Le Sénégal pas encore à fond dans les exigences du FMI
L’Assemblée nationale a entamé, samedi dernier, la session ordinaire pour le vote du budget 2024. Projetée à 7 003 milliards F CFA, la sincérité de cette loi de finances initiale (LFI) questionne certains parlementaires. Parmi eux, l’honorable Mamadou Lamine Diallo qui, au-delà des questionnements sur le montant effectif du budget 2024, s’interroge sur le dernier financement de 166 milliards F CFA accordé en octobre dernier par le Fonds monétaire international (FMI) au Sénégal.
Dans sa ‘’QES TEKKI’’ d’hier, le député Mamadou Lamine Diallo estime que le Sénégal est sous la coupe du FMI. Il a interpellé le gouvernement sur les 166 milliards promis à mi-décembre par le FMI, notamment, les conditionnalités pour ce décaissement. ‘’Connaissant le FMI, il y a sans doute des objectifs de recettes fiscales et un calendrier d’arrêt des subventions à l’énergie et des denrées de première nécessité’’, a-t-il souligné.
Plus largement, le candidat annoncé à la Présidentielle 2024 est revenu sur les conditions d’octroi au Sénégal d’une facilité élargie de crédit (FEC), d’un mécanisme élargi de crédit (MEC) d'un montant de 1,51 milliard de dollars et d’une facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) d'un montant de 324 millions de dollars. Le 26 juin 2023, le Conseil d'administration du FMI a approuvé ces programmes pour le Sénégal sur une durée de 36 mois.
C’est dans ce cadre qu’une équipe du FMI a effectué une mission du 12 au 24 octobre à Dakar, à l’issue de laquelle un accord a été trouvé avec les autorités sénégalaises autour des premières revues au titre du mécanisme élargi de crédit et de la facilité élargie de crédit, ainsi que de la facilité pour la résilience et la durabilité. Sous réserve d’un feu vert du conseil d’administration en mi-décembre, le Sénégal va bénéficier d’un décaissement de 166 milliards F CFA.
Les conditions du financement
Si le gouvernement n’a pas réellement communiqué sur les conditions d’octroi de ce financement, une vérification des conditionnalités de ces programmes permet de se faire une idée. En réalité, la facilité élargie de crédit (FEC) est l’un des mécanismes du Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (Fonds fiduciaire RPC) qui apporte une aide financière à moyen terme aux pays à faible revenu qui connaissent des difficultés prolongées de balance des paiements. Quant à la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD), elle offre un financement abordable et à long terme permettant à des pays engagés dans des réformes de réduire les risques pour la stabilité future de leur balance des paiements, notamment ceux liés au changement climatique et aux pandémies.
Les facilités de crédit sont assorties de conditionnalités dont le but est ‘’de protéger les ressources du FMI en s’assurant que le pays se trouvera dans une situation financière suffisamment bonne pour rembourser le prêt et, ainsi, permettre à d’autres pays de disposer de ces ressources à l’avenir, au besoin’’.
Toutefois, il faut noter qu’il est précisé ‘’qu’actuellement, le taux d’intérêt est nul’’.
Dans l’accord sur les programmes FEC, MEC et FRD, le gouvernement s’est engagé avec le FMI sur la dette, les recettes et dépenses publiques. Ainsi, précise le FMI, ‘’la réduction des vulnérabilités croissantes de la dette nécessite une mise en œuvre résolue de la stratégie d'assainissement budgétaire ancrée sur les engagements d'atteindre un déficit budgétaire de 3 % du PIB d'ici 2025’’.
Les engagements du gouvernement
Dans la LFI 2024 actuellement sur la table des députés, il est à noter que le rapport de la projection des recettes et des dépenses fait ressortir un déficit budgétaire de 840,2 milliards F CFA. Pour le gouvernement, cela devrait être mieux que 2023, car l’année en cours table sur un déficit calculé à 1 045,5 milliards F CFA, soit 5,5 % du PIB.
Avec les projections sur 2024, la LFI annonce ainsi une baisse de cet indicateur, car le déficit serait de 3,9 % du PIB, ‘’à la faveur de la dynamique de croissance vigoureuse sur la période 2024-2028, ainsi que de l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience des dépenses publiques’’.
Du côté des recettes, le FMI demande la mise en œuvre de la stratégie de mobilisation de recettes à moyen terme pour améliorer la mobilisation des recettes, notamment par la rationalisation des exonérations de TVA et l'élargissement de l'assiette fiscale. Les prévisions de recettes du projet de loi de finances 2024 s’établissent à 4 915,2 milliards F CFA, contre 4 096,4 milliards F CFA dans la loi de finances pour l’année 2023, soit une augmentation de 818,8 milliards (+20 %). Elles se composent de 4 390 milliards de recettes internes, des dons budgétaires et en capital d’un montant de 303, 8 milliards, de même que des recettes des comptes spéciaux du Trésor qui s’équilibrent à 221,5 milliards F CFA.
Si les autorités semblent s’établir sur la bonne marche en ce qui concerne la mobilisation des recettes, la gestion prudente demandée par le FMI est plus mise à l’épreuve.
En effet, les intérêts sur la dette publique sont passés de 424,3 milliards F CFA en 2023 à 578,3 milliards F CFA pour 2024. Ce qui correspond à une hausse de 36 % par rapport à 2023. Plus contradictoire, en accord avec les autorités du FMI, le Sénégal a consenti une anticipation de financement sur l’année 2024 d’un montant global de 605 milliards F CFA.
Malgré tout, l’institution de Bretton Woods estime que la dette du Sénégal reste viable, dans le champ des pays à risque modéré de surendettement, bien que le pays ait dépassé la limite d’endettement permise au sein de l’Union économique monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui est de 70 % du PIB.
Des dépenses que l’on peine à maîtriser
L’autre conditionnalité posée par le FMI sur la rationalisation des dépenses est l’élimination progressive des subventions énergétiques non ciblées, en faisant ‘’une priorité qui devrait s'accompagner de mesures visant à renforcer les filets de sécurité sociale existants’’.
Si une baisse de 100 milliards F CFA a été faite sur l’électricité, le ministre des Finances a informé que les dépenses du budget général sont programmées à 5 533,9 milliards F CFA pour l’année 2024, soit une progression de 568,9 milliards F CFA (11,5 %) par rapport à la LFI de 2023. Pendant ce temps, la masse salariale devrait progresser de 13,3 % pour s’établir à 1 442,5 milliards F CFA en 2024.
D’autres exigences du FMI concernant la lutte contre la corruption, à travers le renforcement de l'Agence de lutte contre la corruption (Ofnac) et du système de déclaration de patrimoine pour les agents publics ne sont toujours pas effectives. Les enquêtes annoncées dans le cadre des détournements présumés dans l’affaire des fonds Force Covid-19 sont, par exemple, toujours au point mort.
Lamine Diouf