Publié le 12 Sep 2023 - 00:38
AMADOU BA

Le prix de la patience et de l’endurance

 

Fin manœuvrier, Amadou Ba a su, malgré la levée de boucliers des caciques de l’APR contre sa candidature, s’imposer comme principale alternative dans la course à la succession du président Macky Sall, grâce surtout à son endurance.

 

Le choix est certes sans surprise. Mais il était attendu avec beaucoup d’appréhensions. Et plus l’attente durait, plus les appréhensions se multipliaient. Considéré de manière quasi unanime comme le candidat ayant le meilleur profil parmi les prétendants à la candidature de Benno Bokk Yaakaar, Amadou Ba a dû faire face à un lever de boucliers, surtout de la part de ses ‘’frères’’ de l’Alliance pour la République. Attaqué de toutes parts, traité de militant de la dernière heure, d’être obnubilé par la succession du président, lui a toujours su maintenir le cap, refusant souvent de répondre même aux attaques des plus viles et des plus virulentes. A tel enseigne que nombre d’observateurs ont toujours vu en lui un homme politique peu courageux, taillable et corvéable à souhait par le président de la République. Ce serait mal le connaitre, s’accordent à dire nos interlocuteurs, proches des deux hommes forts du pouvoir.

Doux d’apparence, Amadou Ba peut être féroce sans en donner l’air. ‘’C’est un homme très endurant, un fin manœuvrier. Il se projette, prend son temps et sait avaler des couleuvres. C’est certainement sa plus grande force, ce qui le différencie de beaucoup d’autres acteurs politiques’’, confie ce journaliste, observateur de la scène politique depuis des décennies.

Il fallait l’être, pour survivre dans la jungle APR où, pendant longtemps, Ba a été une sorte de punching-ball pour la plupart des ténors, chez les responsables dits authentiques. De Mahmouth Saleh à Aly Ngouille Ndiaye, en passant par Abdoulaye Daouda Diallo et Abdoulaye Diouf Sarr, l’homme a été la cible de toutes les attaques, si l’on en croit Yérim Seck. Ces relations tumultueuses n’ont pas laissé indemnes les rapports entre Amadou Ba et le chef de la majorité présidentielle. Dans son livre ‘’Macky Sall face à l’histoire…’’, le journaliste Cheikh Yérim Seck revient sur les rapports en dents de scie entre les deux hommes. ‘’Il y a, entre Macky Sall et Amadou Ba, quelque chose comme un avis de tempête permanent. Les rapports entre ces deux personnages nés la même année, mais qui ne se connaissent pas et ne se sont rencontrés qu’à la faveur de leur collaboration au sein de l’État, suivent, à l’image de la météo, les caprices du temps, des vents, des températures…’’.  

Dans son ouvrage, l’ancien journaliste à ‘’Jeune Afrique’’ estimait que ‘’le président et son Premier ministre ne s’aiment pas et ne se font pas mutuellement confiance’’. Cependant, disait-il, chacun, de son côté, s’est évertué à faire ‘’les efforts nécessaires pour ne pas atteindre le point de rupture’’. ‘’Ils ont été fatalement amenés, plus d’une fois, à une cohabitation dictée par des situations politiques objectives’’, soutient le journaliste-écrivain.

Interpellé, ce membre du gouvernement, qui a préféré garder l’anonymat, a tenu à apporter la précision suivante : ‘’Les relations ne sont peut-être pas aussi proches et chaleureuses que celles que le président a par exemple avec quelqu’un comme Abdoulaye Daouda Diallo, mais cela n’est pas le plus important pour ces deux grands hommes d’État. Il y a entre les deux des relations empreintes de respect ; ce qui transcende les rapports personnels, les rapports de camaraderie de parti, parce que ce sont des rapports intrinsèquement liés à l’État. Sous ce rapport, ils sont certains de pouvoir compter entièrement l’un sur l’autre. Je pense que cela a beaucoup joué dans la durée de leur compagnonnage, malgré les vagues.’’

Ancien membre du PS, ancien de la Génération du concret, il a failli être victime de ses rapports avec Sonko

Né à Dakar en mai 1961, Amadou Ba est loin d’être un novice en politique. Conseiller municipal sous le régime socialiste, réputé cadre de la Génération du concret sous Wade, l’homme a su se mouvoir dans tous les régimes qui se sont succédé à la tête du Sénégal. Mais ses plus grandes responsabilités lui ont été confiées par le président Macky Sall, depuis 2012. Directeur général des Impôts et des Domaines de novembre 2006 à la fin du règne de Wade, il sera d’abord confirmé à son poste, avant d’être promu ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, en septembre 2013. Poste qu’il occupe de 2013 à avril 2019, avant de devenir ministre des Affaires étrangères de 2019 à novembre 2020.

