Lacune et crédibilité !
La faiblesse du taux de participation enregistré lors des élections législatives du 1 juillet 2012, suscite des commentaires et fait couler beaucoup de salives. Plusieurs versions et interprétations sont servies par-ci, par-là.
Mais, au-delà de ces préoccupations, la question fondamentale est de savoir, si l’Assemblée nationale dans ses attributions actuelles, a les pouvoirs légaux pour contrôler le Gouvernement ? Les lois de la République, sont-elles en harmonie avec les réalités de notre système démocratique et le fonctionnement de nos institutions?
La démocratie, c’est l’émergence des lois justes et fortes qui sous-tendent l’équilibre des pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire). Les pays, cités comme des modèles de grande démocratie, se sont illustrés par le respect des principes de la séparation des pouvoirs ; mais aussi par leurs capacités à adapter leurs lois à l’évolution du processus démocratique. Ainsi note-t-on que la France a même modifié sa Constitution pour renforcer les pouvoirs du Parlement ; en plus de sa mission de voter les lois, il contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques (voir l’art.24 de la Constitution française).
D’autres pays dans la sous région, ont également fait des avancées significatives, c’est le cas du Bénin qui a crée, en 2002, la CAPAN (Cellule d’analyse des politiques de l’Assemblée nationale). Cette structure de veille assure, en permanence, la formation des députés et œuvre pour le renforcement des capacités de l’Assemblée nationale de façon à lui permettre de jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir. La Constitution béninoise reste claire sur les pouvoirs de contrôle dévolus aux députés, elle précise à son article 79 paragraphe 2, je cite : ‘’Ils exercent le pouvoir législatif et contrôlent l’action du Gouvernement’’.
Les expériences sont donc nombreuses et on peut continuer à en parler encore, comme en Afrique centrale, avec la République démocratique du Congo (RDC) où les députés peuvent à tout instant exercer des contrôles inopinés sur tous les services et établissements publics bénéficiant d’une dotation budgétaire de l’Etat.
Pour ainsi dire, il y a que dans notre pays où les choses n’ont pas du tout bougé, les lois constitutionnelles ainsi que les règlements intérieurs des assemblées représentatives (Assemblée nationale, Sénat) sont muets ; aucune précision n’est faite sur les pouvoirs du Parlement dans ses prérogatives de contrôle de l’Exécutif !
A la lecture de notre Constitution, dans ses titres concernant le Parlement, de l’article 59 à 87, il n’est écrit nulle part que l’Assemblée nationale ou le Sénat peut exercer le contrôle de l’Exécutif ; la seule disposition que l’on peut retenir, se trouve à l’article 67, qui stipule au paragraphe 1 : ‘’La loi est votée par le Parlement.’’
Paradoxalement, on se targue des avancées de la démocratie sénégalaise, alors que notre Parlement reste toujours confiné à son rôle de promouvoir des lois ! On s’interroge même sur le sens donné à l’exercice de la souveraineté nationale incarnée par les députés ? Comment peut-on comprendre les députés élus dans les mêmes conditions que le chef du pouvoir Exécutif (président de la République), se limitent seulement à la volonté d’examiner et de voter des projets de loi, émanant de ce pouvoir Exécutif ?
Evidemment, les propositions de loi, les commissions d’enquête, les questions orales ou écrites, les motions de censure, sont reconnues comme des outils que les députés peuvent utiliser dans leur travail ; mais il y a certaines contraintes liées à l’application des textes qui les organisent (voir articles 60 et 91à 99 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale).
Par exemple, si on prend la proposition de loi qui doit être une initiative du député ou du sénateur, il y a dans la procédure législative des contraintes sur les deux cas de figures :
Premièrement : Si la proposition de loi n’a aucune incidence financière, elle est formulée par écrit et adressée au président de l’Assemblée nationale. Celui-ci en donne connaissance à l’Assemblée nationale qui en constate le dépôt et l’auteur doit aussitôt être informé par écrit. La proposition de loi est également inscrite et numérotée sur le rôle général. Elle est après soumise au bureau de l’Assemblée nationale, pour examen aux fins de recevabilité, avant d’être communiquée au président de la République qui doit faire connaître son avis dans les dix jours.
Cette procédure est donc compliquée, elle remet en cause le principe de la séparation des pouvoirs (Législatif et Exécutif). Parce que la proposition de loi reste suspendue à l’accord du président de la République. Et, s’il répond dans les délais et émet un avis négatif, alors la loi ne prévoit rien (voir article 60 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale).
