‘’Ce que la Turquie peut nous apporter…’’
Une délégation du Conseil des relations économiques extérieures (Deik) de la Turquie a séjourné du 21 au 25 août à Dakar. Le chef du Bureau économique de l’ambassade du Sénégal à Ankara qui a accompagné ces investisseurs turcs explique, dans cet entretien avec EnQuête, la genèse de la coopération entre le Sénégal et l’ancien empire Ottoman. Cheikh Diallo revient aussi sur ce qui s’est passé le 15 juillet dernier dans les rues d’Ankara.
Vous avez accompagné une délégation du Deik qui a séjourné à Dakar pendant quelques jours. Quel a été l’objet de sa visite au Sénégal ?
La délégation du Deik a séjourné à Dakar du 21 au 25 août 2016. Elle a eu à rencontrer plusieurs autorités. Nous avons rencontré la Primature, le ministre de l’Énergie, le ministre du Commerce. Nous avons également eu des séances de travail avec l’Apix, le Cices, l’Asepex, l’Union nationale des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture du Sénégal, la chambre de commerce de Dakar elle-même, le comité des affaires sénégalo-turques. Donc c’est une visite qui a été extrêmement dense en termes de rencontres, de discussions et de résultats. La délégation a été conduite par le Docteur Ihsan Sahin qui est membre du Deik.
Le Docteur Sahin est également le président du comité des affaires sénégalo-turques. Après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 qui a vu une partie infime de l’armée turque essayer de renverser le régime élu démocratiquement, le président, son excellence Recep Tayyip Erdogan, avait demandé aux leaders des organisations à caractère économique de se rendre à l’étranger pour rassurer les autorités de ces pays, la communauté des affaires de ces pays sur le fait que la Turquie est sortie encore beaucoup plus forte de cette épreuve. Le second objet était de discuter avec la communauté des affaires et les autorités sénégalaises sur les possibilités d’approfondir, d’élargir et de diversifier les échanges économiques entre les deux pays.
C’est quoi le Deik ?
Le Conseil des relations économiques extérieures, c’est l’organisation faitière qui regroupe toutes les grandes entreprises turques. Il a été créé par le gouvernement de la Turquie pour s’occuper des relations extérieures des hommes d’affaires et des entreprises turcs vers l’extérieur.
D’une manière globale qu’est-ce qui a été retenu à la fin de la visite ?
Cette visite vient renforcer ce qui a été fait déjà entre les 2 pays. Au terme de toutes ces rencontres, la délégation est repartie très, très satisfaite. La rencontre a donné l’occasion de discuter dans le cadre du comité des affaires sénégalo-turques pour voir comment créer les conditions pour que les hommes d’affaires privés puissent être le fer de lance de la nouvelle dynamique qui a été imprimée à la coopération. Ils ont pu constater toute la politique qui a été mise en place par son excellence le Président Macky Sall et toutes les actions qui ont été menées à ce niveau.
Aujourd’hui, comment se porte la coopération entre les deux pays ?
Notre coopération se porte absolument bien. Le seul problème que nous avons est qu’elle n’est pas à la hauteur des ambitions des chefs d’Etat, des attentes des peuples et des potentialités que nous avons. Nous avons des potentialités à tous les niveaux : agriculture, agrobusiness, les mines, l’éducation, la santé. Nous pensons que la Turquie peut nous accompagner dans notre dynamique d’émergence. Surtout que les Turcs ont eux-mêmes choisi de faire du Sénégal un de leur partenaire privilégié en Afrique.
La Turquie est devenue au fil des années une destination privilégiée des hommes d’affaires et commerçants sénégalais. Selon vous, qu’est-ce qui justifie ce choix ?
La Turquie s’est singularisée comme étant un pays qui fait des produits de qualité. 45% des produits de la Turquie sont exportés en Europe et à des prix chinois. Cela explique l’attirance que la Turquie exerce non seulement sur les hommes d’affaires sénégalais mais surtout sur les hommes d’affaires du monde entier. Les entreprises turques ont des produits de qualité qui sont abordables. Elles offrent des conditions de collaboration, de coopération qui sont acceptables et abordables pour les pays africains. S’y ajoute que Turkish Airlines a augmenté ses vols. Elle a même ouvert un vol cargo et Dakar est sa base.
Dans le sens inverse, beaucoup d’hommes d’affaires et industriels turcs se sont établis depuis quelques années au Sénégal. Quels sont les différents secteurs d’activités dans lesquels ils interviennent ?
