Les détails de la vidéo du Procureur
A la suite de la sortie non convaincante du procureur de la République, les autorités judiciaires et policières multiplient les actes, comme pour montrer qu’elles n’ont rien à se reprocher dans l’affaire Mancabou. Des interlocuteurs qui ont vu la fameuse vidéo content à EnQuête le film du drame.
C’était un samedi 25 juin 2022. Selon nos sources qui ont vu la fameuse vidéo dont parle le procureur, une ambiance sereine régnait dans le violon du Commissariat central de Dakar, malgré la présence d’hôtes assez particuliers : les fameux présumés membres de la Force dite spéciale, arrêtés pour divers chefs d’accusation, suite aux manifestations du 17 juin. Pendant qu’environ neuf d’entre eux discutent tranquillement dans le violon, dans une ambiance bon enfant, le sieur Mancabou, lui, s’est isolé à côté, dos contre le mur, les yeux rivés sur la porte de la cellule. Il a l’air ‘’très anxieux et bizarre’’, confie notre interlocuteur.
‘’Tantôt, il croise les bras, tantôt, il les décroise. Tantôt, il les met dans les poches, tantôt il les enlève ; il gratte la tête. Il n’était vraiment pas dans son assiette. Mais, les autres ne semblaient se douter de rien, très engagés dans leurs discussions. Il y avait même de la boisson à côté, pour dire que ce sont des hommes qui étaient tous bien portants.’’ Il en sera ainsi pendant environ 10 minutes. Les échanges se sont poursuivis dans la même atmosphère. Avec Mancabou toujours dans son isolement…
Contrairement à la déclaration du procureur, Mancabou a cogné une seule fois sa tête contre les grilles
Puis, l’irréparable est arrivé, surprenant tous les détenus. ‘’On voit Mancabou debout, avec une sorte de pantalon blouson noir, assorti d’un t-shirt bleu sombre ou noir. A un moment, vers la dixième minute, on le voit faire un sprint et cogner violemment la tête contre la porte de la cellule. Contrairement à ce qui a été dit par le procureur, il ne l’a fait qu’une seule fois dans la vidéo et il est aussitôt tombé et s’est évanoui. Cela a été tellement rapide que tout le monde a été surpris.’’
La suite, confie-t-il, c’est surtout des cris et des invocations du nom de Dieu, pendant que d’autres s’activent autour de Mancabou, très mal en point.
Au lieu de calmer les nerfs, la sortie du procureur n’avait permis que de rendre encore plus confuse la situation. Pour laver son honneur, la Police a alors pris la décision de montrer la vidéo à certaines organisations de défense des droits de l’homme, ainsi qu’à l’Observatoire national des lieux de privation de liberté. Pour le moment, seul l’Observatoire a confirmé, par un communiqué, avoir vu la fameuse vidéo.
‘’Suite à des allégations de tortures dont serait victime feu François Mancabou dans les locaux de garde à vue de la Sureté urbaine, l’observateur, en compagnie d’une équipe pluridisciplinaire, s'est rendu dans les locaux de ladite unité. Après un entretien avec les autorités policières, l’examen du registre et des locaux de garde à vue, ainsi que le visionnage d’un extrait des enregistrements des vidéos de surveillance, l’Observateur national et son équipe se sont retirés…’’, fait savoir le document sans entrer dans les détails.
‘’Violation flagrante du secret de l’enquête’’
Dans la foulée, les avocats de François Mancabou ont publié un communiqué pour dénoncer cette présentation du fameux extrait à des éléments qui sont étrangers au dossier. Ils pestent : ‘’Nous, avocats de la défense, sommes surpris de voir, à travers un communiqué de l’ONLPL, que des éléments du Commissariat central, non loin de se contenter de remettre la fameuse vidéo aux éléments de la DIC, ont permis le visionnage d’un extrait des enregistrements des vidéos de surveillance… Nous comprenons dans la logique de ce communiqué (le communiqué de l’ONLPL) qu’il s’agirait de la vidéo de 13 mn versée au dossier… Si tel est le cas, sauf si le procureur l’a autorisé, ce qui serait très grave encore, cela constituerait une violation flagrante du secret de l’enquête par les parties.’’
