Les écoles privées obligées de s’adapter à la situation
Au-delà du respect des accords, les enseignants engagent un Mortal Kombat pour exiger la correction des dysfonctionnements dans le système de rémunération des agents de l’État.
En sommeil depuis quelques années, le volcan qui somnolait chez les enseignants s’est brutalement réveillé. En cause, une indemnité de 400 000 F CFA accordée par l’État au corps des inspecteurs et contrôleurs du travail. Cette dernière a fini de mettre les syndicats d’enseignants dans tous leurs états. Au-delà du respect des accords, ces derniers réclament purement et simplement la correction définitive ‘’des injustices’’ dans le système de rémunération des agents de l’État.
Secrétaire général du Saemss (Syndicat autonome des enseignants du moyen-secondaire du Sénégal), Saourou Sène précise : ‘’C’est une question latente depuis des années. En 2014, lorsque le gouvernement nous a demandé de sursoir à cette revendication (correction du système de rémunération des agents) pour faire une étude, nous avions accepté. Le gouvernement s’était engagé à ne plus accorder des indemnités, jusqu’à la résolution de ces dysfonctionnements. Malheureusement, l’engagement n’a pas été respecté ; l’État continuant à accorder des indemnités par-ci et par-là, en laissant complètement de côté les enseignants.’’
Ainsi, le pacte a été rompu. Depuis, les syndicats de l’enseignement ont repris les armes, de manière assez timide, il faut le reconnaitre. En fait, pour une question qui concerne presque tous les agents de l’État, seuls les enseignants se sont montrés assez impliqués. Pour Saourou Sène, il ne s’agira plus désormais de se battre pour une correction globale des injustices. Il s’insurge : ‘’Nous ne parlons plus de correction du système de manière globale. Nous parlons maintenant de la frange enseignante que nous représentons. Parce que, d’une part, nous nous sommes rendu compte que nous sommes les seuls à porter ces revendications. D’autre part, nous constatons que c’est plus simple de demander des corrections pour les enseignants. Puisque les autres ne se sentent pas concernés, autant concentrer notre lutte sur les indemnités qui nous concernent’’.
Par rapport à l’indemnité d’évasion sociale des inspecteurs du travail qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, certains estiment que c’est un mauvais procès. Inspecteur du travail à la retraite, Abdou Fouta Diakhoumpa revient sur le fondement d’un tel avantage : ‘’L’État s’est rendu compte qu’il formait à perte de hauts fonctionnaires comme les inspecteurs du travail sortis de l’Ena. Compte tenu de leur faible niveau de rémunération, ces derniers, souvent, dès qu’ils ont acquis une certaine expérience, préfèrent aller ailleurs, notamment dans le privé, en tant que DRH. Ce qui constitue une perte énorme pour l’État. Pour y remédier, l’État leur accorde cette indemnité pour les inciter à rester. Pour moi, c’est tout à fait compréhensible.’’
Ces indemnités de la discorde
D’ailleurs, fait-il remarquer, c’est pourquoi seuls les inspecteurs, contrôleurs et autres agents assimilés qui sont en service au niveau de la Direction générale du Travail et de la Sécurité sociale en ont droit. ‘’Cela se justifie d’autant plus qu’ils ne sont même pas 300. Maintenant, l’État, c’est comme un père de famille. Quand il donne un avantage à un de ses enfants, les autres sont prompts à réclamer la même chose. C’est aussi de bonne guerre. On ne peut reprocher à des syndicalistes de lutter pour l’amélioration des conditions de ses membres’’, plaide M. Diakhoumpa qui invite toutefois à relativiser.
Avant l’indemnité d’évasion sociale des inspecteurs du travail, il était beaucoup question de l’indemnité de judicature des magistrats. Laquelle leur était accordée sous Wade, pour non seulement les maintenir dans le corps, mais aussi pour les mettre à l’abri de certaines tentations. ‘’Le magistrat, justifie M. Diakhoumpa, par ailleurs ancien Directeur de cabinet au ministère de la Pêche, c’est comme le médecin. Plus il a de l’expérience, plus il est bon. On n’a donc pas intérêt à les perdre au bout d’un certain nombre d’années d’exercice. Aussi, de par la législation et leur fonction, les magistrats ont très peu de temps pour faire autre chose et gagner de l’argent. Par exemple, l’enseignant peut aller dans le privé et enseigner, mais le magistrat non. Et puis, ils sont dans des contentieux où il y a beaucoup d’argent ; il faut les mettre à l’abri. Il faut donc relativiser’’.
