BAMAKO QUI SAIGNE
Je connais bien Bamako pour y avoir vécu deux années entières, du temps de ma prime jeunesse. Mais pas seulement ! J’y ai, en effet, du moins au Mali veux-je dire, toute la moitié de mes racines familiales : ma mère est native du Macina, de Mopti, très exactement, où mon père servait en qualité de greffier au tribunal. C’était dans la deuxième moitié des années 30. Je n’étais pas né, bien sûr. La justice, alors, était un service ‘’fédéral’’ et la Fédération s’appelait l’AOF. Si bien que l’on pouvait être affecté aussi bien à Conakry qu’à Zinder ou à Cotonou, voire à Gagnoa en plein pays bété ainsi qu’il devait en advenir plus tard. Les voyages forment la jeunesse, dit-on, et de ce point de vue, je dois bien le dire, j’ai été plus qu’assez bien servi !
J’ai bien connu Bamako donc et y suis retourné deux fois depuis ces années-là et, toutes les deux, avec le Président Senghor. Une fois sous Modibo en 1965 et une autre fois sous Moussa en 1970. Le premier était un bambara, nationaliste farouche et marxisant, le second n’était que militaire tout en étant nationaliste et bambara. Ce qui peut paraître assez sommaire et qui l’est, en effet ! Modibo avait fait toutes ses classes dans le Soudan français, comme le Mali s’appelait alors, puis ici même à William Ponty sous la République française, ce qui veut dire qu’il avait une claire conscience et une expérience concrète de la diversité tant ethnique que culturelle de l’espace politique dans lequel il vivait. C’est ce qui l’a conduit en politique et y a fait son succès. Au Mali comme ailleurs en Afrique, l’art de la politique se confond avec celui du barman : il faut savoir confectionner des cocktails qui puissent être digestes en même temps qu’ils sont savoureux.
Toujours à côté d’un bambara, il fallait avoir un peulh ou un songhaï sinon les deux à la fois pour ne parler que des composantes principales. Car, pour les touaregs, leur mode d’existence, le nomadisme, leur irrédentisme, réel ou supposé, n’étaient que fort peu compatibles avec les nouvelles normes pour ne pas dire ‘’valeurs’’, imposées par l’autorité coloniale, française, occidentale. D’où leur exclusion de fait, et pendant très longtemps, du traitement de leurs propres affaires. Ainsi ont-ils vécu plus ou moins, entre eux, cependant que leurs autres concitoyens vivaient au rythme du reste du monde et de la décolonisation précisément.
De telle sorte que l’indépendance, acquise en 1960, parut rapidement n’être pas pour eux ou ne pas les concerner. Car, tout ce qu’il y avait de changé par rapport à ce qu’il y avait avant, c’était juste la couleur de peau des donneurs d’ordre. Or si Firhoun et ses guerriers Oullimenden avaient bien été vaincus à Anderamboukane, ce n’était ni par les songhaï, ni par les peulhs ni par les bambaras mais par les français !
Ces français qui, aux premières années de la Ve République, dans leur lutte contre le FLN, ont instrumentalisé les touaregs aussi bien en Algérie même qu’au Niger et au Mali. Contre le FLN, on l’a dit mais surtout pour le contrôle du pétrole et pour la bombe atomique qui venait d’être testée au Sahara. Le rêve, c’était de créer un grand état saharien sous tutelle française. Il s’est vite évanoui, certes, mais des graines avaient été semées…
Beaucoup de gens, tous ceux de ma génération en tout cas, ont vu ‘’Lawrence d’Arabie’’, ce film magnifique du Britannique David Leam. Histoire multi-oscarisée d’un Orient Hollywoodisé dans laquelle Omar Sharif fait la guerre aux turcs pour le compte des anglais. Lesquels trahiront ensuite et sans état d’âme leurs alliés arabes au profit de leurs alliés français et de leurs propres compatriotes israélites MM de Rotschild. C’est que les arabes étaient par trop arriérés et faméliques, cependant que les sionistes étaient élégants, cultivés et aussi suprêmement riches. C’est ainsi que la Palestine leur a été promise comme elle le fut à Moise et ce, par Dieu Lui-même comme il est écrit dans tous les Livres révélés !
A Fayçal, fils aîné du Chérif Hussein chef de la Maison du Prophète, à qui un grand royaume arabe avait été promis avec Damas pour capitale, on donna l’Irak comme lot de consolation. A son frère, au lieu de la Palestine on offrit quelques arpents de désert, la Transjordanie qui est exactement la Jordanie actuelle. La Palestine fut mise sous mandat britannique direct alors que la Syrie et le Liban passaient sous administration française.
Mais l’Irak même donné à Fayçal fut, d’autorité, amputé du fabuleux Koweït dont le sous-sol était, scandaleusement, gorgé de pétrole. Petits arrangements entre amis, (Sir Sykes et Sieur Picot dont la frontière internationale entre la Syrie et l’Irak porte encore le nom) qui furent ratifiés par le Traité de Versailles en 1919. Traité fameux qui mit fin à la première guerre mondiale et fut la cause directe de la suivante : 20 ans après comme aurait pu dire Alexandre Damas !
Et du fait de cette dernière, des 6 millions de Juifs massacrés en Europe par Adolfe Hitler et des divergences entre alliés de la veille, Israël naquit. Le proche Orient était une chasse gardée de la Grande Bretagne. Staline a pensé devoir lui y tailler des croupières. Les pays arabes n’étaient, la Syrie et le Liban exceptés, que des monarchies à la solde de Londres, un Etat démocratique et juif leur ferait un contrepoids efficace. Aussitôt dit et aussitôt fait en 1948, avec les voix, si importantes, de l’Ukraine et de la Biélorussie qui, tout étant soviétiques et membres donc de son Union, avaient quand même leur propre voix aux Nations unies ! C’est renversant, c’est inouï n’est-ce pas ? Si Israël existe aujourd’hui, c’est pour beaucoup grâce à l’Union Soviétique.
Tout le monde, on peut le voir, est un peu responsable du chaos que l’on observe dans un monde définitivement globalisé. Ceux qui l’ont voulu pour des raisons de simples profits financiers comme ceux qui n’avaient que des problèmes de lunettes : ils étaient myopes et se sont crus presbytes. Et pendant ce temps, le terrorisme que leur impéritie a enfanté prospère et continue de prospérer car, croyez-moi : il est un niveau d’exaspération et de colère au-delà duquel plus rien ne compte vraiment : ‘’Ku sa biir xotteeku looy doyee dugub ? ‘’Attention alors, attention !