Un dialogue pour imprimer un nouveau souffle au fonds
Un Forum national sur le Fonds de développement des cultures urbaines a été organisé, hier, par la structure Optimiste Produktions et l’association Urban Culture Consulting. Une rencontre au cours de laquelle les intervenants ont analysé les impacts du fonds et proposé des solutions pour une meilleure orientation.
Afin d’apporter des éclairages et des suggestions sur les mécanismes d’allocation du Fonds de développement des cultures urbaines dont le fonctionnement a occasionné des incompréhensions chez certains des acteurs et animateurs, la structure Optimiste Produktions et l’association Urban Culture Consulting ont initié, hier, au Monument de la Renaissance africaine, un forum national. Une occasion pour les différents acteurs concernés de dégager des pistes de réflexion pour l’établissement de mesures adéquates en phase avec la politique culturelle de l’Etat pour un impact durable auprès des bénéficiaires de ce fonds.
‘’Ce forum est l’initiative de Safouane Pindra. La question centrale, c’est vraiment comment améliorer le fonctionnement du Fonds de développement des cultures urbaines qui a été mis en place par le chef de l’Etat en 2017. Cette première session n’est pas un procès contre la Direction des arts, ni certains acteurs, mais c’est juste pour construire, car le chantier est vaste’’, a précisé le modérateur de cette rencontre, par ailleurs administrateur de la Maison des cultures urbaines de Ouakam, Amadou Fall Ba.
Les échanges ont tourné autour de quelques points principaux. Le premier aspect concerne l’exigence d’une structuration. Il est, en effet, exigé aux associations et organisations spécialisées dans le secteur, porteuses de projet, d’avoir une existence légale et juridique pour pouvoir bénéficier de ce fonds. Pour certains artistes qui demandent la réduction de la ‘’lourdeur administrative’’, c’est trop demander. ‘’Nous sommes des artistes, on doit se concentrer sur la création d’œuvres artistiques. Nous n’avons même pas le temps d'écrire un bon projet à proposer. Et il n’est pas donné à tout le monde d’être artiste et entrepreneur en même temps’’, a lancé la rappeuse Fatim. D’autres ont défendu le contraire.
Pour ces derniers, dorénavant, il faut même aller au-delà et essayer de construire une industrie des cultures urbaines avec l’émergence d’entreprises, de transformer la passion en profession. D’ailleurs, dans ce sens, le rappeur old school Maxy Crazy a indiqué qu’il faut privilégier les projets qui peuvent se fédérer et qui ont un impact socio-économique, notamment dans les régions.
En tout cas, sur ce point, la directrice des Arts, Khoudia Diagne, s'est voulu claire : on ne peut pas se passer de la structuration. Elle invite les artistes à s’entourer de personnes ressources. ‘’Il faut que l’artiste trouve une équipe à qui il délègue certaines tâches. Il lui faut des gens qui l’épaulent et l’aident à gérer tout ce qui est marketing par exemple. Cela va lui permettre de se concentrer sur son art, parce que la qualité de son produit est importante’’. Malgré tout, a-t-elle informé, des sessions de formation dans les régions sont prévues. Des experts vont initier les jeunes à l’écriture de projets. Cela va permettre, peut-être, de résorber une bonne fois pour toutes cet écueil. D’ailleurs, en début de semaine prochaine, Kolda et Vélingara ouvriront le bal. Les premières séances de formation s’y tiendront. Les formations sont animées par des experts habitant les régions ciblées.
Une autre question soulevée est celle liée à la transparence de la gestion du fonds alloué. Les bénéficiaires sont invités à rendre compte, en faisant des rapports d’activité et autres.
Mais certains jugent que ce n’est pas suffisant. Il faut un peu plus. Ainsi, suggèrent-ils, il faut des missions d’audit. Dans ce sens, une évaluation s’impose. La directrice des Arts a annoncé que ce forum national est comme un prélude à ladite évaluation. En effet, informe-t-elle, ses services avaient décidé de procéder à cette évaluation tant demandée. Cela s’impose d’ailleurs. Le FDCU a 5 ans. Il est temps de voir ce qui a été fait avec l’argent distribué aux uns et aux autres.
Si d’aucuns ont dénoncé le fait que des gens peu méritantes ou pas légitimes reçoivent de l’argent du FDCU, d’autres sont préoccupés par le sort des couches dites vulnérables. Ils ont, dans ce cadre, plaidé pour une discrimination positive à l’égard des femmes et des personnes en situation de handicap.