Deuxièment : C’est le cas de figure, où la proposition de loi ou amendement porte sur le Budget ; la Constitution (Art. 82) et le règlement intérieur de l’Assemblée nationale (Art. 60) disposent, je cite : ‘’les propositions et amendements formulés par les députés et sénateurs ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique, à moins que ces propositions ou amendements soient assortis de proposition de recettes compensatrices’’.
Cette dernière partie de la phrase soulignée pose toute la problématique, d’autant plus que les députés, comme les sénateurs, n’ont pas d’assistants parlementaires pour les accompagner techniquement à faire des propositions de recettes compensatrices. Il y a aussi une autre difficulté liée au facteur temps. La loi fixe les délais de passage du projet de loi de finances au Parlement en 60 jours (45 jours Assemblée nationale et 15 jours au Sénat). Il est donc impossible avec ces délais que le député comme le sénateur puissent, à la fois, faire des études sérieuses dans la formulation de proposition de recettes compensatrices et participer en même temps aux travaux des commissions (techniques et finances) et des séances plénières.
Le pari de l’Assemblée nationale nouvellement élue, serait de renforcer les textes de lois qui encadrent le fonctionnement du Parlement et de les adapter à l’évolution de notre système démocratique. La Constitution devrait, à mon avis, donner plus de garantie et de protection à l’Assemblée nationale sur ses pouvoirs de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Dans ce sillage, il serait important de rendre plus adapter le Règlement intérieur et de permettre aux députés d’avoir un temps d’intervention raisonnable dans les débats de commissions et de plénières. Cela pourrait ainsi aider au renforcement de la procédure législative qui nécessite plus d’autonomie et de soutien aux initiatives des députés portant sur les propositions de loi, les questions orales ou écrites, etc.
S’agissant de la création de commissions d’enquête parlementaire, il faudrait que l’autorité de l’Assemblée nationale soit appuyée et que la loi oblige maintenant les citoyens et les citoyennes à répondre à toutes les convocations devant les commissions d’enquête parlementaire. Cela est important, parce qu’on se rappelle dans un passé récent avoir vécu une expérience, avec le refus à l’époque du journaliste écrivain Abdou Latif Coulibaly, de déférer à la convocation d’une commission d’enquête parlementaire. Et, il n’y avait pas eu de suite parce que la loi ne prévoit aucune contrainte, en pareil cas. Ce serait d’ailleurs intéressant de savoir, s’il est convoqué demain par une commission d’enquête parlementaire, est-ce qu’il aura toujours les mêmes attitudes !
Bref, la nouvelle Assemblée nationale va donc connaître d’importants changements en matière de procédure budgétaire et il y aura un saut qualitatif dans la gestion des finances publiques. En effet, l’harmonisation des législations et la surveillance multilatérale des politiques économiques au sein de l’UEMOA, ont permis aux députés de la 11ème législature de ratifier la loi organique relative aux lois des finances résultant de la Directive n°06/2009/CM/UEMOA. Cela va apporter des innovations et le budget sera désormais bâti autour des programmes axés sur les résultats. Et que, l’Assemblée nationale aura un pouvoir plus étendu pour exercer le contrôle budgétaire et sa commission des finances recevra tous les 3 mois la situation sur l’exécution du budget de l’Etat.
La crédibilité d’une Assemblée nationale devrait se mesurer par le renforcement des textes de loi, mais aussi par le respect des règles du jeu démocratique et le maintien des bonnes pratiques parlementaires. L’histoire de la démocratie française est née avec l’Assemblée nationale. En 1789, le roi Louis XVI avait demandé aux Français d’élire leurs représentants aux ‘’Etats généraux’’. Dans l’esprit du roi, il fallait réunir cette assemblée pour quelques semaines seulement, le temps de faire accepter aux Français, à travers leurs représentants, une hausse des impôts. Ces représentants élus par le peuple avaient donc refusé de le suivre et ils décidaient de ne plus laisser un seul homme faire ce qu’il veut sans être élu. Et, le 17 juin 1789, ils se proclamaient ‘’Assemblée nationale’’ et s’appelaient ‘’Députés‘’. Le 20 juin 1789, le royaume se dotait ainsi d’une Constitution qui assurait la représentation du peuple au plus haut niveau de l’Etat.
C’est dire toute la nécessité qu’il y a pour harmoniser parfois la législation avec la pratique parlementaire. Par exemple, dans notre pays, les députés de la 11ème législature, ont initié des visites de terrain organisées pendant les vacances parlementaires et qui ont trait à l’évaluation des politiques publiques ; elles devraient être maintenues et dotées de base légale. Il faudrait aussi du suivi sur le respect des lois de règlement ; déjà toutes les années de retard (1999 à 2011) sont régularisées et l’Assemblée est à jour.
Alioune Souaré Député sortant
Rufisque