Le fardeau de l'héritage

Fils d'Amadou Thiam et de Mariètou Sow (nièce du président Félix Houphouët-Boigny), Tidjane Thiam fait, depuis quelques jours, l'actualité en Côte d'Ivoire et au-delà. Depuis qu'il a été porté à la tête du PDCI-RDA, les origines sénégalaises de son père et sa nationalité française ont été invoquées par ses adversaires pour lui dénier le droit de se présenter à la prochaine Présidentielle. Sur recours d'un militant du parti au pouvoir, le tribunal l'a radié des listes, sous le prétexte qu'il a la nationalité française. Retour sur le parcours atypique des Thiam.
L'affaire défraie la chronique depuis quelques jours en Côte d'Ivoire. Présenté comme un des plus sérieux challengers du parti au pouvoir, le président du PDCI-RDA, Tidjane Thiam, risque de ne pas participer à la prochaine Présidentielle, suite à sa radiation des listes électorales. Motif invoqué par la justice ivoirienne : il aurait acquis la nationalité française en 1987. Or, il résulte du Code de la nationalité de la Côte d'Ivoire que quiconque acquiert une nationalité étrangère après la majorité perd sa nationalité ivoirienne. Avant cette procédure sur la perte de nationalité, d'autres ont eu à opposer au successeur d'Henri Konan Bédié ses origines sénégalaises.
Poussant de nombreux Ivoiriens à rappeler la douloureuse jurisprudence Ouattara, quand ses adversaires invoquaient le concept d'ivoirité pour l'écarter de la course à la présidence. Gbagbo l'avait alors “sauvé” en prenant un décret. Ironie de l'histoire, c'est aujourd'hui l'ancienne victime qui se présente en bourreau, en vue de combattre un de ses principaux adversaires. ‘’EnQuête’’ revient ici sur le parcours fabuleux des Thiam, dont le père Amadou avait quitté le Sénégal dans les années 1940. Ni la Côte d'Ivoire ni le Sénégal n'existait en tant qu'État souverain et indépendant.
Les Thiam, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la France
Figure marquante de l'histoire de la Côte d'Ivoire, le père de Tidjane Thiam fut un brillant et très respecté journaliste, diplômé de l'Institut international de journalisme de Strasbourg et du Studio-école de la Société de radiodiffusion d’Outre-Mer, rapporte l'ancien journaliste à la RTS Samba Mangane. Né le 5 aout 1923 à Dakar, il était français en tant que natif de Dakar (à l'époque, au Sénégal, les personnes nées à Dakar, Gorée, Rufisque ou Saint-Louis avaient la nationalité française, en opposition à ceux qui étaient nés dans d'autres localités et que l'on appelait indigènes). A 24 ans environ, Amadou Thiam décide de quitter Dakar, capitale de l'Afrique occidentale française (AOF), pour s'établir définitivement en Côte d'Ivoire, où il rejoint son oncle Pape Sow, le frère de sa mère Anna Thiam. Samba Mangane explique : “Pape Sow est un compagnon de longue date d’Houphouët-Boigny. Il était aussi l’époux d’Aka Amoin Thérèse, sœur d’Houphouët-Boigny. De cette union est née la mère de Tidjane Thiam, Marie Sow.”
Nièce du premier président de la Côte d'Ivoire, cette dernière, de par son père Pape, est donc cousine et épouse du père de Tidjane Thiam. Elle est ainsi le trait d'union direct entre les Thiam, originaires de Dagana, dans le nord du Sénégal, et les Boigny de Yamoussoukro, en Côte d'Ivoire.
Toujours à propos des origines sénégalaises du père de Tidjane, Samba Mangane précise : “Amadou Thiam et l’ancien Premier ministre Habib Thiam (Premier ministre pendant longtemps et grand ami du président Abdou Diouf, NDLR) sont doublement cousins germains. Mabousso Thiam, père d’Habib Thiam, est le frère de Boubacar Thiam, père d’Amadou Thiam. Mariètou Thiam, mère d’Habib Thiam, est la sœur d’Anna Thiam, mère d’Amadou Thiam. Vous voyez comme les deux familles sont étroitement liées”.
Qui est Mariètou Sow, la nièce d'Houphouët-Boigny, trait d'union entre les Thiam et les Boigny ?
