«Avec une certaine jeunesse, le Sénégal ne pourra pas se transformer»
Dans la dernière partie de l'interview accordée à EnQuête, le Pr. Abdoulaye Bathily aborde le sujet dit de l'alternance générationnelle. Son parti, la Ligue démocratique, en parlera lors de son 7e congrès, mais dès à présent, il flétrit une certaine jeunesse que la proximité avec le pouvoir défunt d'Abdoulaye Wade a converti au vagabondage économique et financier.
On parle beaucoup de l’alternance générationnelle au niveau des partis politiques. On a comme l’impression que c’est toujours les mêmes qui sont toujours là.
C’est une impression, mais les critiques sont ce qu’elles sont. Les vrais partis - je ne parle pas des partis qui sont créés autour d’une personne, quand la personne change de camp, le parti change de camp - existent. Je peux au moins parler de la Ld qui est créée à un moment où nous ne pensions pas qu’on allait occuper un poste de conseiller municipal. C’est un parti qui a contribué à la marche du pays, personne ne peut le contester. Mais c’est un parti qui est contraint au changement. Nous sommes en train de préparer notre 7e congrès, nous allons inscrire cette question à l’ordre du jour.
Concrètement, peut-on s’attendre à ce que vous preniez votre retraite politique ?
Absolument ! On ne peut pas vivre son temps et le temps des autres. Nous avons, toute modestie mise à part, apporté beaucoup de choses et consenti beaucoup de sacrifices pour le pays. Ce n’est pas un problème de jeunes et de vieux. Tous ces jeunes, sur qui pèse la présomption d’enrichissement illicite, ont pillé le pays. Ils sont devenus des milliardaires en quelques années. Moralement, je me sens tout à fait à l’aise. Après 40 ans de lutte et de travail, je ne vois pas en quoi ces jeunes sont plus méritants que moi.
Ce sont des critiques…
Oui, il faut des jeunes qui ont l’amour du pays, du respect pour le peuple sénégalais. Avec ces jeunes-là, le Sénégal pourra se transformer ; et non des jeunes qui sont dans une logique de «ôte-toi que je m’y mette !»
Diriez-vous que les jeunes de ce pays sont plutôt du genre… pressés ?
Non seulement ils sont pressés, mais certains sont des rapaces. Beaucoup d’entre eux, parmi ces jeunes du Pds, étaient assis là où vous êtes (il désigne les chaises installées dans son bureau où il reçoit EnQuête) en 2000. Ici, c’est la seule maison que je possède après 40 ans de travail. Je n’en ai pas une autre ! Je n’ai jamais bénéficié d’une bourse de l’Enseignement supérieur. J’ai été exclu du Prytanée militaire pour grève et j’ai fait mon bac comme candidat libre. J’ai eu mon Bac avec mention Bien, mais on m’a refusé la Bourse. J’ai continué à travailler jusqu’à maintenant. Alors que ces jeunes qui, en sortant de chez moi à l’époque, négociaient le «car rapide», ont aujourd’hui 10 ou 20 maisons et des milliards dans leurs comptes en banque. C’est quoi ça ?
Vous semblez bien pessimiste sur l’avenir de ce pays !
Je suis optimiste, parce que ces jeunes que je décris constituent, malgré tout, une minorité. La bonne graine existe au Sénégal, on en trouve à la Ld et dans d’autres partis. De plus en plus, on a un mouvement citoyen très important. Les Sénégalais sont devenus des citoyens majeurs. Il faut continuer pour que cet esprit du 23 juin soit préservé. C’est une boussole, un aiguillon pour la marche du pays.
C’est vrai, il y a des gens qui veulent tout de suite des avantages sans avoir combattu. Ils veulent être des milliardaires sans travailler. Il faut mettre ces gens-là hors jeu. Ce sont même des dangers pour notre pays. Regardez ce qui se passe au Mali, c’est un exemple malheureusement négatif. Notre pays vit sous menace. Je l’ai dit récemment lors d’une conférence publique. Ce qui est arrivé au Mali peut nous arriver si nous ne prenons pas la pleine mesure de nos responsabilités.
Ce n’est pas une question de jeunes ou de vieux mais de tout un peuple. Nous devons faire un sursaut national et avancer. Regardez les gens qui encombrent les rues, c’est vrai qu’il faut du travail pour les marchands ambulants, mais pas au détriment de la société. Regardez ce qui se passe aux alentours de l’aéroport. Ceux qui s’y sont installés constituent un danger pour la société. Donc il faut que nous ayons un peu de rigueur dans ce que nous faisons. On dit au camionneur qu’il faut passer au pesage à l’essieu, il refuse. Comment peut-on développer le pays avec une telle mentalité ?
Il faut sans doute un pouvoir fort ?
Je ne dirais pas cela, mais un pouvoir déterminé autour d’une vision clairement affichée et, évidemment, beaucoup de pédagogie pour que les gens suivent. Sinon on ne peut pas avancer. C'est impossible !
«Il faut que nous ayons un peu de rigueur dans ce que nous faisons. On dit au camionneur qu’il faut passer au pesage à l’essieu, il refuse. Comment peut-on développer le pays avec une telle mentalité ?»
MAMOUDOU WANE ET DAOUDA GBAYA