L’Africom reconfigure sa stratégie

En marge de la Conférence des chefs d'État-major africains tenue à Nairobi, le général Michael Langley, commandant de l’Africom, a exposé une vision renouvelée de la sécurité sur le continent. Au cœur de son discours, le Sahel, désormais considéré comme l’épicentre du terrorisme mondial, devient le terrain d’une refondation stratégique où les armées africaines prennent de plus en plus l’initiative.
La région sahélienne, qui englobe notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger, est désormais qualifiée par le général Langley comme ‘’l’épicentre du terrorisme’’. Une appellation qui traduit la gravité d’une crise sécuritaire structurelle où les groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique se disputent le contrôle de pans entiers de territoires. Le Burkina Faso illustre cette dynamique, avec une perte de souveraineté sur des zones entièrement sous contrôle djihadiste. Ailleurs, comme dans le bassin du lac Tchad, les attaques resurgissent.
Mais le véritable enjeu stratégique, selon l’Africom, est l’extension des menaces vers les zones côtières du golfe de Guinée. Les pays comme le Bénin, le Ghana ou la Côte d’Ivoire, qui luttent pour contenir les infiltrations terroristes à leurs frontières Nord, deviennent les nouveaux bastions d’une guerre asymétrique en pleine mutation.
Fini le temps de la dépendance : les forces armées africaines se veulent actrices de leur destin. Loin de toute posture de victimisation, le général Langley insiste : ‘’Les armées africaines ne veulent pas être sauvées. Elles prennent en main leur avenir.’’ Cette responsabilisation s’accompagne d’exercices conjoints réguliers comme ‘’Flintlock’’ dans le Sahel, visant à améliorer la coopération et l’interopérabilité. Des initiatives comme ‘’Justified Accord’’ en Afrique de l’Est, qui regroupe plus de 1 300 soldats issus de 20 nations, incarnent cette volonté de construire une capacité opérationnelle indépendante. Les États-majors africains discutent ouvertement du partage des charges, intègrent la société civile dans leurs approches et comprennent que la sécurité se joue autant sur le terrain militaire que communautaire.
Africom : une sécurité ancrée dans la stabilité sociétale
Le Commandement américain pour l’Afrique adapte son rôle. Désormais, il prône une ‘’paix par la force’’ au sens collaboratif. Langley insiste : ‘’Le véritable socle de la sécurité, c’est la communauté.’’ Ainsi, les actions de l’Africom ne se limitent plus à l’appui militaire. Elles s’étendent aux investissements dans les jeunes, les femmes, la formation, les Stem et la santé publique.
Du Kenya à l’Algérie, en passant par le Maroc et le Gabon, le commandant Langley dresse le tableau d’une jeunesse africaine innovante, actrice de solutions. Il fait aussi état de programmes de santé cofinancés avec le Pepfar ou d’initiatives technologiques locales qui préfigurent une nouvelle vision de la sécurité fondée sur l’éducation et l’économie.
Outre la menace terroriste, l’Africom reconnaît un autre enjeu de taille : contenir les ambitions militaires du Parti communiste chinois. Selon le général Langley, la Chine poursuit une logique d’accès aux ressources, souvent au détriment des principes de durabilité et de gouvernance.
Dans ce contexte, l’approche américaine se veut plus inclusive, associant sécurité et développement, transparence et coopération. Le Sahel, en particulier, devient un laboratoire de cette compétition des modèles où l’échec ou la réussite des partenariats militaires et civils déterminera l’orientation géopolitique de toute une région.
Alors que le général Langley s’apprête à quitter le commandement de l’Africom, son discours résonne comme un testament opérationnel. Il y réaffirme que le salut du Sahel ne viendra ni de l’assistanat ni de la seule supériorité militaire, mais d’une dynamique de responsabilisation, d’ancrage communautaire et de coopération sincère.
Dans cette perspective, la région sahélienne apparaît comme le baromètre de la capacité des puissances à travailler avec les Africains et non pour eux. Le Sahel reste une zone de fractures, mais aussi d’émergences. Et peut-être demain le terrain d’une paix conquise par les Africains eux-mêmes.
AMADOU CAMARA GUEYE