Un autre destin pour Me Wade
A l'évidence, les jeux ne sont pas encore faits en ce qui concerne l'identité du quatrième président de la République du Sénégal. Abdoulaye Wade pense disposer encore des ressorts d'influence liés à ses fonctions de premier magistrat du pays pour conserver son fauteuil. La seule équation plus ou moins résolue jusqu'à présent est que le chef de l'Etat sortant a non seulement siphonné une grande partie de son bassin électoral, mais pour la première fois sans doute dans l'histoire politique moderne du Sénégal, un finaliste du second tour à un scrutin présidentiel ne peut compter sur aucun des protagonistes du premier tour. Tout de même, deux espoirs fous s'offrent au tombeur d'Abdou Diouf : le coup d'Etat électoral, qui ne le grandirait pas, et un...miracle.
A trois semaines de l'affrontement, l'heure est venue pour Abdoulaye Wade de tirer, avec courage et lucidité, la conclusion finale qui sied à douze ans de présidence controversée, pour dire le moins. Pour l'image du Sénégal, pour lui-même et pour l'avenir du PDS, le chef de l'Etat est en mesure de retourner l'immense rejet populaire dont il est aujourd'hui l'objet en une formidable opportunité pour se réconcilier avec la majorité de ses compatriotes déroutés par une trajectoire surprenante.
Donner des signaux forts
La «vitrine craquelée» de la démocratie sénégalaise, imputable aux assauts répétés d'un pouvoir autoritaire contre des institutions mises en lambeaux, peut encore avoir besoin de Me Wade si le candidat des Fal 2012 accepte réellement les règles du jeu en direction du second tour. Cela suppose quelques signaux de taille.
D'abord, un ministre de l'Intérieur issu de la société civile en lieu et place d'un Ousmane Ngom complètement cramé et affaibli par la création d'un ministère en charge des Élections (MCE). Cette mesure libérerait les franges du Commandement territorial mises sous pression par une tutelle activement favorable à la réélection du président sortant ; elle mettrait également du baume au cœur du peuple de la Tidianiya encore sous le choc de l'attaque de la Zawiya El Hadj Malick Sy. Ensuite, un engagement public et solennel à ne rien faire qui puisse participer du détournement des suffrages des électeurs du second tour. Pour cela, Me Wade doit impérieusement faire le vide autour de lui en écartant ce collège de faux-faucons et d'hommes de mains plus compétents à lui creuser sa tombe avant terme qu'à lui ouvrir les yeux face à une situation désespérée. Puis contraindre son fils, s'il en a encore les capacités, à renoncer formellement à toutes ambitions en l'écartant définitivement du pouvoir après que les fonctions qu'il a exercées jusqu'ici l'aient préparé fatalement aux prérogatives suprêmes. Avantage collatéral : la Commission électorale nationale autonome (CENA) s'en trouverait plus déterminée à être un véritable organe de supervision capable de taper sur la table, et les missions d'observation électorales, encore plus vigilantes sans crainte d'être exclues du scrutin.
Donner un avenir au PDS
De cette manière, le président Abdoulaye Wade serait en mesure de faire aussi bien que son prédécesseur Abdou Diouf. Et être à la base d'une secousse démocratique positive qui consoliderait notre système politique dans les fondements républicains qui en ont fait la renommée. En toile de fond, une autre entité tirerait profit de cette générosité présidentielle : le Parti démocratique sénégalais lui-même. Aujourd'hui, ce bloc monolithique, unijambiste, uniformisant et asséché ne peut survivre à son fondateur et semble d'ores et déjà promis à un saucissonnage dont le seul but sera de servir de protection politique à quelques responsables de premier plan. Or aujourd'hui, on peut penser que si Me Wade tire ici et maintenant les leçons de son échec, le Pds aura des chances de rester encore plus ou moins debout, par retour de sympathie, mais également au nom de la diversité politique dont notre pays a besoin. Abdoulaye Wade est-il capable d'un si grand dépassement ?
Après avoir largement contribué à l'émancipation démocratique et citoyenne du peuple sénégalais, fait trembler le mammouth socialiste dans ses certitudes avant de le terrasser, Abdoulaye Wade a une image à préserver, un héritage à perpétuer. Au peuple sénégalais, il avait fait une promesse : si vous descendez en masse dans la rue pour demander mon départ, je partirai à la seconde qui suit. Mieux que des jacqueries urbaines qui déstabiliseraient durablement le pays, ce même peuple a usé de la démocratie des urnes pour lui signifier le fond de sa pensée. Aujourd'hui, au lieu d'assister, sourd et muet, aux risques de déflagrations de la passion religieuse qui menacent le Sénégal et dont il porte une lourde responsabilité, notre président de la République est encore en état de rendre un dernier grand service à cette nation qui ne lui a jamais refusé qu'une chose et une seule : l'impossible.
MOMAR DIENG