Publié le 7 Mar 2025 - 00:47
OUATTARA ET MAHAMA LANCENT UN APPEL A L’AES

Un retour dans la CEDEAO, une mission quasi impossible ?

 

Dans un contexte régional marqué par des tensions politiques, économiques et sécuritaires, les présidents Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire et John Dramani Mahama du Ghana ont lancé un appel aux pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) – le Mali, le Niger et le Burkina Faso – pour qu’ils reviennent dans le giron de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cet appel, formulé lors d’une rencontre à Abidjan le 5 mars 2025, intervient alors que les trois pays de l’AES affichent une détermination sans faille à poursuivre leur projet de monnaie commune et de passeport commun, symboles de leur quête de souveraineté et d’indépendance vis-à-vis de l’influence française et des structures régionales perçues comme inféodées à des intérêts extérieurs.

 

Lors d’un point de presse conjoint, Alassane Ouattara a souligné l’importance de maintenir l’unité régionale face aux défis sécuritaires et humanitaires qui frappent le Sahel. ‘’Nous avons noté la nécessité d’apporter une assistance à ces pays frères pour leur permettre de faire face aux besoins humanitaires et sécuritaires. Nous vous faisons confiance, Monsieur le Président, pour qu’à l’occasion de vos entretiens avec ces pays frères, vous puissiez les convaincre de rester dans la CEDEAO, car il y va de l’avenir des peuples de l’Afrique de l’Ouest’’, a déclaré le président ivoirien.

John Dramani Mahama, quant à lui, a insisté sur l’avantage d’une union élargie. ‘’Il y a toujours la possibilité de ramener nos pays frères à la maison. Il est bon de rester dans un groupe de 15 que de rester dans un groupe de trois. Ce sont des pays qui comptent dans la sous-région. Il est important, pour ces pays-là, de rester dans l’espace CEDEAO, dans la mesure où il y a leurs populations sur les lignes des frontières pour des intérêts économiques’’.

Cependant, cet appel semble peu susceptible d’aboutir, compte tenu de la détermination des pays de l’AES à affirmer leur souveraineté et à se distancier de la CEDEAO, qu’ils accusent d’être sous l’influence de la France. Les trois pays ont déjà entamé des projets concrets pour renforcer leur alliance, notamment la création d’une monnaie commune et d’un passeport commun, symboles de leur volonté d’indépendance et de coopération renforcée.

La monnaie commune de l’AES : un projet symbolique et stratégique

Le 11 février 2024, le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte militaire du Niger, a annoncé la possibilité de création d’une monnaie commune pour les pays de l’AES. Selon lui, cette monnaie serait une ‘’étape de sortie de la colonisation’’, en référence au franc CFA, perçu comme un vestige de l’influence française en Afrique de l’Ouest. ‘’La monnaie est un signe de souveraineté et les États de l’AES sont engagés dans un processus de recouvrement de leur souveraineté totale’’, a-t-il déclaré. La création d’une monnaie commune pourrait apporter des avantages économiques significatifs aux pays de l’AES.

En effet, ces pays sont d’importants producteurs agricoles et pastoraux, et une monnaie commune leur permettrait de renforcer leurs échanges commerciaux régionaux sans dépendre du franc CFA. Sur le plan diplomatique, cette initiative renforcerait leur alliance et leur permettrait de se positionner comme des acteurs souverains sur la scène internationale.

Cependant, la mise en place d’une monnaie commune nécessitera une coordination étroite des politiques macroéconomiques et budgétaires entre les trois pays. Les experts monétaires devront également surmonter des obstacles techniques et logistiques pour assurer la stabilité et la crédibilité de cette nouvelle monnaie.

Le passeport commun de l’AES : un symbole d’intégration

Le 29 janvier 2025, les pays de l’AES ont annoncé la mise en circulation de leur passeport commun, marquant ainsi une nouvelle étape dans leur processus d’intégration. Selon le général Assimi Goïta, président en exercice de l’AES, ‘’les citoyens de la confédération AES détenteurs des anciens passeports arborant le logo de la CEDEAO en cours de validité peuvent les faire remplacer par les nouveaux passeports de l’AES’’.

Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la réponse des pays de l’AES aux critiques adressées à la CEDEAO, qu’ils accusent d’être inféodée à la France et de ne pas avoir soutenu leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme. En créant un passeport commun, les trois pays affirment leur volonté de se distancier des structures régionales existantes et de renforcer leur coopération bilatérale et multilatérale.

Des divergences profondes

Malgré l’appel des présidents Ouattara et Mahama, un retour des pays de l’AES dans la CEDEAO semble peu probable, compte tenu des divergences profondes entre les deux blocs. Les pays de l’AES ont clairement exprimé leur volonté de poursuivre leur projet de monnaie commune et de passeport commun, symboles de leur quête de souveraineté et d’indépendance.

Le retrait des pays de l’AES de la CEDEAO intervient dans un contexte régional marqué par des tensions politiques, économiques et sécuritaires. Les trois pays, confrontés à des crises profondes et à la menace jihadiste, ont choisi de se tourner vers de nouveaux partenaires, notamment la Russie et la Chine, pour renforcer leur sécurité et leur développement économique.

L’avenir de la CEDEAO en question

Le retrait des pays de l’AES pose des défis majeurs à la CEDEAO, qui doit faire face à une crise de légitimité et à une remise en question de son rôle dans la région. Pour regagner la confiance des pays de l’AES, la CEDEAO devra engager des réformes profondes et répondre aux préoccupations légitimes de ses membres.

L’appel de Ouattara et de Mahama aux pays de l’AES reflète les tensions et les divisions qui traversent l’Afrique de l’Ouest. Alors que les deux présidents plaident pour une union élargie et une coopération renforcée au sein de la CEDEAO, les pays de l’AES affichent une détermination sans faille à poursuivre leur projet de monnaie commune et de passeport commun, symboles de leur quête de souveraineté et d’indépendance.

Dans ce climat délétère, un retour des pays de l’AES dans la CEDEAO semble peu probable, compte tenu des divergences profondes entre les deux blocs. L’avenir de la région dépendra de la capacité des acteurs régionaux à surmonter leurs différences et à œuvrer ensemble pour relever les défis communs, qu’ils soient sécuritaires, économiques ou politiques.

Amadou Camara Gueye

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