Les diabétiques et le fardeau des amputations
Au centre Marc Sankalé du centre hospitalier Abass Ndao (Chan), les statistiques renseignent que les diabétiques ont 25 fois plus de risques d'être amputés que les non-diabétiques. D’où l’intérêt d’appeler la population à une meilleure prise en charge de leur santé.
Du 14 au 16 novembre 2023, le centre hospitalier Abass Ndao (Chan) va organiser ses premières journées médicales. En prélude à cette journée, un point de presse a été organisé hier. Lors de cette rencontre, la directrice du centre Marc Sankalé a indiqué que toutes les structures de l'hôpital sont concernées par ces journées, car elles collaborent étroitement dans la prise en charge du diabète. La Pr. Maïmouna Ndour Mbaye ajoute que c'est une maladie qui est très fédératrice et qui va concerner tout le monde.
Toutefois, elle alerte que le diabète est en train de prendre le pas sur toutes les autres pathologies ; ce qui ne devait pas être le cas. ‘’Les statistiques des amputations au niveau du centre montrent que les diabétiques ont 25 fois de risques d'être amputés que les non-diabétiques. Nous avons fait une étude dans les structures chirurgicales du pays et on est allé voir quelles sont les raisons de ces amputations dans ces structures. Soixante-dix pour cent des amputations non traumatiques qui sont réalisées ont pour cause le diabète et 3/4 de ces amputations étaient des amputations majeures qui veulent dire une amputation de jambes ou de cuisses à l'opposé des amputations mineures qui sont celles des orteils’’, renseigne-t-elle.
La Pr. Ndour Mbaye d’ajouter que ‘’le pôle mère-enfant est la caractéristique de cet hôpital où il y a la prise en charge du diabète. Le service obstétrique fait également partie de la prise en charge du diabète dans cet hôpital. Car, quand on parle du diabète chez la femme, on pense au diabète gestationnel, celui qui survient dès la grossesse. On parle des femmes diabétiques qui sont en grossesse également. Ce qui fait qu'il y a une excellente collaboration entre les différents services de l'hôpital’’.
En outre, elle rappelle que le diabète sucré, c'est quand les urines des patients sont sucrées, car les reins essayent d'éliminer le sucre dans le sang en le faisant passer dans les urines. ‘’Quand on parle du diabète tout court, il s'agit du diabète sucré qui est de loin le plus répandu. Il y a un autre type de diabète qui lui n'est pas sucré, dénommé insipide, même s'il est une entité très rare qui n'a rien à voir avec le diabète sucré qui est dû à un excès de sucre dans le sang’’, précise-t-elle.
Avant d’expliquer que, quand on parle du diabète, on parle forcément d’obésité, d’hypertension artérielle et d’excès de cholestérol.
Le centre Marc Sankalé s’occupe, donc, de la prise en charge coordonnée, thérapeutique allant du suivi aux contrôles de routine, les consultations d’urgence, examens d’imagerie permettant de protéger ces patients des complications du diabète. Les services pédiatrique, cardiologique et ophtalmologique travaillent en étroite collaboration avec le centre pour améliorer la prise en charge des malades. ‘’Nous participons à la formation des personnels de santé. L’objectif, c’est de décentraliser la prise en charge, à l’image de ce qui se fait au niveau du centre Marc Sankalé et de l’hôpital Abass Ndao. Le centre est créé depuis 1994. Il collabore avec l’Organisation mondiale de la santé. Il s’agit d’un centre d’excellence reconnu dans le traitement du diabète. C’est un dispositif unique dans la carte sanitaire du pays’’, explique-t-elle.
‘’On a plus de 60 000 personnes qui sont régulièrement suivies dans le centre’’
‘’C’est un fardeau. De par sa fréquence grandissante, le diabète fait parler de pandémie. Le fait alarmant dans nos pays, c’est que la croissance sera beaucoup plus grandissante d’ici 2045. On est actuellement à 24 millions de diabétiques en Afrique. Et d’ici 2045, si l’on n’y prend pas garde, on sera à 55 millions. Ce qui représente une augmentation de 134 %, de loin de ce qui sera observé dans les pays développés. Donc, si on prend les statistiques du Sénégal, notamment au niveau du centre Marc Sankalé, on est passé de 200 nouveaux cas par an à l’ouverture du centre en 1965, à plus de 2 500 nouveaux cas annuels. Actuellement, on a plus de 60 000 personnes qui sont régulièrement suivies dans le centre. Ce qui est énorme. La dernière enquête Step qui a été menée au Sénégal avait trouvé un taux de 3,4 % dans la population âgée de 18 ans et plus. Mais si on est dans la catégorie de plus de 45 ans, on est à 7,8 % de la population atteinte de diabète sucré’’, révèle-t-elle.
