Les enjeux d’un scrutin à mille inconnues
Les élections législatives d'après alternance ont souvent été assez relaxantes pour les nouveaux régimes qui arrivent au pouvoir. C'était le cas le 28 avril 2001 avec Abdoulaye Wade et en 2012 avec Macky Sall. Cela pourrait être plus difficile pour le régime actuel du duo Diomaye et Sonko. Nous allons essayer de voir comment et pourquoi.
Les élections se suivent, mais ne se ressemblent pas. Entre les mois de mars et de novembre, il s'est passé énormément de choses qui peuvent impacter le comportement des électeurs dans un sens comme dans un autre. Que ce soit sur le plan politique, économique ou social... De même, les présentes élections législatives sont, à bien des égards, différentes de celles que nous avons connues en 2001 et 2012.
Alors que Wade et Macky avaient su conserver les dynamiques victorieuses qui les avaient portés au pouvoir tout en allant pêcher de nouvelles voix dans le camp des vaincus, Pastef a préféré casser la dynamique qui l’avait porté au pinacle, même s’il a réussi à attirer quelques électeurs chez les ex-tenants du pouvoir. Favori, il n’est pas à l’abri des surprises.
Nous vous expliquons comment, qui contrôle quoi, et quel type d’assemblée pourrait avoir le Sénégal au soir du 17 novembre 2024.
Les départements très favorables au Pastef : Ziguinchor, Bignona, Oussouye, Goudomp, Bounkiling, Sédhiou…
Naturellement, tout le monde pense d’abord à la région naturelle de la Casamance, en particulier à Ziguinchor, où l'on peut affirmer presque sans risque de se tromper que le parti présidentiel va rafler tous les 5 sièges (2 pour Ziguinchor, 2 pour Bignona et 1 pour Oussouye).
Le même scénario reste fort probable dans les trois départements de Sédhiou où le nombre de sièges à pourvoir est de 6, à raison de deux députés pour chaque département (Sédhiou, Goudomp et Bounkiling). Toutefois, l’opposition ne manque pas d’arguments à faire valoir dans cette partie du Sud, plus spécifiquement dans le chef-lieu de région, Sédhiou.
Si en haute et moyenne Casamance (Ziguinchor et Sédhiou), les jeux semblent assez faciles pour le parti au pouvoir, il en est autrement pour la basse Casamance (région de Kolda). Si l’on se base sur les résultats de la dernière présidentielle, Pastef s’était imposé in extremis devant un Amadou Ba affaibli par le boycott de plusieurs hauts responsables dans son propre camp et une posture ambiguë de l'ancien Président Macky Sall.
Pour autant, le candidat de Sonko ne s'était imposé que dans le chef-lieu de région avec un score de plus de 30 000 voix contre plus de 28 000 pour son adversaire direct. Ce dernier s'était imposé à Vélingara (2 députés) avec plus de 36 000 voix contre 28 000 pour Diomaye. Le score était serré en revanche pour le département de Médina Yoro Foula (1 député) avec plus de 14 000 pour Ba contre plus de 13 000 pour Diomaye.
Si les mêmes tendances se maintiennent, Pastef pourrait perdre au moins les deux sièges de Vélingara, peut-être aussi celui de MYF. Toutefois, il convient de préciser que les réalités ont bien bougé avec les ralliements de certaines personnalités de l'ancien régime, dont Mame Boye Diao, maire de la ville et candidat classé troisième dans le département à la présidentielle, ainsi que Doura Baldé, ancien soutien influent d’Amadou Ba.
Tout dépendra cependant du comportement des électeurs face à ces revirements des transhumants. Dans quelle mesure le départ d'Amadou Ba va-t-il affecter l'ancien parti au pouvoir ? Quel sera l'apport des transhumants pour Pastef ? Takk Wallu pourra-t-elle mobiliser ses électeurs avec l'absence de son capitaine d'équipe et une campagne en désordre ? Autant de questions qui pourraient peser sur la balance.
Les départements très défavorables au Pastef : Matam, Kanel, Ranerou, Podor, Dagana, Linguère, Fatick, Goudiry…
Maître incontesté en haute Casamance dans le sud, Pastef aura cependant beaucoup de mal à s’imposer dans le Fouta au nord, dominé par Macky Sall depuis son entrée en politique en 2009, malgré tout ce que Wade y avait déployé à l'époque comme moyens en tant que chef de l'État. Takku Wallu pourrait donc y rattraper les 5 députés perdus à Ziguinchor en s’imposant à Matam (2 députés), Kanel (2 députés) et Ranerou (1 député).
