Publié le 21 Jan 2022 - 23:56
CONSULTATIONS CITOYENNES

Quand les candidats snobent la société civile et le débat médiatique

 

Contrairement à ce qu’on a l’habitude de voir dans les grandes démocraties, au Sénégal, cela parait trop demander aux candidats que de les inviter à des débats médiatiques entre eux ou de répondre à des consultations citoyennes organisées par la société civile. Ils préfèrent, à la place, des monologues devant des foules de militants, plus prompts à applaudir qu’à écouter.  

 

Le constat est presque unanime. Les candidats aux élections territoriales au Sénégal débattent très peu et répondent très rarement aux invitations de la société civile pour des exercices de redevabilité. En lieu et place, ils préfèrent les monologues devant des publics plus prompts à applaudir qu’à écouter, en vue d’apprécier le meilleur candidat faisant les meilleures offres pour la gestion de leur cité.

Hier à Rufisque, Cicodev Afrique et ses organisations partenaires ont tenté d’écouter les candidats au Conseil départemental de Rufisque par rapport à leur offre relativement à la protection sociale de leurs administrés. L’objectif, explique Amadou Kanouté, Directeur exécutif de Cicodev, c’est, d’une part, mettre la protection sociale au cœur des territoires. ‘’Nous voulons faire en sorte que les compétences transférées, que ça soit la santé, l’éducation, le handicap, la couverture maladie universelle, la protection sociale en général, soit bien prise en compte dans ces élections locales. C’est à ce niveau que les communautés ont besoin d’être appuyées, d’être secourues. Nous avons donc estimé qu’il faut donner la parole aux candidats pour qu’ils puissent décliner leurs engagements, permettre aux populations d’exercer le contrôle citoyen’’. 

L’autre objectif de cet exercice, selon M. Kanouté, c’est de combattre ‘’l’évaporation politique’’. Celle-ci, définit-il, ‘’consiste de prendre des engagements en période électorale. Et une fois qu’on est porté aux affaires, de les oublier. A travers de telles auditions donc, nous prenons note des engagements, nous faisons des rapports en vue de veiller à la redevabilité’’.  

Pour une correcte mise en œuvre de l’exercice, les joutes ont été diffusées en direct sur la radio communautaire Jokko FM et toute la presse a été conviée. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que cela a failli être un fiasco. Car tous les candidats ont fait faux bond et refusé de s’assujettir à cet exercice de redevabilité. A l’exception du candidat de Yewwi Askan Wi Pape Mamadou Fam, qui a bien voulu se prêter à l’exercice.

Pour Amadou Kanouté, c’est fort regrettable. ‘’Ces candidats avaient l’opportunité de parler à des acteurs de la société civile, de parler aux communautés à travers les médias. Si un candidat esquive cette occasion, je pense qu’il y a lieu de se poser des questions. Où se trouve l’intérêt ? Est-ce de saisir l’occasion pour dire : voilà nos engagements ? Ou est-ce ailleurs que nous ne maitrisons pas ? Cet exercice est important, en ce qu’il est le premier critère qui peut rendre la politique attrayante pour les populations. Les politiciens doivent pouvoir exposer leur programme et se soumettre au contrôle des citoyens’’.

Tout comme à Rufisque, à Dakar et ailleurs sur le territoire, le think thank Afrikajom Center a essayé de tenir les mêmes consultations. Mais comme à Rufisque, les candidats répondent très rarement. A l’exception de ceux qui sont réputés être de petits poucets, les autres brillent souvent par leur absence, s’ils ne se font pas représenter. Alioune Tine témoigne : ‘’Quelqu’un m’a dit que je ne vais pas m’assoir avec untel. Cette façon de se considérer supérieur, de penser qu’on est une super personnalité et qu’on ne doit pas débattre avec certains, il faut le bannir. Les candidats sont d’égale dignité. Nous devons avoir le souci de construire ensemble la cité. Et construire ensemble, c’est interagir sur les programmes, sur les visions, renforcer le rêve de la cité que nous avons ensemble. Or, c’est ça qui manque le plus. Nous avons plus des soliloques qu’autre chose.’’

Selon le président d’Afrikajom Center, les candidats préfèrent des caravanes où les gens chantent et dansent… ‘’Ils donnent des t-shirts, font beaucoup de bluffs. Ils ont certes des programmes écrits, mais le constat est qu’ils n’en débattent pas. On vend surtout des rêves aux populations et c’est regrettable’’.

En fait, estime-t-il, c’est la culture même de la redevabilité et du débat qu’il faut instaurer à toutes les échelles de la gouvernance. Il déclare : ‘’Moi, je pense que cela fait partie des failles de la démocratie sénégalaise. En réalité, les principaux protagonistes ne s’assoient jamais pour interagir. Quand vous êtes au pouvoir, vous estimez que celui qui est dans l’opposition n’est pas de votre carrure. En 2012, en revanche, Wade, qui était le président sortant, a invité Macky Sall à débattre. Ce dernier avait refusé, parce qu’il estimait qu’il était dans une bonne position. Sinon, généralement, ce sont ceux qui sont au pouvoir qui refusent de débattre. Et c’est une véritable faille de la démocratie.   Au niveau des maires, on assiste au même problème.’’

