‘’Cette loi sur le statut de l’artiste est une loi d’orientation’’
Depuis des années, on parle du statut de l’artiste. On a tellement annoncé sa concrétisation sans que cela ne se fasse. De sorte que beaucoup commençaient à douter qu’elle puisse un jour devenir réalité. Les blocages semblent être en voie d’être réglés. Un texte a été soumis à l’appréciation de diverses personnalités. Il est en cours de finalisation et sera dans le circuit administratif, dans moins de deux mois. Du moins, c’est ce que promet le directeur des Arts, Abdoulaye Koundoul, maître d’œuvre de ce projet. Dans cet entretien avec EnQuête, il répond aux artistes qui disent n’avoir pas été associés au processus d’élaboration de cette loi, explique les enjeux de l’atelier technique tenu à Saly, il y a une semaine, sur la question.
Il y a quelques jours, vous avez organisé un atelier technique de finalisation de la loi sur le statut de l’artiste à Saly. Quel était l’objectif de cette rencontre ?
Cet atelier faisait partie de l’agenda qui a été retenu par le comité mis en place pour l’élaboration de cette loi. Un comité assez inclusif où on retrouvait les organisations et associations professionnelles du secteur, quelques fonctionnaires du secteur, des acteurs libres qui ne sont pas forcément dans des organisations ou associations, accompagnés par un expert, un juriste, en l’occurrence Bachir Niang. Il est un professeur agrégé de Droit et il s’intéresse à ces questions-là, depuis sa thèse de doctorat. Il avait pour mission d’élaborer l’écriture de cette loi. Nous avions franchi les trois premières étapes. Il nous restait une quatrième qui consistait à présenter ce travail-là à d’autres ministères techniques qui sont impliqués dans la mise en œuvre de cette loi. Il s’agit des ministères des Finances, du Budget, du Travail, de la Décentralisation. Les institutions sont également concernées, comme le Conseil économique, social et environnemental, l'Assemblée nationale, le Haut conseil des collectivités territoriales.
Il s’agissait donc de leur présenter le travail, de les mettre dans des conditions pour qu’ils puissent passer en revue cette loi, article par article et donner leurs points de vue suivant leurs domaines de compétence. Ce qui a été fait, dès l’après-midi du premier jour de l’atelier. Cela s’est poursuivi jusqu’au lendemain, avant qu’on ne procède à une restitution générale. Cette dernière nous a permis de nous mettre d’accord sur l’essentiel, mais aussi de constater qu’il y avait des préoccupations pas prises en compte. Tout cela est dans le panier du comité technique restreint qui va, d’ici la semaine prochaine, se réunir et sortir la mouture finale. Cet atelier était un tournant important pour la suite.
Des artistes sont montés au créneau pour dire qu’ils n’ont pas été associés au projet. Est-ce vrai ?
On peut dire que c’est vrai, quand on comprend par associer les artistes, mettre tous les artistes du Sénégal quelque part et leur demander de participer. Si c’est cette conception qu’ils ont de la participation, ils ont raison. Maintenant, reste à savoir si tout cela est dans le domaine du réalisable. Est-ce possible d’inviter les 400 mille personnes qui se déclarent artistes à être là et être dans le processus ? Il est pratiquement impossible de le faire. Si maintenant, le système de représentation est encore en vigueur, je pense qu’ils n’ont pas raison. Nous avons eu toutes les corporations. Tous les sous-secteurs ont été représentés.
Ils ont donné leurs points de vue sur le texte. Donc, ce dont vous parlez est une réaction assez épidermique qui doit aller au-delà de tout cela. L’importance de cette loi doit nous pousser à transcender certains ressentiments qui n’ont rien à voir avec ce que nous voulons, c’est-à-dire structurer un secteur qui en a vraiment besoin. Ces réactions-là montrent une fois encore que nous avons besoin d’organiser et de structurer ce secteur pour savoir qui est qui et qui a droit à la parole, qui doit faire quoi, etc. Voilà des questions qui sont là pendantes et qui ne sont pas réglées et qu’il nous faudra, dans tous les cas régler. Si maintenant, c’est une responsabilité pour ceux qui sont aux affaires, je pense qu’ils ne doivent pas se débiner. Donc, je prends mes responsabilités en accord avec les autorités pour faire ce qu’il m’est demandé de faire et toujours dans l’esprit le plus inclusif possible, le plus rassembleur possible.