Elle poursuit : ‘’Et là, l’enquête a recommencé pour voir qu’elle est l’évolution depuis 2015. C’est une affection qui est grave en raison de ses complications qui peuvent affecter plusieurs organes : les yeux conduisant à la cécité, le rein avec l’insuffisance rénale, les dialyses à n’en plus finir, le cœur avec les arrêts cardiaques, les AVC dus à l’atteinte du cerveau. Et lorsque cela atteint les membres inférieurs, cela occasionne les amputations. Donc, c’est un fardeau qui coûte cher. Le coût économique est considérable, coût en termes de médicament, contrôle, consultation. Vraiment, les malades en souffrent beaucoup. Et comme on le sait, la plupart de nos malades ne bénéficient pas d’une prise en charge médicale permettant de faire face à ces frais médicaux.’’
Plaies diabétiques : une amputation par jour au centre
Sur cette lancée, le président de la commission médicale de l'établissement, Dr Ibrahima Sow, a précisé qu’ils font au moins une amputation par jour au centre Marc Sankalé. ‘’Nous faisons chaque jour une amputation majeure dans ce centre. Mais au minimum, nous enlevons un orteil ou deux quotidiennement. Il arrive que l'on fasse deux amputations par jour. Ce qui interpelle les populations à aller se faire dépister. Ces plaies diabétiques sont en train de prendre le dessus sur notre activité chirurgicale. Parce que la moitié de nos services sont occupés par les pieds diabétiques. Ce même cas est visible en médecine’’, constate le spécialiste.
Il tire la sonnette d’alarme. ‘’Nous lançons un appel à nos collègues des autres hôpitaux pour que la prise en charge soit décentralisée, parce que si on continue à ce rythme, on ne va recevoir que des pieds diabétiques et l'activité chirurgicale viscérale va mourir. Les amputations qui sont invalidantes provoquent la peur chez les malades qui ne veulent plus venir à l'hôpital pour se soigner. Pour les rassurer, il y a des mesures après les amputations avec l'utilisation des prothèses, des appareillages orthopédiques. Nous sommes débordés par les pieds diabétiques’’, alerte-t-il.
La présidente de la commission d'organisation desdites journées de renchérir que la capacité d'accueil de cet établissement sanitaire ne leur permet pas de faire plus. C'est pourquoi, d’après Dr Zeynabou Lo, ils se limitent à un ou deux amputations par jour. ‘’Nous en recevons tellement qu'aujourd'hui, on ne peut pas absorber. Quand les services de diabétologie et de chirurgie sont pleins, on n'a pas le choix, on arrête de prendre. Toute la bataille qui se fait autour du diabète, c'est qu'on n'arrive plus à amputer quelqu'un. Aujourd'hui, c'est d'autant plus grave que l'hôpital Le Dantec est fermé. Nous abritons sa chirurgie, mais nous n'avons pas la capacité d'absorber tous ces diabétiques’’, constate Dr Zeynabou Lo.
Les objectifs des journées médicales
Concernant les journées médicales, il sera question, selon le directeur du Chan, Dr Amadou Ndiaye, d’échanges entre la population et les médecins, des consultations gratuites dans différentes maladies, mais aussi de montrer à la population ce qui est en train de se faire au niveau de cet hôpital. ‘’Ces journées vont servir d’ouverture aux populations par rapport à ce que nous faisons. Cela, afin qu’elles sachent quel type de spécialité nous développons. L’hôpital a grandi du point de vue architectural et spécialités. Beaucoup d’autres spécialités seront ajoutées. Des séances de dépistage seront organisées qui seront gratuites. Cela va concerner le diabète, le VIH et le cancer du col de l’utérus. Ce sera un moment de communion par rapport à tous les médecins, les agents administratifs et de tout le personnel’’, explique Dr Ndiaye.
La Pr. Maimouna Ndour Mbaye d’ajouter que le choix du thème, ‘’Le diabète sucré’’, s’explique par le fait que cette maladie les occupe de manière journalière. Le choix se justifie par la place importante qu’occupe le centre Marc Sankalé au sein de l’hôpital Abass Ndao. Le centre a été créé face au nombre important de diabétiques hospitalisés à l’hôpital Principal et à l’hôpital militaire de Ouakam. Il s’agissait de diabétiques hospitalisés pour des affections aiguës et même mortelles.
Le centre, poursuit-elle, s’est tout de suite fixé comme objectif d’offrir une prise en charge ambulatoire, un suivi régulier pour empêcher que ces diabétiques ne viennent au stade de complications qui sont le plus souvent mortelles. Et ledit centre est devenu la première structure dédiée à la prise en charge du diabète partant des autres maladies chroniques.
CHEIKH THIAM