En outre, les artistes et acteurs culturels ont profité de l’occasion pour souligner le manque d’infrastructures et de matériel de sonorisation dans les régions, et ont demandé la généralisation de maisons des cultures urbaines. ‘’Le combat est bien porté par les gens que vous avez mandatés. Ils ont fait la proposition au président de la République pour que dans chaque département du pays, les artistes puissent avoir leur matériel de sonorisation. Sur ce point, les choses avancent’’, a rassuré Khoudia Diagne.
Par rapport aux maisons des cultures urbaines, elle informe que le ministère de la Culture et de la Communication travaille avec le département de la Jeunesse sur cette question. ‘’Le président de la République a décidé de créer des maisons de la jeunesse et de la citoyenneté (MJC) dans tous les départements. La proposition du secteur de la culture, c’est qu’au sein de ces MJC, qu'il y ait des espaces dédiés aux cultures urbaines. Les gens sont en train de réfléchir à comment multiplier les initiatives’’, a-t-elle fait savoir.
Selon Mme Diagne, le FCDU se positionne ‘’comme le Fopica (Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle) et le Fonds d’aide à l’édition, comme un outil innovant et structurant de la politique de financement de la culture dans notre pays’’. Elle soutient qu’en cinq ans d’existence, le FDCU a pris en charge les projets d’’’au moins 600 acteurs, à raison de 150 projets par an sur l’ensemble du territoire national’’.
‘’Ce fonds est le résultat de beaucoup d’années de rêve, de passion. Et aujourd’hui, je pense que c’est une victoire du hip-hop sénégalais en général. On a besoin de fonds. Avant ça, avec la mairie de Dakar, il y a eu un fonds qui a permis de mettre en place la Maison des cultures urbaines. Et l’Etat sénégalais a décidé de faire mieux, en créant un Fonds de développement des cultures urbaines (FDCU). Puis, on a commencé avec 300 000 000 F CFA et aujourd’hui, on est à 600 000 000 FCFA et on tend vers le milliard, sinon plus’’, renchérit le rappeur DJ Awadi. ‘’Cela veut dire que nous sommes une force et Thomas Sankara disait : ‘Quand le peuple se met debout, l’impérialisme tremble.’ Mais quand la jeunesse se met debout, les autorités écoutent. Pour vous dire que nous sommes une force, une puissance’’, a-t-il ajouté.
Estimant que les artistes et acteurs de la culture urbaine doivent saisir cette chance d'être écoutés par les autorités, il leur demande de défendre ce fonds dont d’autres rêvent d'avoir et de taire les querelles. ‘’Nous n’avons pas besoin d’être des amis ou se faire des bisous, encore moins des big-up, pour comprendre que notre intérêt commun, on doit le gérer ensemble. On peut, sur la scène, avoir des divergences. On peut mener nos carrières, avoir des buts différents. Ce qui est normal. Chaque MC doit se dire qu’il est le meilleur, montrer son ego. Mais sur l’intérêt collectif, apprenons à être ensemble’’, dit-il.
‘’Et ce n’est pas parce que Simon ou Mass a travaillé sur un projet que je ne me sens pas concerné. Non, il faut soutenir, même si vous n'aimez pas le travail de l’autre. Les autres sont jaloux de ce fonds dédié aux cultures urbaines. Il peut changer des vies et ça a commencé, car plus de 300 personnes dans tout le Sénégal en ont bénéficié. Ce fonds, ce n’est pas l’argent qu’on met dans la poche de DJ Awadi, mais c’est pour tout le monde. Donc, il faut défendre le FDCU’’, a-t-il poursuivi.
Awadi n’a pas manqué de décrier le fait que certains bénéficiaires du FDCU ne l’aient pas assez défendu. Pour lui, la prise de position de ces acteurs aurait permis de lever bien d’équivoques et d’éviter certaines incompréhensions.
Le rappeur Mass, lui, se désole de l’absence de la jeune génération à cette rencontre. Pour lui, Dip Dundu Giss, Ngaaka Blin D, Omzo Dollar, Taiji Scin, KO Prip Dip, Samba Peuzzi, Akbess, sans les nommer, devraient prendre part à ce forum national. ‘’Ils doivent comprendre que cet argent est le leur. Il n’appartient ni à X, ni à Y. Ils devraient être présents aujourd’hui et se faire entendre’’, a-t-il déclaré.
BABACAR SY SEYE