Par Soro DIOP journaliste
Les charlots de la foi ont charcuté Charlie-Hebdo, mais ils lui ont rendu un certain charme, même chez certains qui n’aimaient pas les irrévérencieux de cette rédaction atypique, bouffi d’impertinence. Comme quoi la caricature, même en produit explosif, ne s’éteint pas le feu. Le choix d’une arme à feu comme recours, comme l’illustrent à l’envi les levées de bouclées, les manifestations grandioses à dimension planétaire, le tirage pharaonique de Charlie-Hebdo à 3 millions d’exemplaires, a fait exploser de mille feux un canard qui était à l’agonie. Comme quoi «qui veut faire l’ange fait la bête»,pour dévaliser le philosophe Blaise Pascal.
«Faut que ça saigne ! », ce refrain des Joyeux Bouchers chanté par Boris Vian et dont les terroristes ont fait leur «opus sanglant» le 7 janvier 2015, n’estni si mélodieux ni si dansant. C’est une insoutenable musique qui déchire toute conscience attachée aux valeurs qui fondent la liberté. L’islam, cette religion assise sur la tolérance dont le prophète Mohamet a donné bien des exemples qui méritent de s’enraciner dans les cœurs des croyants, n’a pas besoin d’incendiaires, de pyromanes, de Lucky-Luke de la gâchette.
Les écorcheurs baltes de la raison qui prétendent être élus pour venger le prophète, oubliant la sanction du Vengeur absolu, font entrer notre sociétédans une déraisonnable aventure. Que nous soyons Charlie ou pas Charlie, là n’est pas la question ; la question est dans la défense principielle de la liberté de penser, comme consubstantielle à la liberté de la pensée. La question est que l’exclusion de la pluralité est un déni de la différence, la signature vaine d’une uniformité impossible.
Et qui plus est, ce n’est pas dans les vilenies assassines et les outrances meurtrières que l’on donne son lustre à la religion musulmane, pas plus qu’à une autre religion d’ailleurs.Au contraire, comme l’attaque contre la rédaction de Charlie-Hebdo, elles font l’affaire des boutefeux de l’extrémisme exclusiviste, des xénophobes et autres islamophobes qui y trouvent maintenant une aubaine pour apparaître sous les habits immaculés de parangons de la liberté et de la tolérance. Ainsi, ces gens-là intègrent allégrement les marches et les manifs contre les bourreaux encagoulés qui ont eu l’audace lâche de s’en prendre à des journalistes armés de plumes. Quand est-ce que donc, ces pour-«fendeurs de l’aube» comprendront que les critiques acerbes, les caricaturistes impertinents, les écrivains aux plumes vitriolés contre l’islam ne seront jamais des ébranleurs d’une foi solide ?
La religion musulmane est un puits intarissable de connaissances, de savoirs inoxydables et pourtant toujours en possibilité de phase avec toutes les époques. Ce sont ces connaissances et ces savoirs que l’on doit pouvoir opposer aux injures, aux irrévérences et autres apostasies. L’islam, à travers son prophète, postule d’aller chercher la connaissance jusqu’en Chine. Ce n’est donc pas le «savoir des armes», mais «l’arme du savoir» qui constitue la meilleure réplique à tous les Charlie et consorts. Aux ennemis de l’islam, laissons les mensonges qui paraissent solides se dissoudre dans l’eau salée de la vérité, une vérité qui a besoin d’être défendue surtout et toujours par l’arme de la connaissance.
Les terroristes qui cherchent à se faire passer pour des oies de la foi nous éloignent des vrais enjeux du monde, de notre monde. Un monde bien cruel marqué par des crises plurielles, enlisé dans une économie libérale nocive, corrosive, productrice d’inégalités de plus en plus inacceptables, dominée par des méthodes spéculatives au profit d’une infime poignée de riches dans un océan planétaire de misères.Les inégalités criardes qui régentent le monde constituent le pain béni des extrémistes de tous bords. Ce système-là, quand comprendrons-nous donc, qu’il ne peut pas continuer ainsi, sans enfanter des désespérés sociaux, une manne humaine devenue une proie facile pour les sergents-recruteurs des expéditions suicidaires au nom de l’islam?
«L’AFRICANISME FACILE»
Par ailleurs, nous avons entendu et lu les soudaines irruptions théoriciennes suscitées par les manifestations à Paris et à travers le monde et assumées par quelques adeptes de ce que David Diop appelait «l’africanisme facile». Ils se sont indignés, certes, pour la plupart, contre le meurtre infligé à la raison par les attaques contre Charlie Hebdo et les prises d’otage, mais certains se sont subitement rappelé, pour s’en désoler, qu’il existe des cercles de feu islamiste à Kidal au Mali et au Nord du Nigeria. Des confrères journalistes se sont emparés de leurs plumes pour crier leur indignation face à cet oubli.
Mais quelles initiatives ont-ils prises pour porter la plume dans ces plaies, sinon des reprises circonstancielles de quelques dépêches et articles publiés par des journalistes «étrangers» ? Ont-ils pris la mesure de la démesure terroriste sur le terrain ensanglanté au Mali et au Nigeria ? Le journalisme n’a pas de frontières et c’est pour cela qu’elle porte à la conscience universelle des événements du gendre de ce qui s’est passé récemment en France. En le faisant, il oblige les élites politiques à prendre la bonne mesure de leurs responsabilités. C’est en participant à l’émergence et à l’affermissement d’une conscience citoyenne, à l’échelle de nos pays et de l’Afrique, que l’on créera les mêmes conditions de l’élan populaire, voire planétaire contre les événements traversés par la France.
Avec l’africanisme facile, on ne peut pas continuer à refaire l’histoire, à nous refaire bonne conscience, sur le dos courbé de nos échecs collectifs, de nos renonciations défaitistes, de nos indifférences démissionnaires, en versant dans la désignation de l’autre, toujours l’autre comme coupable de nos responsabilités désertées par nous-mêmes africains.
A quoi voyons-nous certains bien-pensants «africains» et/ou «africanistes» opposer comme arguments à tous les Charlie du monde, à nos élites politiques qui se sont retrouvés sur la patrie de Voltaire, celle des écrivains du siècle des Lumières ? Des arguments aussi lisses que des œufs de Pâques sur lesquelles glissent des récriminations prétendument anticolonialistes comme si les intellectuels et les élites politiques qui se sont fait des Charlie et dont certains ont participé à la Marche républicaine, avaient commis un sacrilège, ont profané un «nécessaire équilibre» pour n’avoir pas fait la même bronca protestataire contre BokoHaram.
«Liberté, fraternité, égalité», pourquoi, au nom d’un africanisme facile, confortable et si douillet, devons-nous horripiler «cette voix de la France». Parce que certains voudraient seulement voir maintenant Noël à Kidal ou du Haram (du proscrit) au Nord du Nigeria ?
Serions-nous ces chaisières qui ne retrouvent le plaisir de se redresser que lors les exemples nous viennent d’Outre-Atlantique ? Devrions-nous encalminer nos positions dans l’enfermement des éternelles réclames d’une part africaine, en tout et partout ?