Publié le 23 Dec 2014 - 12:16
BABACAR TALL, PRESIDENT DE L’ASPP ET DG D’ELTON OIL COMPANY

‘’Il faut éviter une fiscalité confiscatoire qui décourage l’investissement’’

 

Babacar Tall est le président de l’Association sénégalaise des professionnels du pétrole (ASPP). Il est aussi le Directeur général de la société ELTON oil company. Dans cette interview, il se prononce sur le retard de l’Etat dans la baisse sur les prix du carburant, sa proportion comparée à l’effondrement du coût du baril, ainsi que la stabilisation des prix au Sénégal. Il n’a pas oublié la politique de taxation du Sénégal qui ressemble à ‘’une fiscalité confiscatoire’’, selon sa propre expression.

 

A votre avis, pourquoi l’Etat du Sénégal a-t-il tardé à répercuter la baisse du prix du pétrole sur les prix à la pompe ?

Depuis juin, le prix du baril a baissé de 35% ; si nous remontons au début de l’année, la baisse a atteint 50%. La barre symbolique de 60$ le baril a même été atteinte. Ces niveaux de prix n’ont jamais été observés depuis mi-2009. Pour autant, au Sénégal, depuis septembre 2012, les prix à la pompe du supercarburant (889 FCFA/litre) et du gasoil (792 FCFA/litre) sont restés constants.

Ce qui ne devrait pas être le cas car, en principe les prix des produits pétroliers au Sénégal doivent être révisés toutes les 4 semaines en fonction du prix du baril sur le marché international et de la variation du taux de change EURO/USD. Si les prix ne changent pas, c’est parce que l’Etat l’aura voulu, la révision des prix est une décision politique Que peut-on déduire de cette décision politique ? Pour le gouvernement, c’est pour maintenir une certaine stabilité des prix.

Mais je pense plutôt qu’il lui est difficile de renoncer à la rente fiscale pétrolière qui constitue une bonne partie des recettes budgétaires de l’Etat. En 2014, la tendance du prix du baril sur le marché international est baissière et l’Euro s’est déprécié par rapport au dollar ; logiquement, on aurait dû répercuter ce double effet sur les prix du carburant depuis longtemps. L’Etat ne l’a fait que ce week-end. Nous saluons cette décision. La position du gouvernement devenait intenable et incompréhensible par les populations surtout, les transporteurs et les industriels qui exigeaient cette baisse.

Compte tenu du niveau actuel des prix sur le marché international, cette baisse des prix à la pompe vous paraît-elle suffisante?

L’Etat a fait un gros effort en baissant les prix du supercarburant et du gasoil respectivement de 94 FCFA et 102 FCFA ; soit 11% et 13% en termes relatifs. Ces taux sont de loin inférieurs à la baisse du prix du pétrole sur le marché international. Certes, mais le prix des produits raffinés ne dépend pas que du prix du brut, il est aussi lié au coût du raffinage et à la politique fiscale de chaque pays. Avec cette baisse, l’Etat renonce à des dizaines de milliards de taxes. C’est donc un effort budgétaire important même si je suis conscient qu’il a engrangé une manne fiscale conséquente pendant toute la période de baisse des prix du pétrole. Quelque part, il rend aux consommateurs ce qu’il leur a pris. C’est déjà ça et c’est bien.

Quelles seraient les conséquences de la baisse des prix des hydrocarbures sur l’économie ?

Avec la baisse des prix du carburant, il y a des gagnants et des perdants. Parmi les gagnants, il y a d’abord les transporteurs dont le carburant est le principal poste de charges, les automobilistes, les pêcheurs, les taximen…. C’est 102 000 FCFA d’économie par mois pour un taximan qui consomme en moyenne 1 000 litres de gasoil. Pour l’industrie et les BTP, c’est un énorme gain de compétitivité. Globalement, c’est un bon coup de pouce pour l’économie. J’espère que le consommateur sénégalais en profitera à son tour ; ne serait-ce qu’avec la baisse du prix du transport. Pour l’Etat et les sociétés pétrolières, c’est plus mitigé.

L’état collectera moins de recettes fiscales qu’il récupérera autrement avec la croissance induite et l’augmentation de la profitabilité des entreprises. Sur le plan macroéconomique, le Sénégal connaîtra une amélioration de sa balance commerciale. Pour nous, pétroliers, la conséquence immédiate et mécanique est une perte de plusieurs milliards à cause des moins-values sur les stocks existants. C’est dur mais il faut l’accepter, c’est la règle du jeu bien que nous aurions préféré que la baisse soit lissée dans le temps.

Donc c’est ce qui explique que des gérants de stations refusent d’appliquer les nouveaux prix fixés par l’Etat ?

Légalement, les nouveaux prix sont en vigueur depuis samedi dernier à 18 heures. A cause de contraintes logistiques, il est difficile de faire la mise à jour des prix dans toutes les stations du pays le même jour à la même heure. Les trois ou quatre sociétés habilitées à changer les prix ont mis en place un programme pour le faire le plus rapidement possible. Normalement, tout devrait rentrer dans l’ordre rapidement. En tout cas, aucune consigne n’a été donnée aux gérants pour faire de la résistance. Il peut arriver que certains gérants libres essaient d’écouler leurs stocks aux anciens prix pour éviter des moins-values. Nous ne cautionnons pas ce type de pratique.

Avant la baisse des prix, combien l’Etat gagnait sur un litre de carburant ? A combien s’élève aujourd’hui son gain par litre ? Est-il possible de dire environ combien de milliards ont été engrangés depuis ?

