Pourquoi le feu ?
Hier, en début d'après-midi, le temps semble soudain se figer, pour le personnel et les usagers du Building administratif Mamadou Dia de Dakar. Le feu s'élance en volutes jaunes et noires du 10e étage qui abrite le restaurant de l'édifice.
Le système d'alarme se déclenche automatiquement. Heureusement ! Les équipements sont modernes dans cet immeuble aux allures impériales, construit en 1953 pour héberger le gouvernement de l'Afrique occidentale française et rénové depuis 2019 pour abriter les principaux ministères du gouvernement du Sénégal et les bureaux des Archives nationales. L'alarme a marché ; ce n'était pas évident dans ce pays où l'entretien des équipements n'est pas vraiment dans la culture des administrations publiques. L'alarme a marché, mais pas forcément le reste : l'évacuation du personnel et des usagers.
Selon des sources qu'on ne soupçonnerait pas de fantaisie intellectuelle, la panique a, dans un premier temps, prévalu. Quid des exercices de simulation d'incendie, puis d'évacuation vers le point de rassemblement ? Sur ce site, ils sont rares... La règle veut cependant qu'ils soient pratiqués plusieurs fois dans l'année, au cas où...
Et le cas survint hier, sans que l'on sache trop, à l'heure actuelle, pourquoi. Certes, l'information semble crédible que le feu serait parti de travaux qu'effectuerait au 10e étage une entreprise d'électricité. Un court-circuit donc, provoqué par des professionnels qui devront en répondre, au regard des risques qu'ils ont fait encourir, en quelques minutes, à des centaines de personnes. Du moins, si l'enquête conclut à leur responsabilité. On en est bien loin ! D'autant plus que s'élève ici et là le tumulte des conjectures, souvent animé, au demeurant, du prurit du complotisme qui agite d'ailleurs à l'échelle universelle, un nombre conséquent d'intelligences humaines, lorsqu'elles sont confrontées à des événements qui contrarient l'idée qu'elles se font de leur sécurité et de leur liberté.
Ainsi, l'on aurait délibérément déclenché cet incendie pour détruire des documents compromettants ; l'on aurait aussi, peut-être, dans la panique que provoquerait l'événement, substitué des pièces importantes au profit de telle ou telle chapelle politique...
Le temps est favorable à ces divagations de l'esprit : la violence de la troisième vague du Covid et son cortège terrifiant de victimes de tous âges et de toutes conditions, la fièvre des élections locales et leur enivrante proximité, portent indubitablement à la dramaturgie et à l'échafaudage de croyances qui organisent durablement pour la cité, la permanence du tragique, la fatalité du désespoir et l'urgence de la révolte.
Chaque événement devrait ainsi concourir à désacraliser l'ordre établi, à bousculer le pouvoir installé et à prendre le risque de le destituer, du moins par l'esprit, parce qu'il se serait compromis avec les forces du malheur qui hantent et déjantent la paisible cité.
Mais laissons là ces subtilités pour nous rapprocher de choses plus concrètes. Nous disions plus haut que l'évacuation s'est faite dans une évidente atmosphère de panique. Normal, humainement parlant. Mais, cependant, mal comprise par la raison, si tant est que l'on considère la régularité des exercices de simulation qui eussent dû être pratiqués à intervalles réguliers dans cet immeuble qui abrite l'essentiel de l'Administration sénégalaise au plus haut niveau et qui compte dix étages tout de même !
Bien compris, par ailleurs, par cette même raison, quand on sait que ce Building administratif, rénové à près de 40 milliards de nos francs (on en ressent presque comme un vertige), ne dispose pas de contrat de maintenance...
Ainsi, la source du mal pourrait ne pas être celle que l'on indiquait plus haut. Et si elle n'était que la conséquence de l'usure et de la vétusté qui, en ces temps de pluies et d'orages, s'embrasent de leurs propres fragilités ? L'enquête nous situera. Elle nous dira sans doute que cet incendie, finalement, peu significatif en termes de bilan, aurait pu être plus grave ; que de nombreuses femmes et d'hommes, pris de panique au milieu de la fumée et des flammes, en l'absence de guide et de serre-file, auraient pu être les premières statistiques tragiques de cet édifice majestueux qui cristallise l'essentiel du pouvoir et de la puissance de l'État sénégalais, à l'exception de la présidence de la République, proche voisine, qui observait à un jet de pierre de là, sa jumelle en majesté se consumer dans l'impuissance et la vanité.
Mais les pompiers étaient là ; honneurs et respects à ces soldats du feu qui ont su limiter les dégâts et ramener l'incident plus à la dimension d'un feu follet que d'un incendie véritable avec bilan humain et bilan matériel.
Le bilan matériel est là ; on en saura les détails bientôt ou peut-être jamais. Il est des fois où il n'est pas bon de tout dire. Mais chaque fois est bonne pour tirer des leçons. Sachons tirer des avertissements d'hier, des leçons pour l'avenir, en termes de précaution, d'anticipation et de réaction.