Du jeu de rôles entre «têtes brûlées» et «chiens de garde»
Dans la coalition qui soutient le Président de la République, l'unanimité semble reléguée aux oubliettes des premiers mois d'alternance. Entre ceux qui osent, ceux qui jouent les chiens de garde du pouvoir, les attentistes qui ne veulent s'aliéner aucune amiti, et ceux qui ont les yeux rivés sur la calculette pour l'avenir proche, on assiste à un jeu de rôles qui, note un observateur, ne pourra faire l'économie d'une vraie réflexion entre alliés.
Le feu, qui couve depuis quelque temps dans Benno Bokk Yaakaar (BBY) et dont les braises sont attisées par Rewmi et l’Alliance pour la République, laisse apparaître plusieurs camps : celui de ceux qui tiennent à leur liberté de ton et de critique et qui n'hésitent pas à rappeler à l'ordre le pouvoir dont ils sont une composante ; celui de ceux que l'on n'entend pas ou presque depuis le début des pogroms Rewmi-Apr, attitude révélatrice d'un malaise à leur niveau ; celui de ceux qui ont pris le parti de protéger le pouvoir contre vents et marées ; celui de ceux qui attendent de voir la tournure des événements dans les prochains jours ou semaines...
En tête du «combat» contre l'unanimisme et le «silence complice» face aux actes jugés inappropriés du gouvernement, figure le parti Rewmi. Pour avoir osé demander «la non-immixtion de l'Exécutif dans le fonctionnement de la justice», «le respect des droits de la défense et le secret de l'instruction» dans la traque des biens mal acquis, mais aussi la prise de «mesures hardies et urgentes pour soulager les populations», Idrissa Seck et Cie sont devenus des têtes de Turc de leurs alliés de l’APR. Voyant dans cette sortie un «manque de loyauté», les partisans de Macky Sall demandent aux Seckistes de faire jouer la cohérence dans leur démarche. «Les membres du parti Rewmi doivent se taire ou quitter (...) «Ils doivent se montrer loyaux vis-à-vis du chef de l’État. Sans quoi, la porte leur est grande ouverte. Nous ne les retenons pas», a prévenu Mor Ngom, le Directeur de cabinet du président de la République, sur un ton martial.
Mais la Ligue démocratique (LD) estime, pour sa part, que cette position des «apéristes» n'est pas conforme à l’esprit qui sous-tend la mouvance présidentielle. «Benno Bokk Yaakaar doit fonctionner dans le respect des différences qui constituent la richesse de toute démocratie», ont rappelé le Pr. Abdoulaye Bathily et ses camarades. Plutôt que de se braquer, les «jallarbistes» sont d'avis que «le parti présidentiel doit donner l'exemple en toute circonstance» et, sans doute, en tout lieu. Au-dessus de la mêlée, donc loin des querelles de chapelle, la Ligue démocratique a invité les partis de BBY à «améliorer la cohésion et la solidarité», mais surtout à «garder le cap sur leur objectif stratégique centré sur l'intérêt exclusif du peuple sénégalais».
Dans ce concert de voix dissonantes, il y a celle de Landing Savané, leader de And Jëf/Pads. L’ancien ministre sous Wade soutenait, dans une édition d'EnQuête de la semaine dernière, que «la lutte de pouvoir est au cœur des contradictions» entre l’APR et Rewmi. Une situation qui n’est pas prête de s’estomper à mesure que se rapprochent les échéances électorales locales de 2014. «Il y a ceux qui sont en compétition directe, ceux qui sont dans une alliance pour maintenir des positions», expliquait M. Savané. Hier, le Bureau politique de son parti s’est voulu rassembleur et «lance un appel pressant aux organisations de Benno Bokk Yaakaar pour la préservation de l’unité de leur coalition». Mais cette ambition passe «par la promotion d’espaces de concertation entre ces différents membres, afin de raffermir les liens et dissiper toutes incompréhensions en son sein dans l’intérêt des populations», relève le communiqué d'AJ/Pads.
A l’opposé, d’autres alliés ont fait le choix de la «solidarité gouvernementale (?)» à fond, se gardant ainsi de toute «critique» à l’endroit de Macky Sall et de ses actions. Le cas emblématique de cette situation est représenté par l’Alliance des forces du progrès (AFP) dont le leader, Moustapha Niasse, a juré «sincérité» à Macky Sall. «Benno Bokk Yaakaar est une alliance politique et stratégique avec des partenaires politiques», a-t-il déclaré dimanche, lors d'un Comité directeur exceptionnel de son parti. «Chaque allié doit fonder son compagnonnage sur la sincérité pour soutenir le président Macky Sall dans sa mission de reconstruction du pays». En d’autres termes, a poursuivi le président de l’Assemblée nationale, «on ne peut pas avoir un pied dans BBY et un autre en dehors de BBY». Allusion nette à l’ex-Premier ministre Idrissa Seck qui, au passage, a été traité d'«irresponsable» et de «déloyal» vis-à-vis de la coalition au pouvoir.
Dans ce débat qui tire vers une querelle de clochers entre les partisans du «oui...mais» et ceux du «oui...oui», deux gros calibres de la coalition, qui disposent de plusieurs ministres, députés et directeurs généraux dans le pouvoir, sont aphones. Ce sont le Parti socialiste (PS) et le Parti de l’indépendance et du travail (PIT). Apparemment mal à l'aise, soucieux de ne pas «gêner» le président de la République et surtout décidés à «protéger» jalousement la victoire du 25 mars contre le régime libéral, ils se contentent aujourd'hui d'accompagner les péripéties relatives à la traque des biens mal acquis et à la lutte contre l'enrichissement illicite, s'ils ne saluent pas le choix du Sénégal d'envoyer des soldats au Mali. Pour les Socialistes, c'est comme qui dirait que le linge sale doit se laver en famille et uniquement à ce niveau.
Par contre, le silence du Pit, parti réputé pour ses capacités frondeuses légendaires, est d'une intrigante actualité et acuité. Selon nombre d'observateurs, le mutisme prolongé de Dansokho, Magatte Thiam et compagnie est un bon baromètre pour mesurer la gravité de la situation à l'intérieur de la coalition Benno Bokk Yaakaar.
Dans les débats actuels, on note également les silences assourdissants du Mouvement politique citoyen/Luy jot jotna (MPCL) de Cheikh Tidiane Gadio, du mouvement Bes Du Niak de Mansour Sy Jamil. Le premier, depuis plusieurs semaines, est davantage tourné sur l'international avec le lancement de l'Institut panafricain de stratégie (IPS). Le second s'est, quant à lui, beaucoup rapproché du président de la République qu'il accompagne de plus en plus souvent dans ses voyages officiels, notamment dans les pays arabes. Attentisme teinté d'opportunisme ? Si la brouille entre Idrissa Seck et Macky perdure et gagne en intensité, pronostique un observateur, tous les embusqués seront contraints de prendre position, en toute clarté. Ce serait alors le temps de la réflexion, de la «rectification» peut-être.
DAOUDA GBAYA
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