Comme je le dis, l’économie turque est très dynamique. Les hommes d’affaires turcs sont également dynamiques. La dynamique d’émergence qui a été imprimée à notre économie par le Plan Sénégal émergent initié par M. le président de la République fait que nous sommes une destination privilégiée pour les investissements et pour les hommes d’affaires à la recherche de partenariats et d’investissements rentables. C’est ce qui explique qu’il y ait beaucoup d’hommes d’affaires qui interviennent dans tous les secteurs. Ils sont dans l’agroalimentaire, il y a Biskrem que tout le monde connaît et d’autres produits.
Il y a FKS dans la minoterie, le centre de cardiologie, le centre d’ophtalmologie. C’est pourquoi nous estimons qu’il faudra, à travers des visites comme celle qui vient de se passer, que les hommes d’affaires sénégalais et turcs nouent des partenariats. Il ne s’agit pas pour nous de continuer à importer mais d’établir ici des industries moyennes pour le marché sénégalais et conquérir des opportunités qui nous sont offertes par l’Agoa.
Comment faire pour inverser la tendance de cette balance commerciale qui est en faveur de la Turquie ?
La balance commerciale est en faveur de la Turquie malgré la croissance exponentielle du volume des échanges commerciaux. Rétablir cette balance nécessite du temps. Et pour y arriver, il faut développer des stratégies adéquates et des partenariats. Certains des problèmes que nous avons gravitent autour du fait que notre production n’est pas aussi élevée. Si on prend l’exemple de la mangue, la production est saisonnière. Pour un marché de 80 millions comme la Turquie, pour pouvoir l’approvisionner, ça pose parfois des problèmes. Je pense qu’en favorisant les investissements de la Turquie dans les mines, on peut créer une tendance qui fera que beaucoup de produits sénégalais seront exportés.
La Turquie ne cherche-t-elle pas à faire de Dakar une porte d’entrée pour conquérir le marché ouest-africain ?
La première ambassade de la République de Turquie en Afrique subsaharienne a été ouverte au Sénégal en 1964. Ce n’est pas donc un hasard que les Turcs viennent au Sénégal pour essayer de développer leurs relations avec les autres pays. Nous avons des relations extrêmement fortes. Pour eux, le Sénégal est un pays stable avec des atouts économiques multiples. Avec votre position géostratégique, c’est tout à fait normal que les Turcs veuillent faire de votre pays leur base en Afrique de l’Ouest, dans leur stratégie d’expansion.
Le 15 juillet dernier, le régime d’Erdogan a échappé à un coup d’Etat. Comment les Sénégalais de la Turquie ont vécu cette situation ?
C’était assez terrifiant et cela a coïncidé avec un vendredi. En un moment, on a entendu des coups de feu, des passages d’avions et des bruits assez terribles. La télévision publiait un communiqué pour dire que toutes les libertés étaient suspendues car il y avait un coup d’Etat. C’était quand même assez effrayant. Le Président Erdogan est intervenu pour inviter le peuple à descendre dans la rue et vu l’analyse que beaucoup de gens en ont, cela ne pouvait pas réussir parce que le peuple adhère aux idéaux tracé par Erdogan.
Comment Erdogan a-t-il pu échapper à ce coup d’Etat ?
Le peuple était derrière lui, il adhère à sa politique et quand il a appelé les gens à sortir, ils se sont jetés à mains nues sur les chars. Des personnes de tous les âges sont sorties pour le défendre. Ce qui m’est venu à l’esprit ce jour est que la Turquie venait d’écrire une nouvelle page de son histoire. Elle a permis de révéler une nouvelle Turquie. Cela a créé beaucoup plus de respect et d’admiration pour ce peuple qui est sorti défendre les idéaux de démocratie et de paix.
Le gouvernement turc manœuvrait pour fermer le groupe scolaire Yavuz Sélim du Sénégal qui, dit-on, est contrôlé par le mouvement Gulen. En tant que diplomate, est-ce que vous étiez au courant de cette information ?
Je m’occupe plutôt des affaires économiques et je n’ai pas évidemment entendu parler de cela. Les autorités qui ont en charge ces questions-là auront le devoir de communiquer là-dessus. Mais tout ce qui touche à la Turquie fera l’objet d’un examen méticuleux de la part de nos autorités et de nos services compétents.
ALIOU NGAMBY NDIAYE