La rumba congolaise, entre tradition et modernité
Pour décliner toutes les facettes de la rumba, Paul Soni-Benga, ancien Directeur général de la chaîne de télévision congolaise DRTV, revisite l’histoire de cette culture multidimensionnelle.
Un coup de boost. Un moyen de rediriger les projecteurs sur ce qui constitue une des plus belles parties de la culture congolaise. L’inscription de la rumba au patrimoine immatériel de l’Unesco, le 14 décembre 2021, sera bénéfique, à bien des égards, au rayonnement de ce qui peut désormais s'apparenter à un mode de vie à part entière. Elle donne aussi une raison pertinente de revisiter le parcours de cette musique à l’histoire particulière. Ce qu’a brillamment réussi Paul Soni-Benga, réalisateur du documentaire ‘’Nganga Edo, le dernier des Bantous de la capitale’’.
Animant une conférence sur le thème ‘’La rumba congolaise sous toutes ses déclinaisons’’, dans le cadre du salon journalistique Ndadjé, l’ancien directeur général de la chaîne de télévision privée DRTV (Congo) a partagé le quotidien de ce monument de la musique africaine. Une opportunité offerte avec l’appui du Goethe Institut Sénégal dont cette 6e session de formation de journalistes culturels entre dans l’ambition de renforcer leur culture musicale à travers la rédaction d’articles inédits.
Cette session Ndadjé intègre la 2e édition du festival Cinéma 48-Les rencontres du film musical de Dakar, qui s’est tenue du 27 au 29 janvier 2022, à la place du Souvenir africain. Deux événements en un, qui délimitent un cadre idéal pour projeter le film réalisé par Paul Soni-Benga sur Edouard Nganga ‘’Edo’’. Car il est important, pour cet auteur, de raconter l’histoire de ce pionnier de la rumba congolaise aux jeunes, pour leur montrer ‘’que lorsque vous avez la passion de ce que vous faites, il n’y a pas de barrière pour aller jusqu’au bout’’.
Cet amour fou de la musique, le premier chanteur et membre fondateur de l’orchestre Les Bantous de la capitale l’avait. Lui, le dernier à rendre le tablier de cette bande de copains à qui la rumba a tout offert. Ce groupe figure parmi les plus célèbres représentants de la rumba congolaise du début des années 1960 au milieu des années 1970. Il est le seul orchestre parmi ceux créés avant les indépendances, qui a survécu aux aléas de l'histoire du pays. Au fil du temps, Les Bantous de la capitale a acquis une notoriété nationale et internationale.
Les Bantous de la capitale, seul groupe qui a survécu aux aléas de l'histoire du pays
Décédé en 2020 à l’âge de 87 ans, Nganga Edo n’a pas assez vécu pour voir Paul Soni-Benga diffuser son histoire. Celle qu’il a racontée lui-même, avec l’aide de témoignages de ses contemporains. Mais ce film servira à inspirer la jeune génération qui essaye de maintenir le flambeau.
Partagées entre les deux Congos - Kinshasa et Brazzaville - les origines de la rumba ont été situées par les spécialistes dans l'ancien royaume Kongo, où l'on pratiquait une danse appelée ‘’nkumba’’, qui signifie "nombril", parce qu'elle faisait danser homme et femme nombril contre nombril. Avec la traite négrière, les Africains ont emmené dans les Amériques leur culture et leur musique. Ils ont fabriqué leurs instruments, rudimentaires au début, plus sophistiqués ensuite, pour donner naissance au jazz au Nord, à la rumba au Sud. Avant que cette musique soit ramenée en Afrique par les commerçants, avec disques et guitares.
Dans l’imaginaire des jeunes et adultes contemporains, Nganga Edo n’est pas un Fally Ipupa, un Koffi Olomidé ou un Papa Wemba. Mais lui aussi a vécu de belles années de la rumba. Celles durant lesquelles elle a accompagné la vie sociale, politique et culturelle du Congo. De cette époque, relate Paul Soni-Benga, la rumba, et plus précisément ses textes, ''éduquait, informait, conscientisait la population. L’on parlait de révolution, de panafricanisme. L’on sublimait la femme. On demandait aux jeunes de se former pour mieux appréhender la vie. Maintenant, la rumba est influencée par la légèreté de la vie’’.
Les mutations sociales, communes à toutes les sociétés, font qu’aujourd’hui, cette musique s’est endiablée. Il suffit de deux phrases et de la rythmique pour faire une chanson sur laquelle tout le monde danse. ‘’Cela appauvrit les messages véhiculés par cette musique, regrette l’essayiste. La jeune génération n’éduque plus. Dans les chansons de rumba, ce sont les noms de personnalités qui sont cités ou des messages sur le corps de la femme. Soit on fait la promotion de personnes célèbres, soit on envoie des messages dégradant la sacralité de la femme, comme on le voit dans les clips. Ce qui était impensable au début de cette musique’’.
‘’Aujourd’hui, la rumba est influencée par la légèreté de la vie’’
Ce n’est pas la seule chose à déplorer. Avec le développement du numérique et de la piraterie, la génération actuelle de musiciens de la rumba a du mal à vivre de son art. Ce qui ne fut pas le cas de l’orchestre Les Batous de la capitale. Eux vivaient des droits d’auteur. Leurs œuvres jadis bien protégées.
Mais tout n’est pas à jeter dans la marche de cette culture. Car la rumba, dans sa version moderne, est une musique des villes et des bars, de rencontre des cultures et de nostalgie, de "résistance et de résilience", de "partage du plaisir aussi", avec son mode de vie et ses codes vestimentaires.
Si cette description a été faite à l'AFP par le Pr. André Yoka Lye, Directeur de l'Institut national des arts (Ina) de Kinshasa, Paul Soni-Benga ajoute que la rumba a surtout muté pour germer le coupé-décalé, le soukouss, le ndombolo. Des évolutions qui, comme la musique-mère, sont adossées à de nouvelles cultures urbaines.
Autre phénomène qu’a engendré cette culture : la rencontre de l’esthétique et de la culture musicale. Cela est symbolisé par le phénomène des ‘’sapeurs’’, ces artistes d’un autre genre qui, une fois dans un concert de rumba, ne s’intéressent pas à la musique ou à la danse. Mais viennent pour faire admirer leurs belles tenues.
Après le plaidoyer des deux Congos pour l’inscription de la rumba au patrimoine immatériel de l’Unesco, cette culture espère se faire une notoriété nouvelle et étendre ses tentacules à travers le monde, à l’image du reggae et de la salsa.
Lamine Diouf