Ma mère, cette inconnue
De Philippe Labro - Gallimard – Mars 2017
« Voilà, j’ai fini ce livre et c’est dommage. Pendant que je l’écrivais, j’étais avec elle ». Ces mots d’Albert Cohen extraits de son ouvrage « Le livre de ma mère », figurés en chapeau de ce récit, semble annoncer la trame. Pourtant et en plus de ressusciter sa mère, l’auteur cherche à disséquer les secrets qu’elle a tus toute son existence durant.
Elle est partie il y a de cela 7 ans rejoindre son mari qui lui, l’attendait depuis 27 ans.
Une mère, une inconnue, comment est-ce possible pour celle-là qui fut plus qu’une mère, qui était une maman et une complice ? Parce que les albums souvenirs qu’elle collectionnait au nombre de dizaines, ne révèlent rien d’elle sinon que sa vie avec son mari, ses joies avec ses quatre enfants et ses petits-enfants que l’auteur a voulu remonter le cours de l’histoire.
Des mystères jalonnent la vie de cette femme qui lui a tout donné. Elle est née bâtarde de père inconnu ou du moins qui a préféré s’effacer jusqu’à l’état civil si bien qu’elle n’avait de nom de famille, tout comme son frère Henri. Ils sont tous les deux abandonnés ensuite par leur mère et sont tous deux recueillis par une dame, Marraine. Son frère qui était sa seule famille meurt glorieusement au front durant la deuxième Guerre Mondiale….
De ses origines, elle aura toujours posé des voiles sur son passé lointain, fermé la porte entre les premières années de sa vie et le reste. Peut-être, c’était sa manière de protéger sa famille. Mêmes les tentatives de retrouvailles sont repoussées. Ses enfants n’eurent ni grands-pères ni grands-mères, aucun lien autre que celui qui les unissait eux-mêmes.
Et pourtant, cette mère prénommée Netka, Netouchka, Mamika pour les petits enfants est restée lumineuse toute sa vie malgré le poids des souvenirs tus. « Elle avait l’exquise modestie d’une enfant que la vie a à peine touchée et posait sur le monde des yeux clairs où se reflétait toute l’innocence des paradis de Rimbaud. » Quel beau témoignage de son mari Jean, celui-là même qui connaissait les secrets enfouis chez Netka et qui avait ce puissant désir de protection envers elle. Il aura incarné pour sa femme la figure et le rôle d’un père autant que celui d’un mari.
Jusqu’au bout, à quatre-vingt-dix-neuf ans, elle n’a rien voulu révéler, feignant l’oubli pour garder l’harmonie et l’équilibre de sa famille. Elle est demeurée prudente, discrète et réservée.
L’amour qu’elle a prodigué toute sa vie n’est que le combat et l’oubli du manque d’amour maternel. Moins tu as été aimé, plus tu as été abandonné, plus tu aimeras, plus tu accueilleras, nous enseigne-t-on.
C’est après sa mort que l’auteur tente de reconstituer le passé de Netka parce qu’elle n’avait jamais voulu répondre à ses questions. C’étaient soit des oublis volontaires ou des silences profonds. Il va découvrir des révélations fracassantes sur les origines de sa mère !!!
L’écrivain journaliste Philippe Labro se rend compte alors dans cette recherche du passé de sa mère, que les gênes de l’écriture qu’il transporte avec lui sont de l’héritage de Netka qui transcrivait sa mélancolie sur des pages blanches. Elle y consignait ses poèmes et c’est le numéro douze titré « Rêves » qui va lui révéler la pièce manquante du puzzle :
« Voilà. J’avais rêvé de gloire et de bonheur.
(…..)
Ainsi j’avais rêvé que mon œuvre future,
Me donnerait le nom que je n’ai pas reçu,
Et j’avais espéré que l’injuste nature,
Saurait que j’étais plus qu’elle n’avait conçu. »
C’est fait, Netka !
Je dédie ce livre poignant et tendrement écrit à toutes les Mamans d’ici et d’ailleurs. Cet ouvrage est un formidable message d’espoir à toutes les mamans pour qui la vie n’a pas toujours été tendre…
Philippe Labro est journaliste, écrivain avec une publication très riche. Il est aussi parolier de Johny Halliday.
Mon coup de cœur reste son texte sur Jacques Brel intitulé « L’homme qui ne trichait pas » paru dans le Figaro pour les trente ans de la disparition du Grand Jacques. Il demeure l’un des meilleurs hommages rendus à ce chanteur-compositeur-interprète et poète hors pair.
Ameth GUISSE