''Nous voulons une radio qui écoute les populations''
Il est l’une des premières recrues à l'état d'embryonnaire du Groupe futurs médias (GFM) qui a fête, aujourd'hui, ses dix ans. Alors, qui mieux que Alassane Samba Diop, aujourd'hui directeur de la Radio futurs médias (RFM) pour parler de la success story du groupe du célébrissime artiste chanteur, Youssou Ndour, actuel ministre de la Culture et du Tourisme. Lazou, pour les intimes, remonte, avec EnQuête, le temps GMF, mais évoque l'état de la presse sénégalaise et son avenir.
Vous êtes l’un des premiers à être arrivé à la RFM. Le groupe fête ses dix ans. Que représente cet anniversaire pour vous ?
Cela représente beaucoup pour moi. Dix ans de travail dans une entreprise, c’est important. Je suis marqué par la volonté de ceux qui sont venus dans ce groupe pour tenter de faire avancer les choses et montrer que des journalistes peuvent ailleurs aussi mettre un autre format et se battre. C’était un challenge pour nous. Le défi de montrer qu’on a appris quelque chose et qu’on peut le traduire en actes. Pour aller vite dans le projet de futurs médias, que Youssou Ndour a eu l’idée pertinente créer le 1er septembre 2003, nous ne pouvions pas prendre le même schéma que Walfadjri à savoir prendre des gens qui sortaient de l’école, les former. Çà prenait trop de temps. On voulait aller vite. Nous avons discuté avec Youssou Ndour qui a jugé que la convention collective des journalistes est dépassée puisque les journalistes méritent plus que çà. On a pensé à une convention maison. On a aussi organisé ce qu’on peut appeler un ''mercato médiatique''. On est parti chercher les meilleurs là où ils sont et ont leur a fait des propositions afin qu’ils rejoignent le projet qu’on était en train de mettre en place.
Comment appréciez-vous l’expérience aujourd'hui ?
L’expérience, c’est encore d’être beaucoup plus humble. Et que comme l’a dit Mame Less Camara - et j’aime le répéter - que le meilleur papier qu’un journaliste puisse faire est celui qu’on fait demain. Il faut apprendre et se dire qu’on va rencontrer des gens d’horizons divers, qu’on ne connaissait pas. Il faut essayer de comprendre la nature humaine aussi. Moi, je n’ai pas de sens interdit au niveau du Groupe futurs médias, je suis dans tous les bureaux. J’entre, j’échange avec les gens. Il y a eu des moments heureux et des moments malheureux avec les pertes d’Éva Mbaye, de Mamadou Lamine Ndondé, de Jules Diop, de Mamadou Kamal qui étaient avec nous et même d’autres qui étaient dans le projet de Sport Fm. Il y a eu Pape Guèye de l’imprimerie et Gora Guèye qui faisait partie des grandes voix de Sport Fm. Tout cela donne du recul. La chance que nous avons, nous, c’est que le groupe futurs médias est en face à des cimetières (de Soumbédioune sur la Corniche Ouest de Dakar, Ndlr). A chaque fois que des gens se prennent la tête, moi j’ai l’habitude de les amener au balcon pour leur dire : ''Regardez les gens qui sont là. Certains d’entre eux pensaient qu’ils étaient indispensables. Personne n’est indispensable. Les gens sont importants et non indispensables.'' Il faut avoir beaucoup de dignité dans le travail, accepter d’apprendre et d’avancer. Souvent, nous les journalistes manquons d’humilité en pensant que nous sommes les plus intelligents, alors qu’il y a des auditeurs ou téléspectateurs qui sont chez eux et qui sont mille fois plus calés que nous. C’est important d’avoir les pieds sur terre.
Quel est votre plus beau souvenir au cours de cette décennie ?
Le plus beau souvenir, c’est quand on a démarré la radio et que trois mois après les sondages nous ont classés 3ème radio à Dakar. Cela nous a fait énormément plaisir parce que Youssou Ndour avait donné un délai de 2 ans pour être parmi les six premières radios. Ensuite, il y a eu des scoops que j'ai eus en tant que journaliste. Parmi ceux-ci l’affaire Segura (du nom de l'ex-représentant du FMI au Sénégal à le président Wade donné de l'argent en guise de ''cadeau''), l’interview que j’ai eue avec Dadis Camara le jour même du 28 septembre quand il y a eu des tueries en Guinée. J’ai pu le décrocher et l’avoir au téléphone le même jour. Des confrères de radios sont venus prendre le son à la RFM. C’est quand même important qu’une ''petite'' radio comme la RFM accueille des radios étrangères demandeurs du son pour une interview qu’elles n’ont pas pu décrocher. Cela m’a beaucoup marqué, mais cela m’a rendu beaucoup plus humble et incité à davantage travailler. Seul le travail paie, il n’y a pas de secret dans la vie. Il faut aussi accepter d’apprendre. Moi, j’ai encore mes cahiers de la troisième année du CESTI (Centre d'études des sciences et techniques de l'information, Ndlr) avec les cours de Monsieur Alioune Touré Dia qui était mon prof de télévision. Je lui rends hommage, c'était un excellent professionnel. Il m’arrive de replonger dans ses cours. Cela démontre juste qu’il faut toujours avoir la tête sur les épaules.
