Ces illustres artistes rangés aux oubliettes
C’est bien loin, l’époque où les Sénégalais restaient scotchés devant leurs écrans de télévision les mardis soirs. C’était les jours où on diffusait des dramatiques. Les comédiens étaient en ces temps-là de vraies vedettes nationales. Ces artistes qui étaient des références sont pour certains décédés dans un dénuement total, laissant derrière des familles vivant dans des conditions difficiles. Pour d’autres, ils sont encore là mais n’ont pas connu une vie meilleure. EnQuête s’intéresse à ces icônes du quatrième art qui ne méritent pas qu’on les oublie.
Cheikh Tidiane Diop, Abou Camara, Ibou Laye, Makhourédia Guèye, Sidy Niang, Isseu Niang, Malick Ndiaye Fara Thial Thial, Mame Sèye Fall, Aïda Camara, Babou Faye, Thierno Ndiaye Doss, Serigne Fall, Mansour Seck etc. en voilà des noms qui ont marqué différentes générations de Sénégalais. Tous d’illustres comédiens, ils ont en commun de ne plus être de ce monde.
Faye Niang (ndlr Aïda Souka), Rama Thiam, Lamine Ndiaye, Mamadou Diack, Baye Peulh, etc., en voilà d’autres qui sont encore de ce bas-monde mais qui n’ont pas la reconnaissance qui sied à leur rang. Pire, ils risquent également de tomber aux oubliettes. Pourtant, chacun d’entre eux mérite une reconnaissance nationale au-delà de celle de leurs pairs. Cependant, le constat est là. Ni l’Etat, ni les comédiens ne tiennent d’actions pérennes à l’endroit de ces gens. Les initiatives souvent prises pour rendre hommage à l’un ou à l’autre viennent de privés. Rares sont les fois où une action nationale est entreprise. Comme celle à laquelle on a assisté il y a deux ans au Grand-théâtre. La direction nationale de ce temple culturel avait décidé en synergie avec l’association nationale des artistes comédiens du théâtre sénégalais (ARCOTS) de rendre hommage, en donnant des diplômes de reconnaissance, à tous les doyens du théâtre mais aussi aux illustres disparus. Une goutte d’eau dans la mer des problèmes qui assaillent le monde du quatrième art.
Joint par EnQuête, Sénégal Ndiaye, un des membres fondateurs des troupes ‘’Daaray Kocc’’ et ‘’Jamonoy tay’’ se veut précis : ‘’Les ministres se succèdent. Et à chaque nouvelle arrivée, on est invité à échanger avec notre ministre de tutelle. On leur a tous exposé nos problèmes. Nous voulons que lors de journées mondiales comme celle du théâtre, qu’on se souvienne de ces gens qui ont beaucoup fait pour le développement du théâtre sénégalais et qui ne sont plus là, mais aussi de ceux qui sont encore là, mais restés à l’ombre’’, a-t-il dit. Encore que cela ne suffit pas pour l’ancien chargé des affaires administratives de ‘’Daaray Kocc’’.
‘’Il ne suffit pas d’honorer des gens en invitant leurs familles et en leur donnant des diplômes honorifiques. Il leur faut une assistance matérielle. Nous ne tendons pas la main mais nous avons assez fait dans ce pays pour mériter une reconnaissance. On a participé à éduquer les masses’’, a-t-il affirmé. Notre interlocuteur se souvient des premiers pas des comédiens sénégalais à la télévision nationale. ‘’La télé était en noir et blanc quand on a commencé à tourner ‘’Caaxaan faaxe’’. C’était une série qui permettait de sensibiliser les Sénégalais afin qu’ils aient un bon comportement’’, tient-il à rappeler.
Le président de l’association nationale des artistes comédiens du théâtre sénégalais (ARCOTS) Lamine Ndiaye est du même avis que son collègue. ‘’Il ne faut pas donner des diplômes ou des médailles. Cela ne représente rien. Il faut s’intéresser au quotidien des familles de ces gens-là. J’en ai vu des familles d’anciens comédiens qui vivent dans des situations très difficiles. Ce qui me pousse à me demander ce que la mienne deviendra quand je ne serai plus là’’, s’est-il soucié. Sa solution à lui est qu’on alloue un budget mensuel à ces familles en attendant de leur donner quelque chose de conséquent leur permettant de vivre décemment. Dans la même optique, Sénégal Ndiaye propose qu’on octroie par exemple des terrains aux héritiers de ces ‘’icones du théâtre’’.
L’ancien membre de Jamonoy tay reste convaincu que jamais les familles éplorées ou les acteurs tombés dans l’anonymat ne demanderont de l’aide à l’Etat. ‘’J’ai côtoyé Cheikh Tidiane Diop, malade et au crépuscule de sa vie, il ne souhaitait même pas que les journalistes soient au courant. Je suis l’une des dernières personnes à être avec Babou Faye avant sa mort. Lui aussi a voulu mourir dans la dignité et a refusé de tendre la main’’. Pour Sénégal Ndiaye donc, le geste doit être spontané. Mais n’est-ce pas à l’ARCOTS d’organiser quelque chose en l’honneur de ces morts ? Réponse du comédien et metteur en scène Pape Faye : ‘’Je ne veux pas m’épancher sur la question maintenant. J’ai une idée spéciale là-dessus et je vous en ferai part très bientôt’’. Et Lamine Ndiaye de renchérir : ‘’Cet exemple a été pratiqué par bon nombre d’associations. Cela n’a pas changé la donne et a toujours fini sur des polémiques’’.
Pour le président de l’ARCOTS, il y a des actions plus rayonnantes qui pourraient être entreprises en collaboration avec les familles des personnes ciblées. ‘’Quand on veut soutenir quelqu’un, on n’a pas vraiment besoin d’en faire une publicité. Il faut que les choses entreprises incarnent la noblesse’’, a-t-il suggéré. Quoi qu’il en soit, ces icônes du quatrième art ne méritent pas qu’on les oublie.
BIGUE BOB