Vous parlez de sous-secteur, certains se demandent pourquoi le cinéma n’est pas présent ?
Le cinéma n’est pas associé directement, mais l’a été indirectement, puisque nous avons les comédiens qui étaient là. Ils sont partie prenantes du cinéma. Il faut retenir que la loi du 15 avril 2002 définit et réglemente près de 50 professions de l’audiovisuel et de la cinématographie. Cette loi a amorcé une rationalisation et une modernisation des métiers des spectacles. Il faut dire que cette loi sur le statut de l’artiste vient en fait compléter cette loi qui est là et qui déjà régente et organise le secteur de l’audiovisuel et de la cinématographie.
Si la loi sur le statut de l’artiste et des professionnels de la culture arrive à être votée. Qu’est-ce qui va changer dans la vie des principaux concernés ?
Les dispositions de cette loi vont réaffirmer les droits fondamentaux des professionnels de la culture. Elle va préciser la qualification, l’encadrement des contrats de collaboration professionnelle, préciser les conditions d’accès aux professions et aussi les conditions du soutien de l’Etat pour promouvoir la culture, parce que c’est une question qui revient souvent. Elle va définir l’aménagement d’un régime fiscal adapté. Cette loi va se présenter sous forme de six chapitres. Le premier va traiter des dispositions générales. Le deuxième chapitre va parler des droits et libertés des artistes et des professionnels de la culture.
Le chapitre trois aura pour objet de régenter les relations entre les artistes, les professionnels de la culture et leurs partenaires professionnels. Le chapitre quatre va traiter de l’accès à la qualité d’artiste et de professionnel de la culture. Le chapitre cinq sera relatif aux dispositions fiscales. C’est important, parce qu’on est dans une logique économique. Quand on parle de cette dernière, on pense aux entreprises culturelles. Seulement, les entreprises culturelles ne doivent pas être considérées comme toutes les autres entreprises. Il leur faut un traitement particulier, au regard de la matière qu’elles manipulent, de la matière première, les intrants qui sont assez spécifiques. Enfin, le sixième chapitre va parler des dispositions finales. Comme dans toutes lois, pour abroger éventuellement toutes autres dispositions qui seraient contraires.
Quand vous parlez de qualité d’artistes, est-ce que cela signifie que cette loi dira qui est artiste et qui ne l’est pas, ou elle va juste donner des orientations ?
Vous parlez d’orientation et c’est important d’insister sur cet aspect-là. Cette loi est en réalité une loi d’orientation. Elle définit les grandes lignes et aménage aussi des possibilités d’aller plus en profondeur sur les préoccupations du secteur. Mais cette loi vient définir un cadre général, tout en permettant d’aller maintenant dans les détails avec d’autres textes règlementaires qui suivront sous forme de décrets d’application, d’arrêtés, de règlement intérieur, etc. Il est important de noter cela. C’est pour cela d’ailleurs que, dans ce texte, vous ne verrez pas de spécificités. Vous ne verrez pas les arts visuels, la danse, etc. Ainsi, aucun sous-secteur ne viendra nous dire, j’ai vu tel sous-secteur et je ne suis pas là-dedans. On a voulu éviter cela.
C’était l’un des plus grands résultats de cet atelier qui nous a permis de comprendre qu’il fallait placer cette loi à un niveau élevé, stratégique, afin qu’elle soit une loi d’orientation. S’agissant maintenant de qui est artiste et qui ne l’est pas, il faut savoir qu’aux yeux de cette loi, nous nous adressons essentiellement aux artistes professionnels. Il s’agit de professionnaliser un secteur. Qui est artiste professionnel ? Il faut satisfaire à un certain nombre de conditions. L’artiste doit lui-même se considérer comme artiste professionnel.
Il faudrait qu’il en ait la foi. Après, il lui faudra créer des œuvres pour son propre compte, c’est-à-dire pas seulement sur commande. Il faut qu’il crée des œuvres, les exposer, les publier, les représenter en public, les mettre sur le marché avec l’aide d’un diffuseur, etc. L’artiste membre ès qualité à titre professionnel d’une association, qui est reconnue comme étant une association d’artistes professionnels, bénéficie aussi d’une reconnaissance de son titre. Maintenant, il faut dire que tout cela, sera attesté par la détention d’une carte professionnelle. L’exercice à titre professionnel d’une activité donne droit à la délivrance d’une carte professionnelle. Les modalités seront fixées par voie réglementaire. C’est là qu’il faut comprendre tout l’intérêt des autres textes qui vont venir. Il y aura un texte qui va parler de la carte professionnelle et des conditions de délivrance et d’éligibilité dans les détails. La présente loi, elle, oriente et dit qu’on va parler de la carte professionnelle.