Silence sur les enjeux

Ainsi, nous assistons à un silence radio sur plusieurs questions qui interpellent la gouvernance locale. Par rapport à Dakar, par exemple, Alioune Tine regrette qu’il n’y ait pas eu beaucoup de débats de fond sur certaines questions. ‘’Il y a plusieurs enjeux qui devraient interpeller tous les candidats. Que va devenir Dakar d’ici à 2050 ? Quel cadre de vie pour notre capitale ? Quelle est leur offre pour faire de Dakar une ville intelligente… Aussi, il n’y a plus de forêts à Dakar, alors que les sols sont très riches. Même à Bamako, vous voyez la différence. Partout où il y a des espaces, ils mettent des arbres, des espaces verts. Ici, partout où il y a des espaces, c’est du béton. Sur toutes ces questions, les Dakarois ont besoin d’entendre les candidats et c’est la même chose un peu partout’’.

Lors des consultations d’avant-hier dédiées à cet effet, le fait est que seul le candidat de Sénégal 2035, Mame Mbaye Niang, a daigné se présenter. Pour les autres, s’ils n’ont pas brillé par leur absence, ils se sont fait représenter par de seconds couteaux, même si Alioune Tine tente de relativiser en saluant la qualité de leur intervention.

Pourtant, en participant à de tels échanges, ils auraient pu en profiter pour se remettre en question, parfaire leur offre au besoin, au contact des techniciens qui sont invités. La pratique ayant, en effet, montré que les maires ont souvent une faible compréhension de certaines questions qui les concernent directement. Ce serait le cas à propos de la protection sociale autour de laquelle les acteurs se sont réunis hier.

A entendre le directeur exécutif de Cicodev Afrique, il faut revoir la compréhension des maires sur la problématique. Il explique : ‘'La compréhension que les maires en ont, c’est cette possibilité qu’ils ont de donner 3 500 F à celui qui présente une ordonnance, 5 000 F à quelqu’un d’autre. Imaginez le nombre de 3 500 F qu’ils peuvent donner à des gens qui font la queue devant leur bureau. N’est-ce pas mieux d’organiser ces gens, d’injecter cette manne dans les mutuelles de santé, pour les aider dans la prise en charge de leur santé ? Nous avons voulu faire en sorte que la protection sociale puisse être comprise par ceux qui sont censés la mettre en œuvre et qui sont les premières portes d’entrée des populations’’.

Interpellé sur la maitrise de la thématique par les candidats à l’échelle nationale, il précise : ‘’C’est justement ce qu’il nous faut changer. Le fait que la majeure partie des maires n’ont pas une compréhension claire de la protection sociale et de la stratégie nationale de protection sociale définie par l’Etat à travers la Délégation générale à la protection sociale.’’

Cela permettrait, à l’en croire, à mieux lutter contre l’évaporation politique. ‘’Vous comprenez que nous exprimions des craintes par rapport à cette capacité d’évaporation politique à laquelle nous sommes souvent confrontés. Les gens oublient souvent leurs promesses, une fois qu’ils sont élus. C’est à nous de leur dire vous aviez promis ceci, vous avez pu faire ceci, vous n’aviez pas faire cela durant et à la fin de son mandat’’, a-t-il suggéré.

Les engagements de Papa Mamadou Fam

Seul candidat à avoir répondu à l’appel du consortium composé de Cicodev, GRDR et Lartes, le candidat de Yewwi Askan Wi pour le Conseil départemental de Rufisque, Papa Mamadou Fam, est revenu sur son programme.

Son mérite, c’est d’avoir été le seul candidat à se prêter à cet exercice démocratique. Lui, c’est Pape Mamadou Fam, candidat de Yewwi Askan Wi, sociologue du développement. En plus d’avoir éludé pas mal de questions relatives notamment à la protection sanitaire des élèves, les cantines scolaires qui sont une politique mise en œuvre actuellement par le conseil départemental, le candidat s’est plutôt contenté de décliner les différents axes de son programme.

Mais, se défend-il d’emblée : ‘’La protection sociale est omniprésente à travers les thèmes sur lesquels nous allons travailler. Nous allons tenter, avec la coopération, d’avoir des ressources pour satisfaire cette demande sociale dans le département.’’

Selon M. Fam, le programme de Yaw pour le département tourne autour de quatre axes. D’abord, l’éducation et la formation. A ce niveau, confie-t-il, il envisage de mettre en place ce qu’il appelle l’’’école de la toute dernière chance (TDS)’’, pour lutter contre la déperdition scolaire, en plus de promouvoir l’excellence à l’école. ‘’Le taux de déperdition scolaire est assez important dans le département. C’est un constat que nous pouvons tous faire. Beaucoup d’enfants quittent l’école en cours de route. Au lieu de les laisser dans la rue, je pense qu’il faut les accompagner, les récupérer et les mettre dans les centres appropriés pour des formations appropriées’’, a-t-il promis.

Le deuxième axe est le développement économique, sportif et culturel. A ce propos, il s’agira de développer de petites entreprises communautaires dans des domaines comme le pavage, de s’appuyer sur le sport et la culture pour booster le progrès social. Le candidat promet de doter tous les centres de santé de maternité digne de ce nom, avec au moins des appareils pour faire l’échographie.

Dans les débats, certains ont cependant regretté sa méconnaissance de la pyramide sanitaire, son manque de maitrise de la thématique et son silence sur beaucoup de questions essentielles.

MOR AMAR

 

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