Dans le même sillage, la coalition dirigée par l'ancien Président part favorite dans la région de Fatick (centre), qui reste l'autre fief le mieux conservé de l'ancien Président. Malgré son implication très faible lors de la présidentielle, son poulain avait pris le dessus avec plus de 48 % contre plus de 42 % pour le candidat de Sonko dans le chef-lieu de région (2 députés). À Foundiougne (2 députés) dans la même région, les scores étaient très serrés (46 % contre 45 %) en faveur du camp de Sall. Le camp de Pastef ne s’était imposé que dans le département de Gossas (1 député) avec plus de 47 % contre 42 % pour le candidat de Sall, affaibli par la présentation de l'ancien Premier ministre, feu Mahammed Boun Abdallah Dionne, issu du même terroir.
Là également, la question de la transhumance doit être bien surveillée. Avec les résultats qui sortiront des urnes, on pourra sans doute savoir quel apport les nouveaux arrivants ont eu pour le nouveau parti présidentiel.
Les départements en ballotage
Dans la région de Tambacounda, l’avantage est globalement pour le camp de Sall qui s’était imposé dans la majorité des quatre départements. Mais à l’exception de Goudiry (1 député) où les choses semblent a priori injouables pour Pastef, il y aura match un peu partout dans cette partie du Sénégal oriental. Pour le chef-lieu de région (2 députés), le camp de Sall peut être donné favori, mais tout reste possible. En effet, lors de la présidentielle, le candidat de Sall y avait obtenu plus de 33 000 voix contre 27 000 pour le candidat de Sonko. Il était également devant à Koumpentoum (2 sièges) avec plus de 19 000 voix contre 11 000 pour Diomaye. À Goudiry, c’était 18 000 voix contre 5 000 voix. Même tendance à Bakel (2 députés) où le camp de Sall avait fait plus de 21 000 contre 11 000 pour le camp de Sonko. À noter que dans ce dernier département, Takku Wallu n'a pas de listes, mais a donné des consignes pour un report des voix sur la liste d'Amadou Ba.
Toujours dans le Sénégal oriental, à Kédougou (région), la liste du pouvoir aura fort à faire contre le camp de Sall qui l'y avait battu avec plus de 61 % des voix contre plus de 26 %. Dans cette région, Diomaye n’avait remporté qu’un seul département, en l’occurrence celui de Saraya (1 siège) avec près de 60 %. Le troisième département est Salemata, où l'ancien parti au pouvoir s'était aussi imposé. À souligner que la région ne compte que trois sièges, à raison d'un député par département.
Des jeux très aléatoires dans le centre
Dans le centre du pays, si le camp de Takku Wallu part favori à Fatick, on peut s'attendre à une rude bataille à Kaffrine et à Kaolack. Pour ce qui est de Kaffrine (6 députés pour la région), il faut noter qu’à la présidentielle, Diomaye avait pris le dessus sur le candidat de Sall. Dans le chef-lieu de région (2 sièges), il avait fait plus de 50 % contre plus de 40 % pour Amadou Ba. Il s’était également imposé à Mbirkelane (1 député) avec plus de 54 % contre 42 % pour Ba. Ce dernier avait toutefois remporté la bataille de Kounghueul (2 députés) avec plus de 46 % contre plus de 42 % pour son rival. Le score était assez serré pour Malem Hodar (1 député) en faveur de Ba. Et compte tenu de la faible marge dans certains départements, les effets de la transhumance et de la scission pourraient être plus perceptibles.
Dans la région voisine de Kaolack, Diomaye avait réussi à prendre le dessus avec plus de 56 % des suffrages contre plus de 35 % pour Ba. Les scores étaient un peu plus serrés à Guinguinéo avec une victoire du candidat de Pastef, avec plus de 17 000 voix contre plus de 14 000 pour le camp de Sall. Les mêmes tendances avaient été notées à Nioro avec plus de 51 % des suffrages pour Diomaye contre plus de 39 % pour Amadou Ba. Là également, on pourra évaluer dans quelle mesure le défaut de soutien de l'ancien Président avait pu peser sur les résultats. À noter que dans cette partie du pays, de hautes personnalités de l'ancien régime, dont Moustapha Niasse et Aly Mané, roulent pour Amadou Ba. Une division qui pourrait être à l'avantage du camp de l'actuel pouvoir, déjà en position de force.
Dakar : du tous contre Macky Sall au tous contre Pastef
Avec plus de 7 sièges à convoiter, Dakar va être décisive dans les résultats de ces élections, d'autant plus que les jeux ont rarement semblé aussi serrés dans les départements de l'intérieur. Dans un élan presque unitaire, la capitale avait plébiscité à la présidentielle le candidat de l'anti-système, avec près de 287 000 voix, soit plus de 62 % des suffrages. Loin devant le deuxième, Amadou Ba, avec ses plus de 118 000 voix, soit plus de 25 %, et surtout de l'ancien maire, Khalifa Sall, avec ses plus de 24 000 voix, soit à peine 5 %.
