‘’Le drame ne peut pas, ne doit pas et ne passera surtout pas par pertes et profits’’
Le procureur du tribunal de grande instance de Ziguinchor, Papa Ismaila Diallo, a indiqué, hier, que la tragédie de Kafountine ne peut pas, ne doit pas et ne passera surtout pas par pertes et profits, et qu’il n’existe aucune autre alternative que d’appliquer et de faire appliquer, s’il y a lieu, la loi dans toute sa rigueur.
Le procureur de la République près le tribunal de grande instance (TGI) de Ziguinchor a convié, hier, la presse, à une rencontre. Un point de presse qui s’inscrit, dit-il, dans le cadre de la communication institutionnelle du ministère public qui est prévue par les dispositions de l’article 11, alinéa 3 du Code de procédure pénale.
Papa Ismaila Diallo a essayé de trouver un équilibre entre, d’une part, sa volonté de porter à la connaissance de l’opinion des éléments précis relatifs à cette affaire qui a créé émoi et consternation de la Nation tout entière, afin que nul n’en ignore et, d’autre part, du respect de certains principes de procédures pénales, notamment celui du secret de l’enquête, du secret de l’instruction et celui de la présomption d’innocence, entre autres.
À cet effet, il a, après avoir ‘’exprimé son profond regret de ces pertes en vies humaines et après s’être incliné pieusement devant la mémoire de ces illustres disparus’’, rassuré l’opinion publique que ce drame ne peut pas, ne doit pas et ne passera surtout pas par pertes et profits. Tant s’en faut, dit-il.
Selon le procureur, dès la survenance des faits d’une ‘’particulière gravité’’, la police judiciaire s’était aussitôt déployée. Et les auditions des rescapés ont été effectuées le même jour, par les éléments de la brigade de gendarmerie de Diouloulou. Ce qui a permis l’identification immédiate de six présumés auteurs et complices, ainsi que des convoyeurs. Ils ont, aussitôt, été arrêtés et font l’objet de mesure de garde à vue. Le modus operandi consistait à rançonner les victimes de montants variant entre 200 et 400 000 F CFA, en contrepartie d’un périlleux et plus qu’hypothétique voyage par mer et en pirogue vers les côtes espagnoles. Les candidats ainsi recrutés étaient pris en charge dans des maisons sises à Kafountine et de petites embarcations étaient empruntées pour rejoindre les iles Karones d’où partaient les grandes embarcations à destination des côtes espagnoles.
L’incendie qui était survenu dans l’embarcation, dans la nuit du 26 au 27 juin, est vraisemblablement dû, si l’on s’en tient aux déclarations des rescapés, au fait que du carburant était à bord, alors que les convoyeurs étaient en train de s’affairer à préparer du thé avec un fourneau. D’après lui, des actes de complicité assez divers avaient été posés. Car certains auraient aidé à accueillir des candidats à l’émigration irrégulière dans des logements et d’autres auraient servi de rabatteurs pour le recrutement où l’on trouvait de la nourriture à cuisiner et à servir à ces derniers. De même, poursuit-il, des auteurs en fuite ont clairement et suffisamment été identifiés. Ils font l’objet d’avis de recherche et d’arrestation.
‘’Je ne doute absolument pas qu’avec la perspicacité de notre gendarmerie nationale, ils ne tarderont pas à être interpellés. Nous sommes, d’ailleurs, en mesure de vous annoncer qu’en début d’après-midi de ce jour (hier), une septième personne fortement soupçonnée d’avoir pris part en tant qu’organisateur, a été interpellée dans un autre ressort judiciaire et fera naturellement l’objet d’un transfèrement à Ziguinchor’’, a informé le procureur Papa Ismaila Diallo.
Il a profité de l’occasion pour féliciter vivement les éléments de la brigade de la gendarmerie de Diouloulou, avec à leur tête l’adjudant-chef Pape Ababacar Sarr, la compagnie de gendarmerie de Ziguinchor dirigée par le capitaine Alexandre Mbar Diouf, et la Légion Sud de la gendarmerie nationale commandée par le colonel Magatte Mbaye pour le travail accompli. Il a aussi indiqué que les personnes en garde à vue seront déférées au parquet de Ziguinchor à l’issue de l’enquête. Et des poursuites sont envisagées des chefs d’association de malfaiteurs, d’organisation de migration irrégulière, d’homicide involontaire, de mise en danger de la vie d’autrui et d’escroquerie. Il ajoute qu’il en sera de même pour toute autre personne dont l’implication dans la commission de ces faits sera établie.
Selon lui, pour des faits de cette nature, il n’existe aucune autre alternative que d’appliquer et de faire appliquer, s’il y a lieu, la loi dans toute sa rigueur. Il a, dans le même sens, appelé à la collaboration des populations et de tout sachant qui, à des fins essentiellement citoyennes et pour éviter la survenue de telles ignominies, se doit de collaborer avec les forces de défense et de sécurité (FDS) et la justice en dénonçant de telles entreprises criminelles.
Retour sur les faits
Le 26 juin 2022, aux environs de 18 h, les éléments de la brigade de gendarmerie de Diouloulou avaient été informés de la présence de candidats à l’émigration irrégulière dans une maison sise dans la commune de Kafountine, en vue d’un départ imminent par voie maritime, vers l’Europe. Le transport immédiatement effectué sur les lieux n’avait, malheureusement, pas permis de retrouver ni candidats à l’émigration, encore moins de potentiels convoyeurs. Très tôt le lendemain 27 juin, à 7 h, les gendarmes ont cette fois-ci été informés du chavirement d’une pirogue qui transporterait de potentiels migrants, à hauteur des iles de Hilol et de Kassel, relevant de la commune de Kafountine. Un transport immédiatement effectué sur les lieux, en compagnie des éléments du service des pêches de Kafountine, a permis aux gendarmes de constater que la pirogue avait pris feu et ils ont pu secourir un groupe de 88 migrants, dont une femme. Parmi ces victimes, 13 personnes avaient subi des brûlures. Elles avaient d’abord été admises au poste de santé de Kafountine avant d’être évacuées vers le centre hospitalier régional de Ziguinchor.
D’après les premières informations qui avaient été recueillies auprès des rescapés, à la suite de l’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire, il y aurait eu des morts. Mais dans cette matinée du 27 juin, un seul corps sans vie, d’une personne de sexe masculin, avait été repêché. La répartition des rescapés, selon la nationalité, était établie ainsi qu’il suit : il y avait 67 Sénégalais d’origines diverses, qui venaient des localités de Tanaff, de Mancadou, de Simbandi Brassou, de Samine, de Bambali, dans la région de Sédhiou ; de Kafountine, dans le département de Bignona ; de Ziguinchor, de Kolda et de Dakar. Il y avait aussi quatre rescapés de nationalité nigériane, huit de nationalité gambienne, trois de nationalité bissau-guinéenne et huit de nationalité guinéenne. L’action des sapeurs-pompiers avait permis de retrouver quatre autres personnes de nationalité sénégalaise qui s’étaient cachées à l’intérieur des bolongs. Ce qui portait donc le nombre des rescapés à 92 dont 69 Sénégalais. Les sapeurs-pompiers ont également repêché, hier 30 juin, un total de 15 corps sans vie, pour l’essentiel en état de décomposition très avancée, en raison, d’une part, des brûlures qu’ils avaient subies et, d’autre part, du temps passé dans les eaux.
HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)