Publié le 7 Mar 2014 - 00:51
CONSÉQUENCES POLITIQUES DU PLAN SÉNÉGAL ÉMERGENT

Macky Sall sur une corde raide   

 

‘’Le Sénégal est un label sûr !’’ Ainsi exultait l’ancien Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré, après avoir décroché  le ‘’oui’’ des bailleurs de fonds au Groupe consultatif de Paris en 2007. L’actuel président de la Commission de l’Union monétaire des États de l’Afrique de l’Ouest (UMEOA), qui conduisait la mission, sans tintamarre, avait alors amassé 2 492 milliards de francs Cfa, dont 655 milliards constituant la contrepartie sénégalaise, nécessaire. 

Cet argent devait ‘’accompagner le Sénégal dans ses politiques de croissance accélérée et de réduction de la pauvreté(…) d’ici à 2015’’. Toutefois, les statistiques obtenues (taux de croissance économique de 3,4% en 2012), laissent penser que notre pays était loin du compte. Ce diagnostic a justifié la mise en place, par l’actuel régime, du Plan Sénégal émergent (PSE). Ce plan, qui ambitionne de porter le taux de croissance à 7%  d’ici 2017, aura permis de récolter 3 729 milliards (en termes d’engagement) au Groupe consultatif de Paris du 24 février dernier.

Une opération qui n’aurait peut-être pas connu un tel succès, sans l’implication personnelle du président de la République. Si Macky Sall a réussi là un coup politique, on pourrait valablement s’interroger sur les conséquences politiques de ce PSE.  Va-t-il tenir ses engagements dans son Plan d’action prioritaire (2014-2018). Cela pourrait-il hypothéquer ses chances d’êtres réélu ? Mamour Cissé, leader du Parti social démocrate/Jant bi reste sceptique parce que ‘’trois ans ne suffisent pas pour réaliser tout cela’’.

‘’Une fois que les bailleurs (de fonds) se sont prononcés et qu’on note un temps mort dans l’exécution, ce serait un échec (pour Macky Sall)’’, déclare-t-il.  Pour l’ancien ministre d’Etat de Wade, il y a une différence ’’entre les ambitions (déclinées par les bailleurs) et la réalité’’ des faits; surtout  ‘’quand ces financements viennent de l’extérieur’’. M. Cissé considère que le pouvoir a changé d’approche car, ‘’un pays ne peut  se développer en se basant essentiellement sur l’aide extérieure’’.

‘’L’émergence, c’est la capacité pour un État de transformer sa croissance en un développement économique et social durable. Un pays émergent qui ne peut même pas avoir 10 000 ingénieurs n’en est pas un’’, analyse cet opérateur économique. L’autre préoccupation de M. Cissé, c’est la capacité d’absorption de cette manne financière si l’on sait que le Sénégal devra verser une contrepartie d’’au minium 370 milliards’’. Ce qui n’est pas évident dans un contexte économique actuel‘’.

Quand tu peines à financer la campagne agricole, quand vos recettes fiscales ont chuté, je me demande comment financer cette contrepartie’’. Sans parler de ‘’la traque des biens mal acquis (qui) gène aujourd’hui l’argent bien acquis’’. 

‘’L’Etat a décidé de ne pas dire la vérité aux Sénégalais’’

Serigne Mbacké, du Parti démocratique sénégalais (PDS), lui, déplore la ‘’mauvaise communication’’ qui a entouré le PSE et qui, à ses yeux, risque de parasiter le bilan de Macky Sall en 2017. ‘’On a donné l’impression aux Sénégalais que désormais, tous leurs problèmes seront réglés. (…) Dans le fond comme dans la forme, ils (les gens du pouvoir) ont décidé de ne pas dire la vérité aux Sénégalais. C’est une grosse erreur.’’, se désole le porte-parole de l’ex-président de la République.

Or, rappelle-t-il, ces milliards annoncés ne sont que des ‘’intentions’’ qui peuvent être compromises. Un avis partagé par Madièye Mbodji, porte-parole de Yoonu askan wi, pour qui rien n’est gagné d’avance compte tenu des lourdeurs administratives instaurées par les bailleurs de fonds.

‘’Pour mobiliser les ressources de financement annoncées, il  faut tout un tas de procédures qui risquent de prendre du temps (…) et de peser sur le chronogramme annoncé’’, indique-t-il. Et puisque le président Macky Sall devrait  présenter un bilan en 2017, Madièye pense qu’il ‘’a intérêt à ce que ça soit des projets à retombée sociale large pour que les citoyens et les citoyennes puissent y trouver leur compte’’, s’il veut obtenir un second mandat. 

‘’Que Macky sache qu'il n’aura pas tout l’argent escompté !’’

Par contre, Ibrahima Sène refuse de lier le PSE à une éventuelle réélection du président car ‘’il n’y a pas de conséquence politique’’ directe. ‘’Si les promesses ne sont pas tenues, où est le problème ? Wade n’avait pas tenu ses promesses, est-ce qu’il y avait eu des conséquences ?‘’ se demande le responsable du Parti de l’indépendance et du travail (PIT).’’ Si Macky Sall compte sur le PSE pour se faire réélire, qu’il sache qu’il n'aura pas tout l’argent escompté !’’, prévient ce ‘’coco’’.

Le Pr. Momar  Sambe, du Rassemblement des travailleurs africains-Sénégal-(RTA-S), préfère ne pas  se jeter en conjecture. Il souhaite simplement que le gouvernement puisse lever les ‘’contraintes‘‘ administratives  liées au décaissement pour le PSE. Il propose la mise en place d’un ‘’dispositif’’ qui ‘’respecte la bonne gouvernance et la transparence’’ qui permettra ‘’d’aller rapidement vers (la) réalisation’’ des projets annoncés.

Mais cela ne peut se faire sans la mobilisation du ‘’capital humain’’. ‘’Il faut que l’Etat joue le jeu et fasse preuve d’une neutralité et d’un engament sans faille. Le slogan la patrie avant le parti doit prévaloir dans toutes les questions’’, exhorte ce membre du Conseil économique social et environnemental (CESE).

En lieu et place du PSE, le YAW, lui, propose, le Plan Sénégal indépendant (PSI) qui se veut endogène. Pour Madièye Mbodji, le Sénégal n’aura pas un plan qui ‘’réponde aux aspirations des populations tant qu’on ne remettra pas en cause les rapports de domination entre nous et ceux qu’on appelle les bailleurs’’.

Il appelle les dirigeants à ‘’couper le cordon ombilical’’ qui nous lie à l’ancienne puissance coloniale. ‘’Tous les pays qui se sont développés ne sont pas de la zone Cfa’’, fait-il remarquer. Mamour Cissé regrette les déclarations faites par Macky Sall, depuis le Maroc, annonçant la construction prochaine de logements sociaux au Sénégal par des Marocains.

’’C’est inique, dénonce l’ancien ministre d’Etat. Nous avons ici suffisamment d'entrepreneurs qui peuvent relever le défi. On devrait aujourd’hui imposer à toutes les entreprises qui viennent ici des joint-ventures’’. Cela permettrait de soutenir le secteur privé et relancer la croissance, dit-il. En tout cas, Serigne Mbacké Ndiaye pense que ‘’le gouvernement n’a plus maintenant d’excuse’’ une fois l’euphorie passée. Et que la moindre ‘’erreur’’ lui ‘’sera fatale’’. Pour 2017.

DAOUDA GBAYA

 

 

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