Un enjeu crucial pour le développement socioéconomique

Le Code du travail sénégalais, révisé pour la dernière fois en 1997, régit les relations professionnelles entre employeurs et travailleurs. Toutefois, face aux évolutions socioéconomiques rapides, aux exigences de la mondialisation et à l'impact des nouvelles technologies, une révision s’avère indispensable. Le ministre du Travail, Abass Fall, dans ses récentes déclarations sur la RTS1, a mis en lumière la nécessité d’une réforme pour adapter le cadre législatif aux défis contemporains tout en garantissant une meilleure protection des travailleurs et en soutenant la compétitivité du pays.
Voici les principaux axes de cette réforme, en tenant compte des réalités locales et des engagements internationaux du Sénégal.
1. Modernisation des contrats de travail : pour une meilleure sécurité des travailleurs
Le contrat à durée déterminée (CDD) est souvent utilisé de manière abusive au Sénégal. Selon l’article L42 du Code du travail, aucun travailleur ne peut conclure plus de deux CDD successifs avec le même employeur ni renouveler un CDD plus d'une fois. Au-delà de ces limites, le contrat se transforme automatiquement en contrat à durée indéterminée (CDI).
Pourtant, dans la pratique, le recours excessif aux CDD demeure une réalité ; ce qui précarise les travailleurs.
Une réforme doit renforcer la régulation des CDD, en les limitant à des cas exceptionnels et en encourageant leur conversion en CDI. Il est également essentiel de mieux encadrer l’utilisation des contrats de prestation, qui sont souvent détournés pour éviter les obligations liées à un emploi classique, notamment la couverture sociale.
2. Lutte contre le travail informel : pour une meilleure protection sociale
Le secteur informel représente une part importante de l’économie sénégalaise, particulièrement dans les zones rurales et dans des secteurs comme l’agriculture ou le commerce. Or, les travailleurs du secteur informel sont souvent privés de protection sociale et d'accès à la formation.
La réforme du Code du travail doit favoriser la formalisation de l’économie informelle, en mettant en place des incitations fiscales, une simplification des démarches administratives et une extension progressive de la couverture sociale aux travailleurs informels. En réduisant la précarité et en intégrant davantage de travailleurs dans le secteur formel, cette mesure renforcera la compétitivité du pays à long terme.
3. Revalorisation du SMIG : une nécessité face à la conjoncture
Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), actuellement fixé à 64 223 F CFA par mois pour un travail de 40 heures par semaine, est largement insuffisant face à l’inflation croissante et à l’augmentation du coût de la vie.
Il est impératif d’établir un comité chargé de réviser régulièrement le SMIG en concertation avec les partenaires sociaux. Une revalorisation périodique, indexée sur l’inflation et le coût de la vie, garantirait aux travailleurs un salaire décent et adapté aux réalités économiques du pays.
4. Amélioration des congés familiaux : une avancée pour l’égalité et le bien-être des familles
Le Code du travail sénégalais doit évoluer pour mieux répondre aux besoins des familles, en repensant à la fois le congé de maternité et le congé de paternité.
Prolongation du congé de maternité
Actuellement, la durée du congé de maternité au Sénégal est de 14 jours, une durée bien inférieure aux normes internationales. L’Organisation internationale du travail (OIT) recommande un congé de maternité de 12 à 16 semaines, afin de permettre aux mères de récupérer après l’accouchement et de s’occuper de leur nouveau-né dans des conditions optimales. Une réforme devrait porter la durée minimale du congé de maternité à au moins 12 semaines, avec une prise en charge plus adaptée des salariées concernées.
Introduction du congé de paternité
Le Code du travail sénégalais ne prévoit actuellement aucun congé pour les pères. Pourtant, l’implication des pères dans les premiers jours de la vie de l’enfant est essentielle pour l’équilibre familial et l’égalité des sexes. L’intégration d’un congé de paternité dans la législation répondrait aux recommandations internationales et permettrait une meilleure répartition des responsabilités parentales.
L’instauration d’un congé de paternité de 10 à 14 jours offrirait aux pères la possibilité de soutenir leur conjointe et de jouer un rôle actif dans les premiers jours de la vie de leur enfant. Cette mesure favoriserait également un environnement de travail plus inclusif et égalitaire.
5. Prise en compte du télétravail et des nouvelles formes de travail
Le télétravail est devenu une réalité incontournable, particulièrement après la pandémie de Covid-19. Cependant, le Code du travail sénégalais ne prévoit aucune disposition spécifique pour encadrer ce mode de travail, ce qui expose les employeurs et les salariés à des incertitudes juridiques.
Dans le cadre du New Deal économique, le gouvernement sénégalais met en avant la digitalisation et l’inclusion numérique comme leviers de modernisation. La réforme du Code du travail doit ainsi inclure des règles claires sur :
Ÿ Le temps de travail et le droit à la déconnexion
Ÿ La prise en charge des frais professionnels liés au télétravail (connexion Internet, équipements, etc.)
Ÿ La protection sociale et les conditions de santé et de sécurité des travailleurs à distance
Encadrer le télétravail permettrait non seulement d’améliorer la productivité des entreprises, mais aussi d’assurer une meilleure qualité de vie aux travailleurs, tout en réduisant les inégalités entre ceux qui travaillent en présentiel et ceux qui travaillent à distance.
6. Inclusion des DRH et des praticiens du droit social dans la réforme
Toute réforme du Code du travail doit être élaborée en concertation avec les acteurs du monde du travail. Les responsables RH, les syndicats et les praticiens du droit social sont en première ligne pour appliquer les nouvelles dispositions et garantir leur efficacité.
Un dialogue social renforcé, intégrant toutes les parties prenantes, est indispensable pour assurer l’équilibre entre modernisation du marché du travail et équité sociale.
Conclusion : un équilibre entre progrès social et compétitivité économique
La réforme du Code du travail sénégalais est une nécessité pour répondre aux réalités du monde du travail et aux défis socioéconomiques du pays. En modernisant les contrats de travail, en luttant contre l’économie informelle, en revalorisant le SMIG, en révisant les congés familiaux et en encadrant le télétravail, le Sénégal se donne les moyens d’améliorer la condition des travailleurs tout en favorisant un environnement économique plus compétitif et attractif.
Une réforme inclusive et concertée, prenant en compte les intérêts des travailleurs et des employeurs, permettra d’établir un cadre législatif plus juste, plus moderne et plus adapté aux réalités du marché du travail sénégalais.
Papa Abdoulaye Ndiaye
Juriste Consultant RH
ndiayepapaabdoulaye@outlook.com