«Nous avons payé des agresseurs pour neutraliser Farba Senghor»
«Ça a commencé non pas le 23 juin mais plutôt le 20 avec les préparatifs de la fameuse réunion du 22 juin à Daniel Brottier. Il y avait Y’en a marre qui avait fait sa mobilisation à part, et le mouvement de résistance «Touche pas à ma constitution». On s’était réuni au siège de la Raddho pour dire non à la candidature d’Abdoulaye Wade et non à un 3ème mandat...
«Comment procéder ? C'est la grande question entre le 20 et le 23 juin 2011. Il faut déclencher le mouvement car on s'est dit qu’il y a trop de politiciens, de cadres des Assises nationales, d’autres partis non membres des Assises. Les gars de Y’en a marre ont dit que si on laisse les gens des Assises et des autres partis politiques affronter seuls Abdoulaye Wade, ils ne parviendraient à rien, et que cela pourrait finir en queue de poisson. Fadel Barro et ses amis sont venus à Brottier le 22 pour dire que Y’en a marre est disposé à actionner maintenant, en allant au Palais, à l’Assemblée nationale, faire tout pour éviter que les députés votent la loi.
«Attaquer le siège des Impôts et domaines»
«On avait placé des jeunes aux alentours de Brottier. C’est-à-dire près de la Place de l’indépendance, à côté de chez moi à la rue Sandiniéry, à Ponty. Il faut attaquer le siège des Impôts et domaines, le Trésor, et avancer vers le Palais puis sur l’Assemblée. On a donc pris d’assaut la Place de l’indépendance et ses artères en surprenant même le Commissariat central juste à côté. Jusqu’à 22h, ça a chauffé car Dakar est à feu et à flammes. On s’est donné rendez-vous le 23. Mais en même temps, il faut faire pression pour que Fou malade et Thiat soient libérés. C'est alors que Simon et Keur-Gui ont pris le relais, en commençant par chauffer l'ambiance à partir de la Cathédrale. Oui, on a contribué à faire sortir le peuple dans la rue. Ce qui a été bien ce 23 juin et que beaucoup de gens n’ont pas compris, c’est que c'est la presse qui a amené les gens dehors.
«On s'était préparé pour une guérilla urbaine»
«La veillée d’armes est très compliquée par les arrestations de Thiate et Fou Malade par la police. Nous du Nouveau parti des travailleurs (NPT), on voulait que chacun gère son plan d’action. Moi je contrôlais très bien le Plateau car je suis un responsable politique là-bas. Je me suis dit que la meilleure façon d'agir est d’empêcher d’abord les députés d’accéder à l’hémicycle. Pour cela, on a positionné tous nos jeunes, même ceux qui étaient dans les grottes, les agresseurs. On les a grassement rémunérés. L'objectif était d'empêcher les gars de Farba Senghor de louer les services de ces agresseurs là. Quand on a mis la main sur ces agresseurs là, on les a postés sur la corniche, d’autres sur Sandaga, certains à la place de l’indépendance. On devait neutraliser Farba. Entre temps, il y avait une autre réunion à Mermoz avec Barthélémy Dias, et une autre à la maison du Parti socialiste avec les jeunes de Convergence socialiste. Dans tous les cas, on s’était préparé à une guérilla urbaine...
Quand les jeunes de Y’en a marre sont entrés dans la salle de Brottier pour exiger l'arrêt des charabias et inciter à descendre sur le terrain, les jets de cailloux ont commencé, les lacrymogènes aussi. Il fallait voir les leaders politiques sortir de l’autre côté et prendre la tangente en abandonnant les jeunes sur place ! Mais le déclic avait été obtenu, car c’est à partir de ce 22 juin que le mouvement du 23 juin est né.
«Le point focal : le domicile de Cheikh Tidiane Sy»
«Le jour J, je suis à un endroit stratégique, sur un immeuble dont je ne veux pas citer le nom. Au 14éme étage. On a trois portables avec nous pour coordonner tout cela. Il faut être en contact avec chaque responsable afin d'organiser la jonction. Si la police quadrille les espaces, on fait le tour en passant par la gare pour déboucher sur la Place de l’indépendance. Ce jour là, Dieu est avec nous. Il y a un fou qui est venu nous défier : il s’appelle Farba. On a donné l'ordre à nos jeunes de riposter et d’aller attaquer directement. A ce moment là, le commissaire Harona Sy est complètement débordé. Et lorsque Alioune Tine a été agressé, cela a décuplé notre motivation. «Nous avons donné l’ordre d’attaquer d’abord la maison de Farba Senghor, puis l'Hôtel des députés. Le point focal, c’était d’attaquer le domicile de Cheikh Tidiane Sy (NDLR : le ministre de la Justice qui a défendu la loi à l'Assemblée nationale), mais des gendarmes du GIGN sont postés là-bas. On y a renoncé.
«Simon, il a vraiment été tabassé»
«Quand Abdoulaye Wade a dit à Me El hadji Diouf «félicitations, vous avez gagné, on a retiré le projet de loi», nous on n’y croit pas trop. A cette heure-là, les députés sont encore à l’Assemblée nationale pendant que Dakar est à feu et à flammes. Un autre objectif, aller déloger les Thiate, Fou Malade et consorts. Je suis avec Simon quand les flics nous ont cueillis. Simon a vraiment été tabassé, lui. Moi j’ai mis en œuvre une stratégie avec les policiers : je me suis rendu, les mains en l’air. Ils m'ont épargné car on se connaît. Après, j'ai secouru Simon pour l’amener auprès des éléments de la Croix Rouge. A 20h, on m’a appelé pour m'informer que Thiat est libéré...
Propos recueillis par Daouda Gbaya