Les jeunes Sénégalais débarqués au port de St-Louis
Les migrants sénégalais pourraient-ils demander l’asile politique sur le sol espagnol et européen ? Face aux tensions qui animent l’espace public sénégalais depuis deux ans, une organisation de la société civile espagnole milite pour cela.
Les drames se poursuivent et n’émeuvent plus personne. Alors que les familles de Fass Boye pleurent encore leurs morts, après le chavirement d’une pirogue avec 101 personnes à bord pour 38 rescapés, l’on annonce la disparition d’une autre pirogue qui serait partie des côtes saint-louisiennes depuis le 7 juin. Pendant ce temps, des organisations de la société civile espagnole se soucient de devenir des migrants rapatriés au Sénégal. Hier, la Commission espagnole d'aide aux réfugiés (CEAR) a demandé l’annulation immédiate d’un rapatriement vers le Sénégal de 168 migrants, estimant qu’ils sont sous juridiction espagnole, ce qui doit leur garantir le respect de ‘’leurs droits humains’’.
L’ONG espagnole pense que la situation politique et sociale au Sénégal est très délicate et pourrait mettre ces personnes en danger. Dans un communiqué, la CEAR prévient les autorités ‘’qu'à l'heure actuelle au Sénégal, les droits d'une grande partie de sa population ne sont pas garantis en raison de l'instabilité croissante que connaît le pays où des milliers de personnes ont été arrêtées pour avoir manifesté contre le gouvernement, notamment le principal leader de l'opposition actuellement en prison’’.
C’est ainsi que l’organisation rappelle que parmi les personnes secourues, il pourrait y avoir certains qui ont besoin d'une protection internationale. ‘’Quelque chose que la garde civile doit prendre en compte en les informant correctement, en enregistrant leur demande si nécessaire et en les transférant en Espagne afin qu'ils puissent la formaliser auprès des autorités compétentes’’, assure la CEAR.
La crise politique, facteur d'émigration irrégulière ?
Le Sénégal a connu deux épisodes de grandes violences en mars 2021 et en juin 2023 qui ont occasionné plus d’une cinquantaine de morts. Cette crise aux soubassements politiques a abouti à la l’emprisonnement du principal opposant Ousmane Sonko et à la dissolution de son parti Pastef/Les patriotes. Une vague d'arrestations vise les membres de cette formation politique et ces derniers dénoncent plus d’un millier de détenus politiques dans les prisons sénégalaises.
La législation sénégalaise n’incrimine pas la tentative d’immigration irrégulière et ne vise que les passeurs. Aussi, les migrants qui ont été rapatriés ces dernièrement n’ont pas été poursuivis au plan judiciaire. Cela ne dissipe pas pour autant les inquiétudes de l’ONG espagnole. Alors que les 168 migrants se dirigent actuellement vers Saint-Louis, la directrice générale du CEAR, Estrella Galán, a déclaré que ‘’le ministère de l'Intérieur doit immédiatement arrêter ce retour afin de ne pas violer nos engagements et obligations internationaux. Le renvoi de ces 168 personnes vers un pays comme le Sénégal, qui traverse une situation politique et sociale très délicate, pourrait entraîner une grave violation des droits et être considéré comme un retour collectif’’.
Le fait que les migrants soient secourus par le patrouilleur ‘’Río Tajo’’ (garde civile) les place, selon l’ONG, sous la juridiction espagnole. Pour cette raison, elle exige que la Convention européenne des Droits de l'homme soit garantie à travers ‘’l'accès au processus de demande de protection internationale’’, tout en rappelant que la situation politique et sociale actuelle au Sénégal ‘’est très délicate et pourrait mettre ces personnes en danger’’.
Des migrants dans une situation précaire
Après avoir été secourus, les migrants sénégalais étaient bloqués, depuis le 24 août, à bord d'un patrouilleur de la garde civile espagnole, en face du port de Nouadhibou, les autorités mauritaniennes refusant de les accueillir sur son sol, ni même de laisser le patrouilleur espagnol accoster dans un de ses ports.
Sur le patrouilleur espagnol, les conditions de vie de ces jeunes Sénégalais sont sommaires. D’après Info migrants, ‘’pour se protéger du soleil brûlant, des auvents ont été improvisés. Les exilés n’ont pas accès à des toilettes ou des douches. Pour faire leurs besoins, ils sont contraints de se servir d’un sceau ou de le faire par-dessus bord. En ce qui concerne la nourriture, l’équipage cuisine du riz aux migrants’’.
Depuis 2016, la Mauritanie reçoit plus de 6,5 milliards F CFA (10 millions d’euros) par an de Madrid pour contenir l’immigration irrégulière. Cette somme comprend la formation des policiers, l’achat de matériel ou encore les frais de carburant, comme le rappelle le quotidien espagnol ‘’El Pais’’.
Par ailleurs, Nouakchott permet à la garde civile d’agir sur son territoire, pour empêcher les exilés de prendre la mer, en autorisant les Espagnols à déployer deux navires, un hélicoptère et une patrouille terrestre en Mauritanie.
Concernant le sort des 168 migrants que Madrid ne voulait pas non plus accueillir sur son sol, Nouakchott a refusé leur débarquement. Ce qui agace la CEAR qui estime que ‘’la Mauritanie est devenue ces dernières années un partenaire stratégique pour stopper l’arrivée de migrants en Espagne et en Europe, au détriment des droits humains. Cependant, à cette occasion, même les énormes sommes d’argent que reçoit le pays africain n’ont pas suffi à ouvrir ses ports aux personnes secourues dans ses eaux’’.
C'est pourquoi l’ONG regrette que les politiques d'immigration qui se sont révélées inefficaces continuent d'être poursuivies, au lieu de mettre les personnes et leurs droits au centre, en ouvrant des voies légales et sûres afin que personne ne soit obligé de monter sur un bateau précaire et de risquer sa vie, dans une tentative d'atteindre l'Europe.
Lamine Diouf