Avant la baisse (structure des prix du 22/11), l’Etat percevait 501 F CFA et 370 F CFA respectivement sur le litre du supercarburant et sur le litre de gasoil si on additionne les différents droits et taxes (Fonds de sécurisation des importations des produits pétroliers, Prélèvement de soutien au secteur de l’énergie, Droits de porte, Taxe spécifique et TVA). Avec la baisse des prix, il ne perçoit plus que 430 F CFA sur le litre de supercarburant et 287 F CFA sur le litre de gasoil.

Rien que sur le supercarburant et le gasoil vendus aux automobilistes, l’Etat renonce à environ 4 milliards F CFA de droits et taxes par mois. Par contre, il m’est difficile d’estimer le montant des droits et taxes collectés par l’Etat sur l’ensemble des produits pétroliers du fait de certaines exonérations et des différents régimes fiscaux. Ce qui est sûr, c’est que le secteur pétrolier est l’un des plus gros collecteurs de taxes au Sénégal.

Parmi les taxes appliquées, y en a-t-il une ou deux qui, à votre avis, pourrait être supprimées, ou alors pensez-vous que c’est une nécessité ?

J’ai listé plus haut les différentes taxes sur les produits pétroliers. Chacun peut avoir son avis sur la pertinence de chacune d’elles. Ce qui est important, ce n’est pas le nombre de taxes mais plutôt le montant global prélevé par l’Etat sur chaque litre de carburant. Il faut une taxation juste et équilibrée. J’entends par là une taxation qui permet à l’Etat d’avoir des recettes fiscales pour faire face à ses dépenses, aux entreprises de s’approvisionner en carburant à un coût compétitif et aux automobilistes de payer un prix psychologiquement acceptable.

Il faut éviter une fiscalité confiscatoire qui décourage l’investissement et qui donne aux automobilistes le sentiment d’être ‘une vache à lait’ de l’Etat. Les contribuables ne sont pas contre les taxes quand elles sont justes.

La différence des prix avec la sous-région vous paraît-elle justifiable ?

Vous pensez certainement au Mali où les prix sont inférieurs à ceux du Sénégal alors que le Mali est un pays enclavé et qu’une bonne partie de son carburant transite par le  Sénégal. J’avoue que pour le citoyen ordinaire, c’est difficilement compréhensible. J’ai expliqué plus haut que les prix des produits pétroliers reflétaient grandement la politique fiscale de chaque pays. Le Sénégal a peu de ressources et l’Etat doit faire face à beaucoup de dépenses telles que les subventions sur certains produits, les mesures sectorielles de soutien (énergie par exemple)….

Il ne peut le faire qu’avec les recettes fiscales, en particulier celles du pétrole. Est-ce que nous nous demandons pourquoi le carburant coûte exactement le même prix à Dakar et à Tamba alors que le coût du transport est 10 fois plus élevé à Tamba qu’à Dakar ? C’est parce que l’Etat, par le biais de la péréquation transport qu’il finance en partie, permet à tous les citoyens de payer le même prix. Ceci dit, la différence de prix entre les deux pays est trop grande et je comprends que cette question revienne souvent sur la table.

Il est vrai que les prix ont été bloqués depuis 2012, mais est-ce que pour autant il y a eu une augmentation du prix du baril qui a obligé l’Etat entre-temps à faire de la subvention ?

Depuis septembre 2012, l’Etat a bloqué le prix du carburant à la pompe malgré la baisse des prix du baril de pétrole sur le marché mondial. Les deux variables d’ajustement utilisées par l’Etat pour ne pas répercuter cette baisse sont le FSIPP (Fonds de sécurisation des importations des produits pétroliers) et surtout le PSE (Prélèvement de soutien au secteur de l’énergie). En septembre 2012, le PSE sur le gasoil était de 20 F CFA par litre contre 98 52 F CFA sur la structure des prix du 22/11/2014. L’Etat n’a donc rien subventionné ; il a plutôt gagné de l’argent en maintenant les prix inchangés. Normalement, ces revenus fiscaux additionnels doivent être utilisés pour absorber une éventuelle hausse du prix du pétrole.

Tous les pétroliers vendent aux prix plafonds, n’est-ce pas une entente entre concurrents au détriment des consommateurs ?

Non. Il n’existe pas d’entente entre les pétroliers pour vendre aux prix plafonds. C’est une pratique anti concurrentielle, donc illégale. D’ailleurs, avec trente acteurs, il serait difficile de mettre en place une telle entente. Le problème est plus profond. Comparé aux pays de la sous-région, zone F CFA, le Sénégal a la marge de distribution la plus faible, tant en valeur absolue – 35 F CFA/litre – qu’en taux de marge – 3% pour le super et 4% pour le gasoil. Pour exemple, en Côte d’Ivoire la marge de distribution (hors passage et transport), est de 53 FCFA/litre pour le super et 43 FCFA/litre pour le gasoil.

Au Sénégal, la marge de distribution n’a pas augmenté depuis 2008 alors que sur la même période, l’inflation cumulée a atteint 16%, avec pour conséquence mécanique une baisse de la marge réelle de distribution. La faiblesse des marges est la seule raison qui explique que tous les pétroliers vendent aux prix plafonds. S’ils ne le font pas, leur exploitation ne serait pas profitable et ils compromettraient la continuité de leur activité. La nécessité de revaloriser la marge de distribution a été posée et nous avons bon espoir que les autorités trouveront une solution très rapidement.

Par Babacar WILLANE

 

Section: