Publié le 21 Mar 2023 - 17:56
3e MANDAT

Le reniement !

 

Dans une interview publiée, hier, par le média français ‘’l’Express’’, le président de la République exhume la décision n°1-C-2016 du 12 février 2016 affaire n°1-C-2016 du Conseil constitutionnel qu’il interprète à sa guise comme un expert du droit, reniant tout ce qu’il a toujours affirmé, lui, ses souteneurs et les experts indépendants du droit.

 

C’est tout simplement un virage à 180 degrés que fait le président de la République sur la question de sa troisième candidature. Cette fois, il ne s’entoure presque pas de fioriture, pour édifier l’opinion sur son intention. Sans ambages ! Macky Sall s’arroge le droit constitutionnel d’être à nouveau candidat en 2024.

‘’Sur le plan juridique, ose-t-il clamer tout haut dans une interview avec le média français ‘’l’Express’’, le débat est tranché depuis longtemps. J’ai été élu en 2012 pour un mandat de sept ans. En 2016, j’ai proposé le passage au quinquennat et suggéré d’appliquer cette réduction à mon mandat en cours. Avant de soumettre ce choix au référendum, nous avons consulté le Conseil constitutionnel. Ce dernier a estimé que mon premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme’’.

Le chef de l’État en déduit alors que la question juridique est réglée à travers cette décision du Conseil constitutionnel. Le reste ne relèverait que de sa propre volonté. Il enchaine : ‘’Maintenant, dois-je me porter candidat pour un troisième mandat ou non ? C’est un débat politique, je l’admets… Cette question (son éventuelle candidature en 2024) m’a été posée des dizaines de fois. Dans mon camp, les gens se sont déjà positionnés pour m’investir comme candidat. Je n’ai pas encore apporté ma réponse. J’ai un agenda, un travail à faire. Le moment venu, je ferai savoir ma position, d’abord à mes partisans, ensuite à la population sénégalaise’’.

À la question de savoir si ce n’est pas un reniement de sa parole, Macky Sall joue sur les mots : ‘’Je ne me dédis pas. J’ai donné une opinion qui correspondait à ma conviction du moment. Celle-ci peut évoluer et les circonstances peuvent m’amener à changer de position. Nous sommes en politique’’, ressasse-t-il, même s’il s’empresse de préciser qu’il n’a pas encore déclaré sa candidature. ‘’Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit’’, a-t-il souligné.

Ce qui est hors de portée de la loi de 2016, c’est la durée du mandat et non le nombre de mandats

Pourtant, contrairement à ce que tente de faire croire celui qui a juré d’être le garant du respect des normes constitutionnelles, la juridiction constitutionnelle ne s’est jamais prononcée sur la question du nombre de mandats. En 2016, il s’était plutôt agi de dire si le président avait oui ou non le droit de réduire la durée de son mandat de sept à cinq ans ? Pas de dire si le premier mandat acquis en 2012 était hors de portée ou non de la révision de 2016.

Dans une contribution publiée récemment, le professeur Alioune Badara Fall précise : ‘’Il faut d’abord préciser que le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi en 2016 pour se prononcer sur le nombre de mandats – question définitivement réglée par la Constitution de 2001, doit-on encore le répéter - mais sur la durée… Par son avis rendu le 12 février 2016, le Conseil constitutionnel, après un raisonnement minutieux en plusieurs étapes, a répondu avec précision et fermeté : le mandat de sept ans en cours, dans sa durée, devait aller jusqu’à son terme.’’

Au président et ses souteneurs qui tentent de faire croire que cela veut dire que le mandat de 2012 est hors de portée de la révision constitutionnelle de 2016, il corrige : ‘’Le conseil s’en est expliqué… Le mandat de 2012 à 2019, pour sa durée, est ‘hors de portée de la loi de 2016’, dit-il. Cette expression ne concerne que la durée de ce mandat et ne porte aucunement sur le nombre de mandats déjà déterminé par la Constitution de 2001 et repris par la nouvelle loi de 2016. Ce raisonnement repose sur les deux principes, tout aussi fondamentaux, tirés de la Constitution et des situations précédentes similaires. En effet, le juge constitutionnel, au soutien de sa démonstration, estime que la sécurité juridique et la stabilité des institutions s’opposent à ce que cette durée soit ramenée à cinq ans.’’

Au nom de la sécurité juridique et de la stabilité des institutions…

 En fait, explique le juriste, il n’y avait aucun besoin de se prononcer sur le nombre de mandats du président de la République tranché depuis la Constitution de 2001, consolidé par la réforme de 2016.

À en croire M. Fall, il n’était donc point nécessaire que la haute juridiction revienne préciser davantage ce qui était déjà clair. ‘’Il ressort de ce raisonnement que la durée du premier mandat doit être dissociée du nombre de mandats et non le contraire. Ainsi, et dans tous les cas, un président de la République ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs, indépendamment de la durée de ce mandat. Il en résulte que pour la limitation du nombre de mandats, la réforme de 2016 ne pose aucune règle nouvelle y relative, sauf celle se rapportant désormais à son intangibilité (art. 103 alinéa 7). C’est pour cette raison d’ailleurs que le constituant de 2016 n’a pas jugé nécessaire de prévoir des dispositions transitoires en ce qui concerne le décompte des mandats’’, tranche le publiciste.