Malgré les liens forts de sang, Amadou Thiam ne sera juridiquement jamais sénégalais. Français depuis sa naissance, il aurait pu, aux indépendances, opter pour la nationalité sénégalaise. Mais il avait choisi de dédier le reste de sa vie à la Côte d'Ivoire, où il s'était déjà fait un nom, en tant que journaliste à la radio nationale. Promu directeur général en 1959, le gendre d'Houphouët-Boigny ne tardera pas à marquer de son empreinte le paysage médiatique ivoirien. Aux indépendances, Houphouët-Boigny décide de le nommer dans son gouvernement. “Lorsque Houphouët-Boigny décide de le nommer ministre de l'Information, il se rend compte qu'Amadou a la nationalité française. Il a alors pris un décret et l'a naturalisé ivoirien”. Pour les enfants, leur mère étant ivoirienne et étant née en Côte d'Ivoire, le problème ne s'est jamais posé.
Du moins jusqu'à ce que le benjamin Tidjane décide d'emboiter le pas au grand-père. Devant le tribunal, ses avocats ont dit avoir produit toutes les preuves, pour montrer que le petit-neveu du premier président est en fait né français, en tant que fils d'un Français. En conséquence, le fameux article 48 sur la perte de nationalité ne saurait lui être applicable. Des preuves qui n'ont pas convaincu la juge en charge de l'affaire. Maitre Dadje Rodrigue : “Nous avons produit la preuve que monsieur Tidjane Thiam est né français. Nous avons produit la copie du registre d'état civil européen, où l'on déclare toutes les personnes qui sont nées françaises. Cette déclaration a été faite par son père monsieur Amadou Thiam qui était lui-même français à cette époque.
Et c'était sa seule nationalité. Heureusement que le registre n'a pas brulé. Il est aussi tenu de façon identique en France, à Nantes.” Cela n'a malheureusement pas suffi pour convaincre la juge qui a soutenu que Tidjane n'avait pas la nationalité ivoirienne au moment de s'inscrire sur les listes électorales, d'où la radiation de celui qui a eu à occuper plusieurs postes de responsabilité dans le pays, dont celui de ministre chargé du Plan.
Son père, Amadou Thiam, fut non seulement ministre, d'abord en 1963, puis de 1978 à 1986. Ancien membre du Bureau politique du PDCI-RDA, membre du Conseil municipal d'Abidjan pendant une trentaine d'années, il fut également ambassadeur à plusieurs reprises, en poste au Maroc où, après un premier passage dans les années 60, il sera à nouveau affecté en 1988, pour y rester jusqu'à sa retraite en 1999.
Ayant quitté le Sénégal bien avant les indépendances, le père de Tidjane n'avait que la nationalité française qu'il a transmise à ses enfants
Décédé le 6 janvier 2009 à Rabat, au Maroc, à l'âge de 85 ans, Amadou Thiam a consacré l'essentiel de sa vie au rayonnement de la Côte d'Ivoire. Ses enfants, dont Tidjane, poursuivent aujourd'hui l'œuvre titanesque. Parmi eux, raconte Mangane, il y a feu Daouda Thiam (ancien ministre des Mines et de l'Énergie sous la présidence de Robert Guéï, ancien conseiller chargé des ressources naturelles auprès du président Alassane Ouattara en 2015 ; Papa Ababakar Thiam (docteur en histoire) ; Augustin Thiam (médecin de formation et gouverneur du district autonome de Yamoussoukro) ; Abdel Aziz Thiam (ancien ministre des Transports sous la présidence de Laurent Gbagbo). En outre, il y a Yamousso Thiam, feu Ndèye Anna Thiam (ancienne cadre de la banque BIAO).
Quand la victime de l'ivoirité se transforme en bourreau
Quant à Tidjane, il est sans nul doute l'un des plus célèbres de la fratrie, l'un des plus brillants également, s'accordent à dire de nombreuses sources. Il était toujours premier de sa classe. Ancien dirigeant du Credit Suisse, ayant conseillé plusieurs grands de ce monde, Tidjane, rappelait ‘’JA’’, a aussi été le premier Ivoirien à être admis à Polytechnique.
De retour à Abidjan, il a eu plusieurs postes de responsabilité, contribué à la construction de pas mal d'infrastructures, avant d'embrasser, au début des années 2000, une riche carrière à l'international.
Nonobstant tous ces services rendus, bien que petits-neveux et héritiers directs du premier président, certains continuent de les considérer comme des Sénégalais. Yamousso Thiam répondait dans ‘’Jeune Afrique’’ : “Cela me fait mal. Je suis d'abord baoulée, ensuite akan et après ivoirienne. Je m'adressais à ma mère en baoulé et je connais la culture sur le bout de mes doigts.” Idem pour Tidjane qui, selon certaines indiscrétions, n'a jamais voulu qu'on le présente comme sénégalais. D'ailleurs, confie une source, contrairement à Augustin, gouverneur de Yamoussoukro, lui ne parle pas wolof.
Par Mor Amar