Publié le 28 Nov 2024 - 13:11
SUCCESSION DE COUPS D'ÉTAT AU SAHEL DEPUIS 2020

La préservation des libertés fondamentales face aux coups de ‘’botte’’ oppressants des militaires

 

Depuis 2020, le Sahel est marqué par une succession de coups d’État militaires, renversant les régimes démocratiques en place. Le Mali, le Burkina Faso et plus récemment le Niger sont dirigés par des juntes militaires qui promettaient, à leur arrivée, de restaurer la sécurité et la souveraineté nationale. Quatre ans après au Mali, deux au Burkina et un au Niger, un sombre bilan se dessine en matière de libertés individuelles et collectives.

 

Depuis les coups d’État qui ont marqué la région du Sahel ces dernières années, les libertés individuelles au Mali, au Burkina Faso et au Niger connaissent un recul inquiétant. La promesse de stabilité et de sécurité brandie par les juntes militaires contraste aujourd’hui avec une réalité marquée par une répression accrue des libertés civiles et politiques.

Niger : la captivité de Mohamed Bazoum, symbole de la dérive autoritaire

Depuis le 26 juillet 2023, l'ancien président nigérien Mohamed Bazoum est séquestré dans deux pièces de sa résidence au palais de la République. Privé de liberté avec son épouse, il est coupé du monde extérieur par les putschistes qui l'ont renversé. Refusant de céder, Bazoum reste convaincu de sa légitimité et incarne aujourd'hui le symbole d'une résistance démocratique face à la force brute. Toutefois, l'émotion et la mobilisation internationales qui avaient marqué les premiers mois s'effritent peu à peu, laissant place à une résignation inquiétante.

Pour contrer ce risque d'oubli, 26 personnalités africaines et internationales ont décidé de s'adresser directement à lui. Politiques, juristes, intellectuels et acteurs culturels se sont mobilisés, chacun portant un message unique de soutien, de colère ou d'émotion. Ces lettres, publiées dans un ouvrage collectif, rappellent les valeurs que Mohamed Bazoum incarne : un homme de principes, fervent défenseur de la démocratie et de l'État de droit. Au-delà du soutien personnel, ces missives sont un cri d'alarme face à la régression démocratique en cours, appelant à une mobilisation urgente pour la libération de l'ancien président.

Le sort de Mohamed Bazoum n'est que la partie émergée de l'iceberg. Le 5 novembre dernier, la junte nigérienne a annoncé de nouvelles sanctions contre sept proches du régime déchu, les accusant d'appui à des ‘’attentats terroristes’’ ou de ‘’collusion avec une puissance étrangère’’. Parmi les personnes visées figurent deux anciens ministres influents, Hassoumi Massaoudou et Alkache Alhada, déchus de leur nationalité nigérienne. Ces accusations, souvent sans preuve, sont le signe d’une stratégie systématique d'intimidation visant à éliminer toute opposition politique et à museler les voix dissidentes.

Mali et Burkina Faso : la liberté en berne

Au Mali, où les militaires sont au pouvoir depuis août 2020, la situation n'est guère plus reluisante. La presse est muselée, les manifestations interdites et les défenseurs des droits humains font face à des menaces constantes. Les journalistes critiques envers la junte risquent l'exil ou l'emprisonnement. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, les autorités multiplient les arrestations arbitraires et restreignent les libertés publiques. Le droit de réunion est devenu un luxe inaccessible et toute contestation est vite étouffée. L'arrestation récente d’Issa Kaou N'Djim, figure politique de premier plan, en est une illustration frappante.

Ancien soutien du colonel Assimi Goïta, N'Djim a été arrêté pour avoir critiqué les dirigeants militaires du Burkina Faso, allié stratégique du Mali. Accusé d'avoir ‘’insulté un chef d'État étranger’’, il a été conduit à la prison centrale de Bamako. Une mesure qui suscite l'indignation parmi les défenseurs des droits humains. Le dimanche le 24 novembre 2024, sur Joliba TV News, N'Djim avait mis en doute la véracité d'un coup d'État déjoué au Burkina Faso. Ces déclarations lui ont valu une arrestation rapide, démontrant l'intolérance démesurée des autorités maliennes envers toute critique, même indirecte. Son fils, Ousmane N'Djim, a dénoncé un acte visant à étouffer la dissidence. ‘’Il sait qu’il est arrêté en raison de son combat politique’’.

Joliba TV News, un média sous le joug des régulations politiques

La répression ne s’arrête pas là. Joliba TV News, média reconnu pour son indépendance et suivi par une large audience, a été contraint de suspendre ses activités. Le 26 novembre, la Haute autorité de la communication (HAC) du Mali a retiré sa licence, à la suite d'une plainte du Conseil supérieur de la communication burkinabé. Ce dernier n'a pas apprécié les critiques formulées lors d’une émission sur le prétendu coup d’État manqué. Une décision controversée, qui a provoqué des réactions vives de la part des organisations de journalistes et de la société civile malienne.