Cela dit, les disparités dans le système de rémunération des agents sont réelles. Alors que le principe reste qu’à égalité de diplôme, il faut une égalité de traitement, la réalité est tout autre, selon nombre d’acteurs. Au Sénégal, pour des agents d’égal diplôme, les écarts de traitement sont parfois abyssaux. Et c’est là la véritable raison de la frustration des enseignants.
Directeur exécutif de Cosydep, Cheikh Mbow déclare : ‘’Il faut reconnaitre que c’est le point nodal, la véritable pomme de discorde actuellement, entre enseignants et gouvernement.’’ Aujourd’hui, fulmine M. Mbow, tout le monde est d’accord que le système de rémunération des agents est désarticulé. Et cela provoque, d’après lui, un sentiment d’injustice.
De la nécessité de mettre en œuvre les recommandations de l’audit
A en croire le directeur exécutif de Cosydep, le gouvernement devrait affronter les recommandations de l’étude qu’il avait lui-même commanditée, quelle que soit la complexité. ‘’Ce n’est pas parce que c’est complexe qu’on doit le ranger dans les tiroirs. Tant qu’on ne corrige pas les dysfonctionnements, il y aura toujours ce sentiment d’injustice, cette frustration de certains agents. L’État doit savoir que tous les secteurs sont importants. Il faut donc un traitement pas égalitaire, mais équitable entre les agents. Je pense que c’est une question de justice et d’équité’’, soutient M. Mbow.
En fait, sur le principe, tout le monde semble d’accord. Mais comment corriger de tels dysfonctionnements ? Faudrait-il revoir les droits acquis de certains agents ? Telle est l’équation qui semble impossible à résoudre aux yeux de certains. Pour Abdou Fouta Diakhoumpa, le principe selon lequel il faut une égalité de traitement à égalité de salaire est respecté dans une large mesure. Généralement, insiste-t-il, il y a un certain équilibre du point de vue du salaire indiciaire. ‘’Le problème, dit-il, c’est surtout au niveau des primes et indemnités particulières accordées à certains corps, sur la base de textes souvent pris par des ministères sectoriels. Lesquelles indemnités ont plus ou moins déséquilibré le système de rémunération des agents publics à partir des années 2000 avec Abdoulaye Wade. Ce sont donc des avantages sectoriels, souvent justifiés par des réalités propres à ces secteurs’’.
Par ailleurs, pendant que les enseignants dénoncent les injustices dans le traitement des agents, certains estiment que les contestataires sont loin d’être les parents pauvres de l’Administration. C’est la conviction d’Abdou Fouta Diakhoumpa. ‘’Les enseignants, souligne-t-il, sont loin d’être les moins bien payés. Bien au contraire ! Aussi, ils ont une bonne pension de retraite. Les agents les moins bien payés, ce sont ceux qui relèvent du ministère de l’Agriculture. De plus, si l’on prend les enseignants du supérieur, ils perçoivent jusqu’à plus d’un million avec une excellente retraite qui leur permet de conserver jusqu’à 80 % de leur dernier salaire’’.
Revenant sur la nécessaire correction des disparités, l’inspecteur du travail estime que cela va mettre du temps. ‘’Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’État n’est pas comme les individus. Il est lent dans tout ce qu’il fait. Il est également lié par des paramètres qui sont un peu différents : les grands agrégats, les critères communautaires… Il faut tenir compte de tout cela’’.
Malgré ces obstacles, le spécialiste du droit social est également d’avis qu’il y a lieu d’accélérer le processus, en vue de mettre plus d’équité entre les différents agents de l’Administration. ‘’Il y va de la paix sociale, de la motivation des agents publics. Il faudrait un certain équilibre, pour que tout le monde se retrouve dans le système de rémunération. Mais les agents doivent aussi comprendre que l’État ne peut pas satisfaire toutes les revendications. Il a également des exigences en matière d’investissement. On ne peut consacrer tout le budget au paiement des salaires’’.
MOR AMAR