Alpha Condé et son régime poursuivis en justice
La perte du pouvoir de l’ancien homme fort de Conakry a enfin permis à Alpha Condé et à ses proches collaborateurs de s’expliquer sur les violences qui ont marqué le pays, lors des manifestations contre la troisième candidature de l’ancien président de la République.
Les malheurs s’accumulent sur l’ancien président de la République de Guinée. Après s’être fait renverser du pouvoir le 5 septembre 2021, Alpha Condé est désormais dans le collimateur de la justice guinéenne. Hier, le procureur général de la Cour d'appel de Conakry a émis des instructions aux fins de poursuites judiciaires contre le président Condé et 26 responsables de son régime. Ces poursuites concernent ainsi beaucoup de gros bonnets dans différents secteurs de l’Administration, l’ancien président de la Cour constitutionnelle, Mohamed Lamine Bangoura, l’ancien président de l'Assemblée nationale Claude Kory Koundiano, l’ancien directeur général des Douanes Toumany Sangaré, plusieurs ex-ministres, députés et membres du cabinet de l’ex-président guinéen.
Les accusations portent sur des faits graves, incluant ‘’des atteintes volontaires à la vie humaine, notamment le meurtre, assassinat et complicité de meurtre et d'assassinat’’ ; ‘’des coups, blessures et violence volontaire et de complicité’’ ; ‘’des agressions sexuelles et de l'attentat à la pudeur, notamment le viol et la complicité’’, selon les charges retenues par le procureur général Alphonse Charles Wright.
Ces poursuites font suite à une plainte déposée par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un collectif qui veut porter la voix des victimes du régime de l’ancien président de Guinée. Dans la lettre déposée par les avocats de l’association, l’organisation évoque des ‘’crimes et exactions présumés commis sous le régime de Monsieur Alpha Condé, ex-Chef d'État de la République de Guinée, en joignant une liste de certaines personnalités qui seraient impliquées directement ou indirectement dans la commission des faits dénoncés’’.
Une plainte du Front national pour la défense de la Constitution
Les faits en question se seraient déroulés lors des manifestations anti-troisième mandat pour le président Alpha Condé, entre 2019 et 2020. Le 22 mars 2020, s'était tenu un double scrutin tendant, d'une part, au renouvellement du mandat des députés de l'Assemblée nationale guinéenne, et, d'autre part, l'adoption par voie référendaire d’une réforme constitutionnelle dans l'optique de permettre à Alpha Condé de briguer un troisième mandat à l'élection présidentielle d'octobre 2020.
Le FNDC dit avoir enterré 99 personnes et recensé plus de 400 victimes lors de ces évènements. Mais le procureur se fonde aussi sur un rapport rendu public le 13 novembre 2019, dans lequel l'ONG Amnesty International aurait souligné qu'au cours de cette période, plus de 200 personnes auraient été tuées et des milliers d'autres blessées lors de manifestations politiques ou sociales en Guinée. Qu'à cela s'ajoute la violence excessive que des forces de l'ordre, des forces armées, de gendarmerie et de police confondues auraient exercée dans la plus totale impunité depuis le mois d'octobre 2019.
D’autres éléments de l’accusation concernent ‘’le constat de graves violences qui se seraient intensifiées à la suite du double scrutin et qu’Amnesty International aurait relevé l'existence de récits de témoins, des vidéos et images satellites analysées qui confirmeraient les tirs à balles réelles par les forces de défense et de sécurité sur des manifestants’’. L'organisation Human Rights Watch aurait, quant à elle, tenu pour responsable la répression des manifestants en avril 2020, les forces de défense et de sécurité.
Aussi, rapporte le FNDC, les États-Unis auraient condamné, le 25 mars 2020, les violences liées au référendum constitutionnel, après le Parlement européen au mois de février 2020, sur les atteintes à la liberté de réunion et d'expression. Ces éléments rejoignent d’autres ‘’preuves contenues dans deux clefs USB de 16 GB chacune qui méritent une suite judiciaire dans le but de faire la lumière et toute la lumière sur ces crimes de sang et d'atteintes graves aux droits humains’’.
Des preuves-vidéo, images satellites, rapports d’ONG…
Dans ses réquisitions, le magistrat a demandé de faire interdire aux personnes visées par les investigations de sortir du territoire et de faire saisir tous leurs biens à titre conservatoire. Il lui donne aussi pour instruction de faire délivrer les mandats d'arrêt internationaux nécessaires contre les personnes qui se trouveraient en dehors du pays.
À l’origine de cette plainte visant les hauts responsables du régime d’Alpha Condé, les avocats du FNDC se sont réjouis d’un ‘’premier pas qui a été franchi’’, avec la décision du procureur général de la Cour d’appel de Conakry ‘’qui marque la volonté des autorités guinéennes de faire toute la lumière sur les exactions commises et d’en juger les responsables’’.
Huit mois après le coup d’État qu’il a subi, Alpha Condé (84 ans) qui a perdu le pouvoir en faveur du colonel Doumbouya, devenu président de la République, est gardé en détention par les militaires, même si ces derniers assurent qu’il est libre de ses mouvements. Toutes les demandes d’autorisation de déplacement dans d’autres pays au profit de l’ancien président étant refusées par la junte qui compte opérer une transition à la tête du pays de 39 mois.
La malédiction du troisième mandat
Malgré les mises en garde de la communauté internationale sur les conséquences de la modification de la Constitution guinéenne pour permettre sa candidature à un troisième mandat, le président Alpha Condé s'est entêté à défier son peuple. Aujourd’hui, cette décision lui a valu tous ses malheurs.
Son histoire montre également l’aspiration des peuples africains à un renforcement de la démocratie sur le continent et l’instauration de principes de la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques. Malgré les magouilles politiques, les tripatouillages constitutionnels, les calculs et les manœuvres électoralistes, s’accrocher au pouvoir finit toujours mal, face à des peuples déterminés. Même si cela passe par des coups de force militaires légitimés par une adhésion populaire. Cette chute de l’ex-homme fort de Conakry devrait servir d’exemple à d’autres chefs d’État animés des mêmes intentions.
Lamine Diouf