L’État rétropédale
Indisposé par la décision rendue par le juge Sabassy Faye du tribunal d’instance de Ziguinchor, l’État du Sénégal, à travers l’agent judiciaire de l’État, avait intenté une requête aux fins d’annulation qui, selon beaucoup de juristes, n’avait aucune chance d’aboutir.
Pour certains, c’est un coup de théâtre. Pour d’autres, c’est plutôt un retour à la lucidité, à la sérénité, après le pic de colère provoqué par la décision du tribunal de Ziguinchor dans l’affaire de la radiation d’Ousmane Sonko.
Hier, contre toute attente, les Sénégalais ont appris, via iRadio, que le représentant de l’État s’est finalement désisté de la procédure qu’il avait initiée pour récuser le juge Sabassy. En vérité, cette procédure avait peu de chance d’aboutir et était loin d’agréer certains agents de l’État qui ont milité pour son retrait.
Joint par téléphone, Maitre Abdou Dialy Kane se défend et justifie : ‘’Au moment où l’on introduisait la requête, on croyait que le juge allait se désister. Il faut aussi savoir que c’est en plein procès que nous avons eu l’information selon laquelle le juge a des liens de parenté avec un adjoint au maire ; c’était déjà un peu tard. Mais on espérait quand même que le juge allait sursoir à statuer. Malheureusement, nous avions affaire à quelqu’un qui était venu avec sa décision…’’
En tout cas, à partir du moment où la décision a été déjà rendue, on est tenté de se demander quelle était la pertinence d’une telle requête aux fins de récusations ?
En effet, comme l’explique si bien l’avocat de l’État Me Kane, ‘’la récusation a pour effet d’empêcher le juge de statuer’’. Il déclare : ‘’Ce qui est recherché avec la procédure de récusation, c’est le dessaisissement du juge. Le problème est qu’ici, le juge s’est déjà prononcé. La procédure a été enclenchée un peu tardivement, parce qu’on a appris la décision tardivement, en plein procès. De sorte que le juge, le sachant, a profité de la situation pour rendre sa décision le même jour. On peut dire qu’il l’a fait exprès. Maintenant que le juge a déjà statué, la récusation n’a plus d’objet. L’objet, comme je l’ai dit, c’était justement de l’empêcher de statuer’’, reconnait la robe noire.
Un recours sans objet, selon certains juristes
Il faut souligner qu’aux termes de l’alinéa 2 de l’article 652 du Code de procédure pénale, ‘’la requête en récusation ne dessaisit pas le juge. Toutefois, précise la loi, le premier président (de la cour d’appel) peut, après avis du procureur général, ordonner qu’il soit sursis à la continuation de l’information ou des débats, soit au prononcé du jugement’’.
En langage plus simple, même la loi ne fait pas obligation au juge de ne pas statuer, même si rien ne s’y opposait non plus. Sa décision de rendre un verdict le même jour a donc rendu sans objet la requête de l’État.
Au-delà de ce que certains considèrent comme un défaut d’objet, on peut aussi se demander si le cas du juge Faye est pris en compte parmi les causes de récusation ? Selon certains interlocuteurs, le juge de Ziguinchor n’est dans aucun des cas prévus par les dispositions sur la récusation. Pour eux, l’État allait droit vers le mur, s’il s’entêtait à aller jusqu’au bout de son action.
Les conséquences de ce désistement
Avec l’acte de désistement, l’État non seulement évite un camouflet, une deuxième défaite qui aurait pu être néfaste pour son image, mais surtout va concentrer ses forces sur le recours que lui offre la loi électorale. Un recours qui ramène l’affaire à Dakar, devant la Cour suprême plus précisément. À ce propos, Me Kane précise : ‘’On attend de recevoir le jugement. À partir de là, on a un délai de 10 jours pour déposer notre recours. Il n’y a aucun lien entre la procédure de récusation et le recours en cassation offert à l’État.’’
Sur la procédure relative à la contestation de la décision du tribunal d’instance, la loi électorale affirme : ‘’La décision du président du tribunal d’instance est rendue en dernier ressort. Elle peut être déférée en cassation devant la Cour suprême, conformément aux dispositions de la loi organique sur ladite cour.’’
Selon nos informations, l’État ferait le pied de grue depuis quelques heures pour entrer en possession de la décision du tribunal d’instance. Mais le juge Sabassy semble prendre son temps. Poussant certaines sources proches de l’État à soutenir qu’il serait en violation des textes.
Selon les dispositions de l’article 43 dernier alinéa de la loi électorale modifiée, ‘’le président du tribunal d’instance, saisi dans les formes décrites à l’alinéa 2 du présent article, statue dans les délais fixés à l’alinéa 3 de l’article L39 puis notifie sa décision dans les deux jours à l’intéressé, au préfet ou au sous-préfet’’. Sauf que la décision a été rendue le jeudi et le surlendemain tombait sur le week-end.
Par ailleurs, il faut noter qu’au plan politique, l’État évite, à travers cet acte de désistement, à mener une deuxième bataille à Ziguinchor, où la situation politico-sécuritaire n’est pas des plus favorables.
Mor AMAR