Malgré les appels à la révision de cette décision, la HAC campe sur ses positions. La Maison de la presse et Reporters sans frontières (RSF) dénoncent une atteinte flagrante au pluralisme médiatique. Pour RSF, cette suspension est clairement politique et illustre un processus inquiétant de contrôle de l’information par les régimes militaires. La médiation en cours, bien que jugée productive par certains acteurs, n’a pas encore abouti, et l’avenir de Joliba TV reste incertain.

Ces événements s’inscrivent dans un contexte plus large de restriction des libertés individuelles et de la presse au Mali. Depuis le coup d’État de 2020, les autorités militaires exercent un contrôle de plus en plus strict sur les médias et les opposants politiques. Les arrestations arbitraires, les intimidations et les suspensions de médias critiques sont devenues monnaie courante.

Pour les opposants aux militaires, le cas d’Issa Kaou N'Djim n’est pas isolé. Il est l’expression de la volonté du régime de réduire au silence toute voix discordante, en utilisant des prétextes juridiques discutables. La liberté de la presse, pilier fondamental de la démocratie, est en péril et le Mali s'enfonce chaque jour davantage dans un autoritarisme préoccupant.

Les défenseurs des droits humains, les journalistes et la société civile continuent de résister, mais la répression s’intensifie. Le retrait de la licence de Joliba TV n’est pas seulement une affaire médiatique ; il s'agit d'un signal clair envoyé à tous ceux qui osent critiquer le pouvoir. La communauté internationale, qui avait salué les promesses de transition démocratique, se doit désormais d’agir pour empêcher que le Mali, et plus largement le Sahel, ne bascule pas dans une dictature sans retour.

Burkina Faso : la société civile et les partis politiques face à la répression croissante

Au Burkina Faso, la situation est tout aussi préoccupante. Depuis l'arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, les libertés civiles ont été réduites à peau de chagrin. Les autorités utilisent la menace terroriste comme prétexte pour justifier des mesures autoritaires. Les médias indépendants subissent des pressions sans cesse, et les activistes des droits humains sont régulièrement arrêtés ou intimidés. Les réseaux sociaux, jadis espaces de libre expression, sont surveillés, et la censure devient monnaie courante.

La situation des libertés individuelles s’est considérablement détériorée depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré. Le 20 novembre 2024, les signataires de la déclaration du 31 mars ont une nouvelle fois appelé à la libération immédiate de tous les détenus d’opinion. Ce collectif, composé de partis politiques, d’organisations de la société civile et de personnalités indépendantes, dénonce une érosion préoccupante des acquis démocratiques. Pour eux, le régime actuel s’emploie à imposer une ‘’pensée unique’’, muselant toute voix dissidente.

Pour beaucoup d’observateurs, cette déclaration marque un tournant. Après des mois de patience et de tentatives de dialogue, les signataires estiment qu’ils ne peuvent plus tolérer la remise en cause systématique des libertés fondamentales. Les arrestations arbitraires se multiplient, visant principalement les opposants politiques et les journalistes critiques envers le régime. La liberté d'expression, jadis une fierté nationale, est aujourd’hui reléguée au second plan. Les médias indépendants font face à des pressions constantes, et les réseaux sociaux sont étroitement surveillés.

Parmi les mesures les plus contestées, figure l’arrestation de 11 leaders politiques, détenus sans procès depuis plusieurs mois. Les partis politiques ont lancé une mise en garde claire au régime : la répression ne saurait étouffer indéfiniment les aspirations démocratiques du peuple burkinabè. Ils exigent non seulement la libération de ces figures emblématiques, mais aussi le respect des droits constitutionnels. La patience de la population atteint ses limites, et le risque d'une escalade de tensions sociales devient palpable.

Dans ce climat oppressif, l’appel des signataires de la déclaration du 31 mars sonne comme un rappel à l’ordre. Il est synonyme d’un combat pour les libertés fondamentales, menacé par une gouvernance autoritaire sous couvert de lutte contre l’insécurité. La société civile et les acteurs politiques promettent de maintenir la pression, refusant que le Burkina Faso sombre dans l’autoritarisme et la pensée unique.

Dans ces trois pays, les régimes militaires justifient leur prise de pouvoir par la nécessité de restaurer la sécurité face à la menace djihadiste. Pourtant, la réalité est tout autre : la situation sécuritaire continue de se dégrader, tandis que les droits fondamentaux sont systématiquement bafoués. Loin de renforcer la stabilité, ces juntes alimentent un cycle de répression et de violence qui risque d'aggraver les crises sociales et politiques.

Face à cette régression, la communauté internationale semble impuissante, partagée entre condamnations diplomatiques et realpolitik. Pourtant, la mobilisation reste essentielle. Les lettres adressées à Mohamed Bazoum rappellent que la lutte pour la démocratie et les libertés individuelles ne doit pas faiblir. Elles sont un appel à la résistance, non seulement pour le Niger, mais aussi pour le Mali, le Burkina Faso, et l'ensemble du Sahel.

AMADOU CAMARA GUEYE

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