Les confrères de Maitre Kabou ne se sont pas limités là. Pour eux, les éléments du Commissariat qui ont montré cette vidéo sont aussi coupables d’une atteinte au droit à l’image de leur client. ‘’Dès lors, clament-ils, il convient de se poser la question de la recevabilité de cette vidéo comme élément de preuve…. Cet acte fragilise tout sérieux que l’on pourrait accorder à cette pièce dans le dossier. D’autant plus que notre client n’a pas fait que 13 minutes dans ce Commissariat.’’
Dans tous les cas, grâce à cet élément versé par le procureur dans le dossier, beaucoup de choses pourraient être clarifiées. En effet, même dans l’hypothèse où les faits se sont déroulés comme renseignés par les autorités judiciaires, la question qui reste en suspens c’est comment Mancabou en est arrivé à une telle décision ? A-t-il été victime de tortures durant les jours ou les heures ayant précédé son acte ? Ce sont des questions qui restent toujours sans réponse. Et les avocats n’ont pas manqué de saisir la balle au bond.
Pour eux, il faut produire l’intégralité de la vidéo, depuis l’entrée de leur défunt client dans les locaux du Commissariat. Ils pestent : ‘’Fidèle à la procédure pénale, nous exigeons via une requête, à la place des 13 minutes, l’intégralité des images, afin de mettre ces 13 minutes dans leur vrai contexte. Il s’agira donc de fournir l’intégralité des vidéos de Mancabou, de son arrivée à la Sureté urbaine à sa première évacuation à l’hôpital principal, de son retour au Commissariat à sa deuxième évacuation à l’hôpital principal.’’
Quoi qu’il en soit, les autorités judiciaires depuis l’éclatement de cette affaire multiplient les actes comme pour montrer qu’elles n’ont rien à se reprocher. En sus de la sortie du Procureur, le visionnage des extraits par l’Observatoire, elles ont opté pour une autopsie faite par un médecin indépendant qui sera choisi par le président de l’Ordre des médecins.
VIDEO DE SURVEILLANCE DANS LES LIEUX DE GARDE A VUE Une recommandation de l’ONLPL de 2017 qui pourrait sauver ou enfoncer la Police Au-delà de l’affaire Mancabou, la présence de caméras de surveillance dans les différents commissariats suscitent un débat. Ils ont été nombreux, en effet, les avocats de la défense à rejeter catégoriquement l’idée de la présence de caméras de surveillance dans les commissariats. Dans un entretien récent, Maitre Ousseynou Gaye fulminait tout de go : ‘’Vous croyez que la Police qui recourt systématiquement à la torture va se hasarder à placer des caméras de surveillance dans les commissariats… Ce sont des histoires. Qu’ils sachent que cela ne passera pas.’’ D’autres n’ont pas manqué de soulever la recevabilité même de la vidéo, dans le cadre de cette procédure. Pour rappel, dans son rapport en date de 2017, l’Observatoire national recommandait fortement l’installation de systèmes de vidéos de surveillance dans tous les lieux de garde à vue, dans le but de suppléer la défaillance humaine. Et c’est le soubassement juridique de la présence de cette caméra dans les locaux du Commissariat central. Selon notre interlocuteur, cette recommandation, qui vise à lutter contre la torture, est effective au Commissariat central, à la DIC, ainsi que dans de nombreux nouveaux commissariats. D’autres lieux de détention trainent cependant les pieds. Si les allégations des autorités sont avérées, le dispositif pourrait ainsi sauver ou enfoncer la police. Car, malgré les affirmations, il existe de nombreuses zones d’ombre, sur le passage de Mancabou au niveau dudit commissariat. Par ailleurs, relativement au grief des avocats sur la violation du secret de l’enquête et du droit à l’image par les limiers, les sources policières opposent la loi 2009-13 du 2 mars 2009 relative à l’Observateur national des lieux de privation de liberté. En son article 6, la loi dispose : ‘’L’observateur national peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu ou des personnes sont privées de leurs libertés… Les autorités responsables des lieux de privation ne peuvent s’opposer à la visite de l’Observateur ou de son délégué que pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans les lieux visités…’’ |
MOR AMAR