L’Afrique divisée sur fond d’escalade entre le Hamas et Israël
Le continent africain peine à trouver une position commune dans le conflit entre le Hamas et Israël, à la suite de l’attaque-surprise du mouvement palestinien dans le Sud israélien. Ainsi, si des pays comme l’Algérie et la Tunisie ont salué cette offensive, d'autres comme le Kenya et le Togo ont affiché leur soutien à Israël. Cette division pourrait empêcher l’Union africaine de parler d’une même voix dans cette crise.
La reprise du conflit entre le Hamas et l’État hébreu a révélé des lignes de fracture au sein de la diplomatie africaine. Si la plupart des pays africains, en raison de leur soutien historique à la cause palestinienne, ont appelé à la retenue et à éviter toute action pouvant conduire à l’escalade, des pays comme l’Algérie et la Tunisie ont salué l’action du Hamas, tandis que d’autres (Kenya, Togo) ont tenu à apporter leur soutien à Israël. De son côté, l’Union africaine, à travers le président de la Commission, a décidé de jouer les équilibristes. Moussa Faki Mahamat a appelé, le samedi 7 octobre, à enrayer l’escalade entre le Hamas et Israël en plaidant pour un retour ‘’sans conditions préalables à la table des négociations pour mettre en œuvre le principe de deux États’’ et pour la défense ‘’des intérêts du peuple palestinien et du peuple israélien’’. Le Sénégal, qui préside actuellement le comité des Nations Unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, a également souligné la ‘’nécessité de raviver au plus vite les négociations entre les deux parties’’.
Au moins deux touristes israéliens ont été tués et un autre blessé lorsqu'un policier a ouvert le feu sur eux à Alexandrie, en Égypte, plus tôt dans la journée du 8 octobre dans un contexte de conflit israélo-arabe. Pour l’heure, le gouvernement égyptien refuse de faire lien entre cet incident et le conflit entre le Hamas et Israël. Cette situation semble être la résultante d’une forte offensive de la diplomatie israélienne sur le continent, notamment en Afrique subsaharienne.
Ainsi, depuis plus d’une décennie, Israël multiplie les accords de coopération dans divers domaines comme la sécurité, les technologies, le tourisme et l'agriculture avec des pays comme le Kenya, le Rwanda, le Togo et le Cameroun. L’État hébreu entretient des relations diplomatiques avec 46 des 55 pays du continent africain. En 2016, l’État hébreu a renoué des liens avec la Guinée pour la première fois depuis la guerre des Six Jours en 1967. Trois ans plus tard, des relations ont également été rétablies avec le Tchad, qui les avait rompues en 1972. Tout récemment, le rapprochement spectaculaire avec le Maroc et le Soudan, dans le cadre des accords d’Abrams (normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes) en 2020 a démontré la percée de l’influence israélienne sur le continent. L’adhésion d’Israël en 2021 à l’Union africaine en tant que membre observateur, a été vécue comme une victoire pour Israël après deux décennies d’efforts et de lobbying diplomatique.
L’Autorité palestinienne a exhorté à plusieurs reprises les dirigeants africains à retirer l’accréditation d’Israël à l’UA, dénonçant son ‘’régime d’apartheid’’. L’Afrique du Sud et l'Algérie ont été des opposants majeurs à la décision d’accorder, en 2021, le statut de membre observateur de l’UA à Israël. Cette bataille n’a cessé de diviser l’organisation continentale ces dernières années, déclenchant des scènes rares. Lors du dernier sommet de l’UA, en février 2023, une représentante du ministère des Affaires étrangères israélien a été expulsée de force du siège de l’institution par des agents de sécurité. Selon plusieurs sources, l’Algérie avait alors pesé de tout son poids, menaçant de quitter le sommet si celle-ci ne partait pas. Tel-Aviv avait alors regretté que ‘’l’Union africaine soit prise en otage par un petit nombre de pays extrémistes comme l’Algérie et l’Afrique du Sud’’.
Risques de manifestations populaires contre Israël
Par ailleurs, des mouvements populaires sont susceptibles de se produire dans plusieurs pays africains, si Tsahal déclenche son intervention terrestre contre la bande de Gaza. Des manifestations de soutien à la Palestine ont été signalées au Maroc et en Tunisie. Ces rassemblements pourraient aboutir à des attaques contre les ambassades et les emplacements diplomatiques israéliens en Afrique. L’augmentation du baril de pétrole, à la suite du conflit en cours, pourrait, à terme, nuire aux économies africaines qui arrivent à peine à se remettre de la pandémie de la Covid-19.
Une situation qui, à terme, pourrait exacerber les tensions dans plusieurs pays africains dont la plupart connaissent une situation économique très compliquée. Les batailles entre les pros et anti-israéliens au sein de l’instance panafricaine risquent de paralyser les efforts diplomatiques de l’Union africaine pour adopter une déclaration commune concernant cette crise. Une situation qui, à terme, bloque une possible tentative de médiation de l’Union africaine dans le conflit au Proche-Orient. Même si des pays comme l’Égypte, un des piliers de l’UA, qui veut s’imposer comme un médiateur dans la crise, notamment pour la libération des otages israéliens détenus par le Hamas, des puissances comme l’Afrique du Sud et l’Algérie farouchement antisioniste risquent de bloquer toute initiative commune de l’UA en faveur d’Israël. Des pays comme l’Ouganda et le Kenya où des églises évangéliques sont très puissantes et souvent considérées proches d’Israël pourraient pousser dans cette voie et contribuer au rapprochement avec Israël.
Toutefois, la cause palestinienne bénéficie toujours d’un large soutien des opinions africaines, car souvent perçue sous l’angle de la lutte anticoloniale. De ce fait, la diplomatie palestinienne, encore très active sur le continent, pourrait aussi contribuer à renforcer le soutien des pays africains à la cause de la Palestine.
Amadou Fall