprit pur de sa construction.

 

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