Du travail oui, mais…
Retour sur ce Conseil présidentiel sur le financement du Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion économique des jeunes, le jeudi 22 à Diamniadio. Il aura accouché grosso modo des bons vœux que l’on sait et qui font le charme de ces rencontres dont on sait, a priori, qu’elles ne changeront pas essentiellement le cours habituel des choses.
Néanmoins, le chef de l’Etat aura réussi ce tour de force de prestidigitateur, d’inséminer dans l’esprit de son auditoire, comme un surgeon d’espérance… le vague sentiment que la chose est peut-être encore possible, que des thérapies n’ont peut-être pas, jusqu’ici, été encore appliquées. Confronté à l’exceptionnelle urgence des circonstances et aux douleurs qu’elles révèlent, le président de la République trouvait peut-être, enfin, la meilleure façon de ‘’sortir le dieu de la machine’’ et de présenter des solutions réalistes et efficaces. Nietzsche nous l’a bien appris : Seul ce qui fait mal, très mal, saisit l’homme tout entier et accélère le processus d’irruption de l’esprit en lui.
Oui, car ce conseil présidentiel, si décrié avant même qu’il ait lieu, par l’opposition et par tous ceux qui ont, au fil du temps, développé un anti-mackysme systémique, a tout de même accouché de quelques points qui méritent tout au moins l’attention : la validation du Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio-économique des jeunes, Xëyu Ndaw Ñi, sous réserve de l’intégration des observations pertinentes soulevées par les participants et la finalisation dudit programme par le gouvernement avant le 30 avril 2021 ; le recrutement de 65 000 jeunes à partir du mois de mai, en veillant aux exigences d’inclusion et d’équité territoriale ; la construction, à l’échelle départementale, de centres de formation professionnelle, par le ministre chargé de la Formation professionnelle, en relation avec les ministres chargés des Finances et de l’Economie ; le relèvement du budget de la Convention Etat-Employeurs qui passe d’un milliard de F CFA à 15 milliards de F CFA par an.
Auparavant, notamment dans son allocution du 3 avril dernier, Macky Sall avait annoncé une mesure forte pour amorcer le lancinant problème de l’emploi : la réorientation budgétaire de 450 milliards de F CFA dont 150 milliards mobilisés à partir du mois prochain, pour financer le Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio-économique des jeunes.
Un début de solutions au véritable fléau que constitue le chômage au Sénégal ? Sans aucun doute, encore faudrait-il que l’application de ces mesures soit étroitement surveillée. En clair, que la plus grosse part des importantes sommes mobilisées n’arrose davantage les énormes circuits corruptionnels qui sont la tragédie de notre nation, que les parterres en jachère du monde de l’emploi !
Mais une question essentielle n’a pas figuré sur la liste des préoccupations formulées par ce conseil présidentiel et l’on peut comprendre pourquoi : c’est celle de l’éthique dans l’Administration sénégalaise, celle des codes de bonne conduite qui font la performance et l’honneur des administrations qui méritent d’en porter le nom. Les jeunes veulent de l’emploi ; mais une fois qu’ils l’ont, désinvolture, arrogance, négligence et corruption deviennent les principes directeurs de leur action. Au fil du temps, l’Administration publique et même privée, sénégalaise, s’est désagrégée sous l’impact du vide éthique, du poids du désert de conscience. A tous ces jeunes demandeurs d’emploi avec tant d’exigences, il eût été de bon ton de souligner aussi cela, même en marge de ces assises dont on comprend les objectifs pratiques.
L’ancien gouverneur de Dakar, Mamadou Sall, qui parrainait, samedi, la remise de certificat à deux promotions de quarante récipiendaires formés à l’institut Thales, cet institut privé de recherches, d’études politiques et stratégies qui délivre des diplômes en protocole, diplomatie, intelligence économique, entre autres, a insisté sur cette dimension qui semble être l’enfant pauvre des réflexions nationales sur le travail et le service public au Sénégal : ‘’La formation ne suffit pas. Il faut avoir des ambitions pour valoriser ce diplôme. Et pour cela, il faut que vous ayez un comportement nouveau par rapport aux défis auxquels les pays africains sont confrontés. Je vous exhorte à avoir un comportement éthique’’.
Suffisant pour comprendre que l’inquiétude mérite d’être partagée. Comme ils semblent bien loin de nous ces dignes serviteurs que Mamadou Sall n’aura pas manqué de citer et dont il a salué l’exceptionnelle conscience au service du Sénégal : le juge Kéba Mbaye, le commissaire divisionnaire Kémo Sané et le défunt chef du protocole du président de la République, pour ne citer que ceux-là !
Dans une société où seule la satisfaction des besoins individuels prime sur l’image, la réputation et les valeurs essentielles qui fondent toute société et la rendent vivable pour tous, il est crucial de s’interroger et de rappeler les codes salvateurs.
L’exercice de communication plutôt réussi du chef de l’Etat, en ceci qu’il a donné comme l’illusion d’une rédemption possible, a manqué à ce devoir de rappel éthique, indispensable à une jeunesse qui ne jure que par l’acquisition de biens matériels et de plaisirs vains.
Le Sénégal compte 17 millions de jeunes dont 60 % sont des jeunes de moins de 25 ans. Dans un contexte bousculé par toutes sortes d’urgence où ils sont plus appelés à négocier l’instant que la durée, il était utile de leur parler de conscience.