Publié le 3 Apr 2023 - 12:23
ÉDITO PAR MAHMOUDOU WANE

Poison d’avril

 

Déconcertante, effarante, stupéfiante, la facilité avec laquelle une certaine opposition s’autorise certaines intrusions en terre armée. Ce, à la veille de la célébration du 63ème anniversaire de notre accession à l’indépendance.

Irresponsable, devrait-on commencer par dire. Sans jamais avoir flirté avec un régime ‘’kaki’’, dans l’ignorance quasi totale de ce que signifient les Forces armées, comme des vautours à l’affût du désastre, ils invitent le clairon dans le jeu politique. Cette fête est pourtant nationale, donc sans aucune balise partisane, transcendant les partis politiques, les ethnies, les ‘’calvities’’ des uns et des autres. L’idée même de manifester un 4 avril est totalement mal inspirée. Et des officiers n’ont pas besoin de prendre langue avec qui que ce soit pour négocier quelque trêve que ce soit.

Tout homme politique responsable, pour peu qu’il soit imbu des valeurs de la République, devrait de lui-même, sans aucun bras tendu, décider que ce jour est sien. Mieux, il devrait inviter ses militants et sa famille à honorer la mémoire des aînés tombés sur les différents champs de bataille pour défendre les couleurs nationales. On veut bien rappeler, à l’endroit de ceux qui sont atteints d’une certaine forme de ‘’daltonisme’’ politique que ce sont bien le vert, le jaune et surtout le rouge, les couleurs nationales.

La fête de l’Indépendance n’est ni une fête de l’APR ni celle de Macky Sall. En tant que Chef de l’Etat et donc chef suprême des Armées, il en préside les festivités, comme ses devanciers, Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Me Abdoulaye Wade ont eu à le faire. Et cette fête, qui est d’abord celle de l’Armée est célébrée par ses acteurs dont les noms de famille recoupent toute la géographie du pays, du Nord au Sud, d’Est en Ouest. Du fait du mode de recrutement qui est national, on retrouve dans les registres de l’Armée, mieux que chez nos ‘’gaindes’’ du ballon rond, tous les noms de famille du pays. Les casernes sont assurément les endroits où le ‘’melting pot’’ ethnique est bien réel.  La sélection se fait, pour les soldats, au prorata de la population de chaque département. Et les officiers qui subissent un concours très sélectif pour être admis au sein de l’Armée, sont soumis, tout au long de leur carrière à des formations continues. Ce qui fait que l’Armée sénégalaise, en terme de qualité, est l’une des mieux cotés au monde.

Ce n’est pas pour rien que le Sénégal qui est le deuxième contributeur en termes de troupes de l’Organisation des Nations Unies, est très bien côté au niveau des pays de l’Otan.

Ce clin d’œil au ‘’kaki’’ est donc irresponsable, mais surtout dangereux. Il est quand même curieux que la soif d’anarchie, la fascination progressive pour le feu, cette sorte d’instinct morbide qu’on retrouve bien chez les candidats à la traversée de la Méditerranée (vers un paradis tout en mirages) se soient à ce point emparés d’une grande partie de la population. Au point que même l’Armée n’est plus devenue ce sanctuaire, cette zone-limite à ne pas franchir. Titiller ces extrêmes-là, alors même que le Sénégal est cité en exemple parmi les pays qui ont une armée républicaine, comme on en trouve dans les démocraties les plus avancées au monde, peut facilement s’assimiler à une opération hara-kiri, sans gloire aucune.

Un saut dans l’inconnu avec une forte probabilité d’être la première victime du malheur qu’on appelle. Car, il ne faut pas s’en cacher. Pour en arriver à ces extrêmes, il faudrait bien que la République soit d’abord à genou. Que l’autorité souveraine investie par le peuple dans les Institutions soit martyrisée au point qu’elle devienne inopérante. Que les différents chaînons qui font la République se cassent. Et puisque les mots doivent garder leur sens, cela voudrait dire que le niveau d’anarchie serait alors tel qu’on n’aurait pas plus le choix.

Qui peut raisonnablement souhaiter cette perspective ? Et ensuite, il faut comprendre que lorsque le pouvoir est capté par des forces non souveraines, la géographie et l’architecture de l’Etat (pour peu qu’on puisse d’ailleurs parler d’Etat) se métamorphosent. La force brute, le feu et la violence échappent au contrôle au point que ce sont les groupes les plus forts et les mieux organisés qui s’emparent du pouvoir. Une situation qui ressemble fort à ce que l’auteur du Léviathan, Thomas Hobbes décrit dans le Léviathan. Nous devenons des loups, les uns contre les autres. Bonjour le ‘’cannibalisme’’ et malheur aux plus faibles.

Le grand paradoxe réside d’ailleurs là. Car visiblement, on a l’impression que ce sont les plus faibles qui jouent à se rendre… encore plus faibles. La démocratie, pour imparfaite qu’elle soit, assure plus de liberté et de bien-être aux populations que l’anarchie ou la dictature. Et donc, il est de l’intérêt du plus grand nombre de la défendre, de la protéger comme une belle fleur par-dessus les épines.    

Cela ne veut pas dire, pour ceux qui s’opposent, de laisser libre cours au Président Macky Sall à un quelconque agenda. Cela veut simplement dire, circonscrire le périmètre de la bataille politique dans les limites de ce qui est acceptable et raisonnable pour tout le monde. On voit bien ce que sont devenus les niveaux de liberté dans les pays qui ont expérimenté la mode ‘’kaki’’. Les populations n’y sont ni plus heureuses ni plus opulentes. Bien contraire.

Donc, faisons attention aux mots, ils sont souvent, en toute poésie, les messagers invisibles des plus grands maux.

 

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