Près de 500 enregistrements audio réceptionnés à l’Ifan
Les tirailleurs sénégalais de la Première Guerre mondiale, prisonniers en Allemagne, ont été enregistrés entre 1915 à 1918. Une très grande partie de ces éléments sonores a été réceptionnée, hier, à l'Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). L’objectif est de les exploiter afin de retracer l’histoire, d’analyser les cultures et les sociétés africaines du début du XXe siècle, de comprendre les dynamiques et l’évolution du langage et de préserver la mémoire collective.
Des archives sonores des tirailleurs sénégalais de la Première Guerre mondiale ont été réceptionnées, mardi, à l'Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Il s'agit de près de 500 enregistrements audio, plus précisément 456, en provenance d'Allemagne, datant de 1915 à 1918, accompagnés de métadonnées et d'affiches. On y retrouve, entre autres langues, le wolof, le pular, le baoulé, le haoussa (en Mauritanie), mais aussi l’allemand.
‘’En ce moment, le froid est atroce. Ils veulent nous amener… Cela nous déplait vraiment. Où qu’ils puissent nous amener aussi, c’est bien mieux… Guerre… Sinon on allait rentrer chez nos parents où chacun s’occupera de son travail’’, peut-on entendre, dans un enregistrement sonore, la voix d’un prisonnier africain de la Première Guerre mondiale qui s’exprimait en wolof.
Accompagné d’Alina Januschek, anthropologue culturelle et sociale spécialisée dans la culture matérielle dans les archives, le responsable des archives au Centre pour la technologie culturelle de l’université de Berlin, Dr Christopher Li, a remis les documents sonores au directeur de l'Ifan Abdoulaye Baïla Ndiaye.
Pour lui, cette remise consiste à donner la parole aux chercheurs africains. Un processus de décolonisation. ‘’Ces enregistrements ont été faits pendant la Première Guerre mondiale. L’exploitation date des années 40, mais c’était une perspective purement coloniale. Amener ces enregistrements en Afrique entre dans le cadre de la décolonisation. Il s’agit de donner la parole aux Africains pour l’exploitation de ces documents’’, a déclaré le Dr Li, également chercheur associé au Hermann Von Helmholtz-Zentrum für Kulturtechnik de l’université Humboldt de Berlin. Pour le moment, nous avons sélectionné des corpus qui peuvent être localisés au niveau de l’Afrique de l’Ouest. Mais plus tard, nous allons donner tous les éléments’’, a-t-il poursuivi.
Ces enregistrements devraient permettre de retracer l’histoire, d’analyser les cultures et les sociétés africaines du début du XXe siècle, de comprendre les dynamiques et l’évolution du langage et de préserver la mémoire collective. Anthropologues, historiens, spécialistes de l’oralité, conservateurs, linguistes et archivistes du Département de l’information scientifique de l’Ifan ont pris part à cette cérémonie de remise des bandes sonores. Des chercheurs issus de ces différentes disciplines se chargeront de leur exploitation.
Le DG Abdoulaye Baïla Ndiaye relève que les Allemands n'avaient peut-être pas tous les moyens, à leur niveau, d’exploiter ces données. En outre, il fait remarquer qu’il y a aussi des questions d’éthique et de morale liées à ces enregistrements. ‘’Ils ont décidé de les remettre à l’Afrique, parce que ces enregistrements viennent des communautés africaines’’, a-t-il indiqué. Et d’ajouter : ‘’Par rapport aux langues dans lesquelles ces enregistrements ont été faits, des chercheurs africains qui comprennent ces langues seront en mesure de les exploiter. Au-delà de l’aspect scientifique, il y a également une question humaine, une question sociale, parce que ces personnes appartiennent à des communautés. Celles-ci ont besoin de savoir que sont devenues ces personnes qui sont parties en Europe et ne sont pas revenues chez elles.’’
Aux yeux du directeur de l’Ifan, l'utilisation des enregistrements réalisés sans le consentement de ces prisonniers africains en Allemagne permettra de découvrir des informations qu’ils souhaitaient transmettre sans que l'interrogateur en ait connaissance. ‘’Il parait même que, quelquefois, il y a certaines choses qu’ils disent et qui se rapportent à leurs conditions. La personne qui exploitera ces documents pourra faire ressortir tous ces points’’, soutient Abdoulaye Baïla Ndiaye.
Dans le cadre de ces recherches, un financement a été obtenu grâce à la fondation des Arts perdu d'Allemagne également connue sous le nom de Stiftung Kunsfonds.
BABACAR SY SEYE - THECIA EKOMIE (STAGIAIRE)