Cheikh Yérim Seck, perdu entre les sources et les preuves
Et si on s’arrêtait dans ce pays de se voiler la face et de voiler la face de certains ! Allons-nous continuer dans la joyeuse insouciance face au jeu pervers de manipulation, de chantage et d’imposture, auquel certains peuvent se livrer au nom de la presse et des libertés qu’elle garantit. Le cas de Cheikh Yérim Seck doit être l’occasion d’une réflexion sereine sur la protection des sources et l’exigence des preuves. Si l’une est un principe sacro-saint dans l’exercice du journalisme, l’autre est aussi une garantie de crédibilité de l’information. Il est tout à fait possible de veiller scrupuleusement à la protection de ses sources tout en ayant des preuves sur des faits avérés sur lesquels on informe.
Autrement, n’importe qui « informe » le journaliste non sans intérêt d’ailleurs peut lui fourguer n’importe quoi sous prétexte d’être couvert par la protection des sources. On s’autoriserait ainsi toutes les audaces pour dénigrer, accuser et trainer dans la boue d’honnêtes gens. A Hubert Beuve Méry, on avait demandé ce qu’est un bon journaliste. Il avait alors simplement répondu : « non à la désinformation !» C’est dire que sur cette question de sources et de preuves, il ne saurait être question ni d’un unanimisme moutonnier ni d’un consensus bêlant.
Encore que le cas de Cheikh Yérim Seck épouse une singularité qui n’aurait pas été sujette à interrogation s’il s’agissait d’une autre journaliste à la posture morale et éthique immaculée. Il est vrai qu’il continue de se réclamer allègrement d’une profession dont il a depuis longtemps trucidé le code d’honneur, d’éthique et de déontologie. Et ne l’oublions pas, parce qu’il n’y a point de place à l’oubli sur cette affaire, après une infamante affaire de viol sur mineure pour laquelle il a fait la prison avant une liberté conditionnelle. Hélas, il faut souffrir de cette piqûre de rappel.
C’est pourquoi il ne faut jamais se lasser de dénoncer sans relâche ni indulgence coupable et/ou complice les séances subtiles de quête de virginité professionnelle à travers des occupations ostensibles des plateaux de télévision et des colonnes des médias au nom d’une profession de journaliste que l’on a pourtant souillée. Comme d’ailleurs, sur un autre registre Clédor Sène, coupable de l’assassinat d’un juge constitutionnel, Me Babacar Sèye, qui court les studios et plateaux de télévision, tel un oracle ressuscité.
Beaucoup de Sénégalais n’arrivent pas à comprendre pourquoi les studios et les plateaux de télévision sont si facilement ouverts à de tels personnages en quête de relookage moral et professionnel. Le défunt Sembène Ousmane, parlant de la vie citadine, aimait répéter que dans ce milieu de débrouillardise et de quête d’ascension sociale, «le vice est devenu vertu» et «l’entreprenant y vit aux dépens du négligeant». Là aussi l’entreprenant Cheikh Yérim Seck se laverait-il allègrement de son passé de viol sur mineure aux dépens de la négligence des médias qui lui offrent l’impossible bain de propreté ?
Les médias doivent refuser de servir de supports et d’espaces à ceux qui balafrent les vertus, éléments constitutifs du moule inviolable de la pratique du métier de journaliste, un métier quelque part au cœur de l’éducation citoyenne, de la transmission de valeurs conformes à l’éthique et à la morale. Sous ce rapport, on est en droit de se demander où donc se trouvent les associations de femmes, les organisations de protection et autres droits de l’enfance, qui voient de tels anti-symboles et autres contre-exemples continuer à s’introduire dans les foyers par la magie du petit rectangle.
Il faut avoir le courage de relever, par rapport à la profession du journalisme, une des rares il faut le reconnaître à se soumettre à la critique et à l’autocritique –fort heureusement !- que des gens comme Cheikh Yérim Seck sous le manteau d’homme du milieu, jouissent de la complicité consciente ou inconsciente, avouée ou inavouée de quelques officines médiatiques où ils aiment plastronner en faux anges gardiens de la société, alors que les auditeurs et les lecteurs instruits de leur passé et de leurs pratiques les perçoivent comme de mauvais génies à mettre à l’abri des regards de leurs enfants. Sans vous parler du traumatisme qui doit habiter la fille à l’enfance violée et volée ainsi que sa famille à chacune de ses prestations qui font exploser le couvercle de la marmite nauséabonde. Nauséeuse.
En quête d’une virginité morale
Doit-on encore se faire complice des prestations enivrées de mégalomanie et de suffisance sur fond de spectacles télévisuels qui cherchent à occulter dans les mémoires pourtant encore fraîches et peuplées d’un abominable viol sur une adolescence à laquelle Cheikh Yérim Seck a arraché l’innocence de l’enfance ? Le perpétuel cauchemar d’une enfance habitée désormais par l’effroi et l’effroyable fantasme pervers d’un adulte qui aurait pu être son père. Se demande-t-on seulement parfois, si celle-ci était notre fille, notre sœur, notre nièce ?
Les experts de petit comptoir, portant le vice comme la nuée porte l’orage, oublient la lucidité rarement prise à défaut de l’écrasante majorité silencieuse, ces spectateurs anonymes qui en arrivent à zapper des donneurs de leçon comme Cheikh Yérim Seck, qui exhibent et s’exhibent avec plus de fabulations et de fictions au détriment et au mépris des faits, avant tout les faits et les preuves tangibles qui constituent la bible de l’information pour le journaliste.
Dans n’importe quel autre pays, y compris parmi les plus démocratiques au monde, Cheikh Yérim Seck, après son viol établi et sanctionné par un emprisonnement, n’oserait plus se montrer ostensiblement sur les plateaux de télévision, se réclamer d’un métier qu’il a souillé et s’ériger –oh comble de l’ironie et de rage aveugle !-, en parangon de la vertu, en champion du patriotisme et de gardien du patrimoine national. Décidément, les mots n’ont plus leur sens ou bien de certaines bouches ils perdent tous leurs sens et vont dans les sens !
Imaginez seulement un Dominique Strauss-Kahn voulant se laver dans la presse française et être même en expert de l’économie un hôte régulier des médias. Combien de hautes personnalités politiques, des sports, du show-biz, de la chanson, du cinéma et de la religion qui, rattrapés par leur passé de violeurs ou de pédophiles, ont vu leurs bouches barbelées après la découverte de leurs actes ignobles, de leurs indécents forfaits ? Oseraient-elles, comme Cheikh Yérim Seck, se reconvertir à la pensée automatique et sectaire pour se donner une nouvelle virginité morale en entonnant les chœurs râpés sur toutes les aspérités d’un populisme intéressé et d’un patriotisme en emballage médiatique pour tromper l’opinion ?
On le savait et ni le passé ni le présent encore moins l’avenir n’y changeront rien : la foi et la chair n’ont jamais eu des atomes crochus, n’ont jamais été en odeur de sainteté. Pour le reste, ni les injures, ni les invectives et autres intimidations ne sauront infléchir les esprits forts. L’avenir, dans ces affaires, saura tôt ou tard séparer l’ivraie et la bonne graine parmi les flots d’informations qui irriguent les médias et les réseaux sociaux.
Par Soro DIOP