Le critère académique n’est pas forcément pris en compte dans ce premier texte ?
Le critère académique est pris en compte, mais n’est pas une condition qui exclut toute autre possibilité. Il est vrai que les métiers de la culture comportent des exigences techniques parfois très pointues. Ces dernières nécessitent forcément une formation, laquelle peut être académique ou non académique, comme elle peut être une expérience acquise auprès d’un détenteur du savoir. La loi ne vient pas dire : ‘’si vous ne faites pas une école, non vous n’êtes pas concerné’’. Non ! On se focalise plutôt sur la capacité technique. Peu importe maintenant comment elle a été acquise. Je connais des artistes qui font notre fierté et qui n’ont pas appris à l’école ce qu’ils font.
Alors après le séminaire à Saly, quelle sera la prochaine étape ?
Après cette étape qui nous a permis de faire valider le contenu sous réserve d’un certain nombre de questions qui vont être réglées, ce qu’il faudrait, c’est reprendre le texte en intégrant autant que faire se peut ces observations. Nous avons eu des observations très pertinentes sur la sécurité sociale, par exemple. Là où le texte prônait un régime particulier, ce qui est sorti de cet atelier, nous impose aujourd’hui de revoir cette disposition. L’essentiel est que le dispositif existe déjà et ce qu’il faudrait c’est d’essayer de mettre les artistes dans ce dispositif existant. C’est important, il ne faut pas recréer la roue. On revient à l’orthodoxie, en mettant les artistes dans un régime déjà existant. Il s’agira de faire en sorte que les artistes bénéficient de prestations familiales dont le congé de maternité, la couverture pour les accidents de travail, maladies professionnelles, les décès, etc. Tout cela existe déjà. L’autre aspect est le travail des enfants.
Dans ce secteur, il arrive que des enfants travaillent. Il fallait donc faire un focus là-dessus et le réglementer. Il s’agit des artistes mineures qui doivent bénéficier de toutes les protections spéciales qui sont attachées à leur âge et conformément au code de l’enfant et aux normes internationales de protection de l’enfant. Il y a aussi l’égalité du genre qui a été prôné. On est revenu de façon beaucoup plus prononcée là-dessus. La loi promeut effectivement une égalité professionnelle et artistique entre les hommes et les femmes, ainsi que les personnes vivant en situation de handicap. Il y a une protection contre le harcèlement. On sait que parfois ce sont des cas qui sont fréquents, pas seulement dans le milieu culturel.
Il est bon de protéger les personnes vulnérables. Ce ne sont pas forcément les femmes, cela peut être des hommes qui peuvent être objet de harcèlement. On avait remarqué, juste après l’exposé des motifs dans le texte, qu’on avait parlé d’un sous-secteur des arts visuels, mais c’était juste une méprise. La loi, au sortir du polissage fait par un comité, la veille de la restitution, a fait fi des sous-secteurs. C’était vraiment une loi d’orientation qui prenait de la hauteur et permettait à tous les sous-secteurs de s’exprimer. La prochaine étape, ce sera de terminer ce texte. Ce sera fait la semaine prochaine. Après, nous allons davantage vulgariser la loi, parce qu’à Saly, il n’y avait pas toutes les cibles. Il y avait de la représentation, mais on va essayer maintenant de cibler certaines icônes pour aller leur parler, leur expliquer un peu le contenu de cette loi, avant de mettre le document dans le circuit pour aller vers les institutions et tout le dispositif qui doit vérifier la conformité avec celui existant.
A votre avis, à quelle date elle pourra être disponible sur la table du gouvernement ?
Nous avons reçu l’instruction, venant du ministre de la Culture et de la Communication, de tout terminer dans deux mois. Une fois que la loi sortira du ministère de la Culture, les choses ne seront plus de notre ressort. Je pense que dans moins de deux mois, elle pourra atterrir sur la table des autorités qui sauront quoi faire de cette loi. Il y a un dispositif qui est là, connu, calé et la loi va faire ce circuit. Dans tous les cas, en ce qui nous concerne, nous tenons à respecter notre engagement. Dans moins de deux mois, cette loi ne sera plus entre les murs du ministère de la Culture.
BIGUE BOB