Selon nombre d’observateurs, Amadou Ba a été limogé en raison de ses ambitions présidentielles présumées. À l’époque déjà, beaucoup n’avaient pas compris son mutisme, alors même que la plupart de ses amis victimes de la même sanction s’étaient fait entendre par tous les moyens, lui a préféré s’emmurer dans un silence profond. À ceux qui l’ont toujours traité de poule mouillée, son conseiller technique Kadim Dia rétorque : ‘’Il a juste une autre conception de la fonction, de l’État, de la loyauté. Le Premier ministre Amadou Ba est un homme profondément loyal. C’est le président de la République Macky Sall qui l’avait mis à ces postes. À un moment donné, il a estimé devoir le lui retirer. Que vouliez-vous qu’il fasse ou qu’il dise ? Cela entrait dans l’ordre normal des choses et c’est comme ça qu’il l’a toujours perçu. Aujourd’hui, je pense qu’il a eu raison sur tout le monde.’’

 Monsieur Dia d’ajouter : ‘’Au début (du régime), on a dit qu’il était de la Génération du concret. Cela n’a pas empêché le président de le laisser en poste. Après, on a dit qu’il était de Pastef ; on a fait de lui le ministre des Affaires étrangères. Cela en dit long sur la nature de ses rapports avec le président.’’

Pur produit de l’école publique sénégalaise, Amadou Ba est sorti de l’Enam en 1988, en tant qu’inspecteur des impôts. Peu à peu, l’homme fort des Parcelles-Assainies, natif de Grand Dakar, a gravi tous les échelons dans l’Administration fiscale. À sa sortie de la prestigieuse école, il débute sa carrière à Diourbel, avant d’être affecté au Centre des services fiscaux (CSF) de Dakar-Plateau. Commissaire contrôleur des assurances à la Direction des Assurances, entre 1992 et 1994, il revient à la Direction générale des Impôts et des Domaines en tant qu’inspecteur vérificateur ; poste qu’il occupe jusqu’en 2002. Par la suite, il est successivement promu à la tête du Centre des grandes entreprises, de la Direction des Impôts avant d’être bombardé directeur général des Impôts et des Domaines en novembre 2006.

Très respecté dans l’Administration fiscale, mais accusé de promouvoir ses boys

À ce titre, l’homme a été à la manœuvre dans la plus grande partie des réformes de la fiscalité au Sénégal, dont la plus importante a été celle de 2012, à l’avènement du président Sall à la magistrature suprême. ‘’Sur le plan professionnel, témoigne cet inspecteur des impôts, c’est un manager qui sait s'entourer des bonnes compétences, un leader qui fait le pari sur la jeunesse. C’est aussi sous sa direction qu’il y a eu la modernisation de l'Administration fiscale avec le Plan de développement stratégique de l'Administration fiscale’’.

 Compétent, méthodique et très dévoué, le commis de l’État est aussi salué dans la prestigieuse Administration fiscale pour ses qualités humaines qui font presque l’unanimité. ‘’Sur le plan humain, c’est un homme bien, très porté sur le social, un homme qui aide beaucoup les agents en difficulté, un homme de paix et de consensus qui n'a pas de relations difficiles avec les agents’’.

 A la question de savoir quelles sont ses échecs, ses faiblesses ou ses défauts, notre interlocuteur rétorque : ‘’De promouvoir les gens de son clan (ses boys).’’

Très respecté dans l’Administration fiscale où l’ex-parti Pastef jouit de solides soutiens, Amadou Ba pourrait faire basculer la balance. En fait, même avec le patron du parti dissous, Amadou a toujours eu de saines relations. Ce qui n’a d’ailleurs pas manqué de lui couter cher dans la galaxie APR.

De l’avis de Cheikh Yérim Seck, c’est l’un des griefs qui a le plus retenu l’attention du chef de l’État, car il y a eu un précédent.  ‘’Lorsque Sonko a dépassé toutes les limites du tolérable, rompant son obligation de réserve pour se laisser aller à des déballages tous azimuts, Macky Sall a préconisé sa radiation. Amadou Ba a émis une opinion différente, proposant qu’il soit gardé dans la Fonction publique, mais mis hors d’état de nuire, affecté à un poste où il n’aurait plus accès à des informations stratégiques. C’est presque le pistolet à la tempe qu’Amadou Ba a soumis au président le décret portant radiation de Sonko’’.

Au-delà de ses qualités humaines et professionnelles, le choix d’Amadou Ba s’est aussi joué par rapport au rôle qu’il a joué dans le Plan Sénégal émergent, depuis 2014. ‘’Je rappelle que c’est lui qui était à Paris en 2014 pour défendre la stratégie devant les bailleurs. Il y est retourné en 2018 pour le bilan de la première phase du PSE. Son choix peut donc être apprécié comme celui de la continuité’’, commente ce membre du gouvernement. 

MOR AMAR

 

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