Macky Sall et les forces de l'inertie
Le retour aux affaires de l'ancienne directrice générale de l'Apix, figure mythique du wadisme, choque et chagrine dans l'opinion nationale car, au-delà des attributs de nomination du président de la République, il met aussi en lumière l'activisme de forces régressives désireuses d'isoler le chef de l'Etat.
Il y a des actes qui marquent effroyablement des trajectoires, politiques surtout. Nicolas Sarkozy a vu le «Fouquet's» et le «Bouclier fiscal» empoisonner son quinquennat jusqu'à la nausée, semant, le jour même de son élection triomphante du 6 mai 2005, les graines de deux maladies génétiques qu'il aura traînées jusqu'au bout. Au Sénégal, Macky Sall, en faisant revenir l'ancienne Directrice générale de l'Apix au Palais de la République pour on ne sait quelle mauvaise raison, fixe un marqueur indélébile sur une Présidence naissante mais sortie de sa période d'état de grâce.
La volonté de rupture déclamée par le président de la République est ainsi prise en flagrant délit de torpillage par l'intéressé lui-même. Qu'il ait une dette envers cette dame, qu'il ait craqué face à l'insistance du cercle d'influence soutenant celle-ci, ou qu'il ait donné suite à des sollicitations d'institutions internationales, le résultat est le même pour Macky Sall : il a choqué et exaspéré l'opinion publique nationale pour des broutilles qui n'en valent pas la peine. Aucune explication n'étant venue défendre une telle mesure, on en vient à croire qu'il existerait des dessous inavouables dans cette affaire.
Que vaut Aminata Niane qui fasse que les fonctions qu'on lui destine ne puissent pas être assumées par d'autres, pas coupables, plus compétents ? L'énigme persiste. Cette femme qui a servi et accompagné Wade pendant douze ans, soutenu son régime sans état d'âme, muette et flegmatique sur un banditisme d'Etat enrobé dans les oripeaux de la légalité, insensible aux souffrances quotidiennes des Sénégalais, et très peu orthodoxe dans sa gestion selon la Cour des comptes, n'a absolument rien à faire dans un régime qui se veut antinomique à celui d'Abdoulaye Wade.
Figure marquante et radicale du négoce wadiste, Aminata Niane s'inscrit dans la trajectoire des transhumants à col blanc qui arguent de leur expertise – avérée ou surfaite – pour toujours être dans les arcanes du pouvoir, de tous les pouvoirs. Si elle était une haute fonctionnaire, un statut de serviteur public universel au-dessus des contingences politiciennes l'aurait disculpée de tout opportunisme. Mais là, elle s'est engluée dans une posture d'indécence insoutenable. Sauf à douter de ses capacités intrinsèques, on ne peut passer sa vie à servir à tour de rôle les régimes en place en comptant sur des amis institutionnels ou sur des leviers de chantage compilés au cours des années de brigandage financier. C'est inacceptable. Elle n'aurait jamais dû revenir, de cette façon si peu élégante, loin de la dignité des vaincus, en catimini en plus !
Aujourd'hui, même rapportée, la nomination de la dame d'Apix au poste de ministre-conseiller restera une plaie ouverte qui renseigne quelque part sur l'état d'esprit du chef de l'Etat en matière de rupture et de bonne gouvernance. On pense encore et toujours que le président de la République, bon connaisseur de l'Etat et du peuple, est encore sincère dans sa volonté de faire avancer le pays, loin des abîmes wadiens. On pense encore et toujours qu'il a la volonté de réaliser ce pour quoi les Sénégalais l'ont élu. Mais il gagnerait tout autant à se départir de ces forces de régression et d'inertie qui n'apportent aucune plus-value à la Nation depuis qu'elles sont passées maîtres dans l'art de tordre les processus de rupture qui peuvent pourtant sauver un pays.
Si le président ne se reprend pas, ces forces-là, fatalement, un jour ou l'autre, l'emprisonneront dans la solitude, loin de toute réalité, et exerceront le pouvoir par délégation. Abdou Diouf l'a vécu et, humble, l'a avoué. Abdoulaye Wade en sait quelque chose, mais reste assez imbu de sa personne pour n'en rien dire. Pour la dame d'Apix, le mal est fait. Vivement pas une prochaine gaffe !
MOMAR DIENG
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