Par ailleurs, il faut rappeler que c’est en parfaite connaissance de cette ‘’décision’’ du Conseil constitutionnel, prise depuis février 2016, que le président de la République a plusieurs fois dit et répété qu’il n’avait plus droit à un autre mandat après celui de 2019. N’avait-il pas lu ladite ‘’décision’’ à l’époque, quand il se prononçait ?

D’ailleurs, son conseiller juridique attitré, l’actuel ministre de la Justice, répondait aux détracteurs de la révision de 2016 que c’est comme s’ils n’avaient lu ni la décision du Conseil constitutionnel ni l’article 27 de la constitution révisée. Sur la chaine nationale, il disait : ‘’En fait, je me rends compte que les gens ne lisent pas les textes. Par exemple, la décision du Conseil constitutionnel. Je me suis dit : mais attendez, est-ce que les gens qui parlent ont lu la décision du Conseil constitutionnel ? Et je crois que cette décision, il faudrait l’imprimer et la faire lire. Que dit le Conseil constitutionnel ? Avec le style avec lequel il l’a dit ; avec la terminologie, avec le ton impératif, avec l’argumentaire juridique que le conseil a utilisé ? Si les gens disent que le président n’est pas obligé de suivre le Conseil constitutionnel, je dis que peut-être ils n’ont pas lu la décision. Même chose si les gens continuent à dire qu’il est possible que le président fasse un troisième mandat, je dis qu’ils n’ont pas lu les textes et notamment l’article 27...’’

Dans une autre vidéo encore disponible sur YouTube, l’éminent constitutionnaliste l’a répété trois fois, comme s’il en avait marre de ce débat. ‘’Vous savez, la Constitution du Sénégal est très claire et ne laisse place à aucune interprétation. L’article 27 de la Constitution dit : le président de la République est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Je vais répéter la phrase : nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Je vais répéter la phrase une troisième fois : nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Est-ce qu’il y a place à interprétation ?’’.

Ce que disaient les experts à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel

Toujours en 2016, lors du débat épique à propos de l’avis qui a été rendu par la juridiction constitutionnelle et qui avait été présentée par Ismaila Madior Fall comme une décision, d’autres éminents spécialistes s’étaient prononcés de manière non équivoque. Parmi eux, celui qui est considère comme le professeur des professeurs, le premier recteur sénégalais de l’Ucad Seydou Madani Sy.

Ce dernier disait, lors d’une conférence organisée par le Cercle des républicains, qu’il n’y a pas de doute possible à ce niveau. ‘’Il n’y a pas d’amalgame possible, puisque dans la loi constitutionnelle actuelle (avant révision), il y a deux mandats maximum ; le seul changement qui apparaît, c’est de dire au lieu de sept ans, c’est cinq ans’’. Embouchant la même trompette, Me Oumar Youm, alors directeur de cabinet du chef de l’État, ajoutait : ‘’Quelqu’un qui fait des tentatives de réduction de son propre mandat n’est pas dans des dispositions de courir vers un troisième mandat. Nous, on prévoit pour le président Macky Sall deux mandats sans faute et un mandat de secrétaire général de l’ONU.’’

3e MANDAT

Ce que dit la décision n°1-C-2016 du 12 février 2016 affaire n°1-C-2016

Pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le droit applicable à une situation (durée ou nombre de mandats) doit être connu au moment où celle-ci prend naissance (2012).

Ni la sécurité juridique ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée (ou le nombre) des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée.

25. Considérant que la sécurité juridique et la stabilité des institutions, inséparables de l’État de droit, dont le respect et la consolidation, sont proclamés dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001, constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération, pour être conforme à l’esprit de la Constitution ;

26. Considérant que, pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance ;

28. Considérant qu’au moment où le mandat en cours était conféré, la Constitution fixait la durée du mandat du Président de la République à sept ans ; (le nombre de mandats du président à deux: NDLR)…

32. Considérant, en effet, que ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques (ou le nombre de mandats, NDLR) en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée…

Par ces motifs, le conseil est d’avis ou décide que :

Article 3- La disposition transitoire prévue à l’article 27 dans la rédaction que lui donne l’article 6 du projet et aux termes de laquelle, ‘’cette disposition s’applique au mandat en cours’’ doit être supprimée. Elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle sur la durée du mandat du président de la République ne pouvant s’appliquer au mandat en cours.

En français plus facile, on ne peut permettre à un président de la République de modifier la durée de son mandat dans un sens ou un autre, quel qu’en  soit le motif. Qui ne peut pas le moins ne pourra jamais le plus. 

 

 

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