Et votre plus mauvais souvenir à la RFM ?
C’est le jour où le bateau Le Joola a chaviré (Ndlr, dans la nuit du 26 septembre 2002 au large de la Gambie). C’est vrai que la RFM n’avait pas encore démarré. Mais le souvenir de la première année était très triste et douloureux. Il y a eu aussi le jour où on est allé enterrer Mamadou Lamine Dondé, le décès d’Éva Mbaye qui était comme une sœur pour nous et elle était sympathique. Quand nous sommes allés à Saint-Louis l’enterrer, cela nous a marqué. C’est dur quand vous travaillez avec quelqu’un et que vous vous rendez compte le lendemain qu’il n’est plus là.
Quel bilan tirez-vous de la décennie d’existence du groupe ?
Sans fausse modestie, nous disons que le bilan est satisfaisant. Nous sommes arrivés dans un paysage ouvert par des privés comme Sud Fm et Walfadjri. Nous avons pu nous battre pour avoir une petite place dans cet espace-là. Aujourd’hui, l’existence de Futurs médias et sa crédibilité sont satisfaisantes pour nous. On ne peut pas dire cela sans rendre hommage à Youssou Ndour qui a cru en des jeunes.
Vous êtes classé première depuis quelques années. Le challenge de départ est atteint. Quel est, aujourd’hui, le défi de la radio en particulier, du groupe en général ?
Le défi, c’est d’abord de maintenir les acquis du Groupe futurs médias et, surtout, d’aller beaucoup plus vers les populations. Faire une radio de proximité où tous les Sénégalais vont se sentir concernés par ce que nous faisons parce que nous parlons d’eux. Nous voulons que la radio arrive à écouter les populations, à davantage les faire parler. Nous voulons couvrir l’ensemble du territoire national. Nous sommes sur satellite et sur le bouquet Canal, donc écouté à travers le monde. Mais nous voulons que les Sénégalais d’abord nous écoutent. Nous faisons une radio pour les Sénégalais avant de la faire pour les autres. Nous voulons être plus professionnels, j’insiste beaucoup sur cela et sur la formation aussi des journalistes. Nous voulons faire une radio vraiment crédible. En outre, je rêve, aujourd’hui, d’une cité futurs médias où vont habiter tous les travailleurs. Où nos enfants vont grandir dans un même espace. Cela va raffermir les liens qui existent déjà au Groupe futurs médias. Cela dit, je dois aussi rendre hommage à ceux qui sont passés au Groupe futurs médias. Ce n’est pas seulement à la radio, il y a aussi le journal où est passé Mamoudou Wane avec qui j’ai des affinités. Il y a aussi Aliou Ndiaye, Jules Diop, ainsi que le premier directeur de publication, Moustapha Sow et son successeur Mamadou Thierno Talla, Barka Bâ, sans oublier l'actuel Dirpub Pape Samba Diarra. Chacun d’eux a eu à marquer le journal selon leur tempérament et leur façon de faire.
Comment appréciez-vous la concurrence médiatique au Sénégal ?
La concurrence doit être saine. Nous sommes dans un pays où chacun peut faire son travail suivant les règles d’éthique et de déontologie. Je pense qu’il est important qu’on revienne aux fondamentaux du métier. Que chacun fasse son travail avec responsabilité sans invectives. Les gens oublient souvent qu’ils ne sont que des employés quelque part. Nous sommes dans un métier qui est très mobile. Nous devons nous unir et faire avancer notre métier. Cela n’empêche pas la concurrence, c’est même très bien d’être concurrent. Mais, la concurrence actuelle n’est pas bien.
Justement, comment appréhendez-vous l’avenir de la presse sénégalaise ?
Je ne dirais pas qu'elle a un avenir très radieux. Il y a des inquiétudes. Il faut qu’on revienne aux fondamentaux, qu’on lutte contre la corruption qui commence à gangrener notre métier. Qu’on lutte contre la théâtralisation de l’information qui n’est pas bonne. Il n’est pas normal que n’importe qui devienne journaliste.
Par BIGUÉ BOB