On pourrait être tenté de croire que les jeux sont alors faits dans la capitale, mais loin s'en faut. En effet, le contexte des législatives est loin d'être le même que celui qu'on a connu lors de la présidentielle. Alors que c'était tous contre Macky Sall et son camp pour la présidentielle, là on assiste à une union de tous les politiques contre le camp de Pastef. Et la liste est portée par Barthélémy Dias, maire de Dakar et lieutenant de Khalifa Ababacar Sall. L'un des exemples pour illustrer que nous sommes loin d'être dans la même configuration, c'est le score de Khalifa Sall dans son propre fief à Grand Yoff (4 378 voix contre plus de 33 000 pour le candidat de Sonko lors de la présidentielle). Cela signifie tout simplement que le vote utile avait largement joué en sa défaveur. Cela dit, le camp de l'inter-coalition pourrait souffrir un peu de la dissidence de certains investis de la liste Jamm ak Njarign.
Les mêmes scores fleuves ont été notés presque partout dans la région de Dakar, notamment à Pikine (5 députés) où Diomaye avait obtenu plus de 65 % contre 26 % pour son adversaire direct ; 62 % à Guédiawaye (2 sièges) ; et 57 % à Rufisque (2 députés). Il s'était également largement imposé dans le département de Keur Massar (2 sièges). À noter que pour ce qui est du département de Pikine, c’est un département qui a été remporté par le PDS aux élections locales en 2022. Là également, ce qu’il faut surveiller est le comportement des électeurs du PDS face aux nouvelles alliances.
Diourbel et Pikine : Que va donner la rupture Pastef-PDS ?
Du point de vue électoral, l'un des départements les plus importants reste celui de Mbacké, qui totalise, comme Pikine, 5 députés en raison de son poids démographique. Lors de la présidentielle, Diomaye avait eu des scores soviétiques dans ce bastion traditionnel du Parti démocratique sénégalais qui a rejoint le camp de Sall dans le cadre des présentes législatives. L'électorat a-t-il définitivement migré vers Pastef ou va-t-il voter pour le PDS de Maître Abdoulaye Wade ? C'est l'une des grandes équations de ces élections législatives.
Pour rappel, à la présidentielle, le PDS avait soutenu Diomaye qui s'était imposé avec plus de 79 % des suffrages dans le département de Mbacké. Dans la zone de Touba, par exemple, plus de 134 000 personnes avaient voté Diomaye contre seulement 12 666 pour son poursuivant, Amadou Ba. À Bambey et Diourbel, Diomaye avait également pris le dessus avec des scores respectifs de plus de 66 % et 60 %.
Les mêmes tendances étaient également notées sur l'ensemble de la région de Thiès, où les scores vacillaient entre 50 et 60 %, sinon plus. Mais là également, le contexte est totalement différent. L'on peut se demander comment va se comporter l'électorat de Rewmi d'Idrissa Seck, que l'on n’a presque pas entendu dans ces élections. Force est de reconnaître que Pastef reste largement favori dans le chef-lieu de région à Thiès (4 sièges), mais tout reste possible dans les départements de Tivaouane (2 sièges) et de Mbour (4 sièges).
À Saint-Louis (2 députés), le camp de Pastef avait largement dominé à la présidentielle avec plus de 62 000 voix contre 36 000 pour le candidat de Sall. Il avait toutefois perdu Dagana (2 députés) et Podor (2 députés). À noter que pour Podor, le camp de Sall, porté cette fois par Abdoulaye Daouda Diallo et Aissata Tall Sall, s'était imposé avec plus de 117 000 voix contre 35 000. Malgré la dissidence de Ba, Sall reste largement favori dans cette partie du Fouta qui compte deux sièges.
Pour la région de Louga, toujours dans le nord du pays, le camp de Sonko, soutenu par le PDS, avait gagné avec plus de 58 % aussi bien dans le département de Kébémer (2 députés) que dans le chef-lieu de région avec plus de 45 %. Il avait toutefois perdu Linguère (2 députés) avec un écart important de voix en faveur du camp de Sall, renforcé cette fois par le PDS.
Dans tous les cas, le camp de Pastef devra s’employer pour gagner ce scrutin avec plus de 50 % des voix, comme à la présidentielle. Or, il faudrait à Pastef plus de 50 % des suffrages pour remporter au moins les 26 sièges sur les 53 de la liste nationale. Tout le reste des 113 viendra de la liste départementale où la liste qui arrive première dans un département prend l’ensemble des députés investis.