Les riverains passent à la vitesse supérieure
Les populations de Cayar veulent en finir avec l'usine de farine de poisson implantée dans leur localité. Ces dernières ont entamé une procédure judiciaire dont le procès s’est ouvert. Elles espèrent obtenir gain de cause et en finir avec les nuisances et méfaits de ladite usine.
À Cayar, une usine de farine de poisson hante le sommeil des habitants. Conscients des effets néfastes de son implantation, les riverains se sont levés comme un seul homme pour arrêter le fonctionnement de cette usine. Pour ce faire, ils ont jugé nécessaire de traduire les propriétaires en justice. Le collectif Taxawu Cayar, qui est à l'initiative du procès, a annoncé que la société espagnole Barna a vendu ses parts de l'usine en question à l'équipe de gestion locale. Ce, suite à une campagne soutenue par les communautés et les organisations de la société civile.
Ainsi, Barna pollue, d'une façon inquiétante, l'environnement, si on s'en tient aux explications du collectif : "C'est un véritable danger. Sa présence constitue une grande menace à notre droit à un environnement sain. Elle pollue l'air de même que la principale source d'eau potable de la ville. Cette usine nous oblige à vivre avec une odeur nauséabonde dans l’air et elle déverse des déchets dans le lac qui alimente notre eau potable. Cela rend nos enfants malades.”
De ce fait, ‘’un groupe de femmes transformatrices de poisson, des pêcheurs artisanaux et d'autres habitants de la ville de Cayar ont entamé une procédure judiciaire'', apprend-on.
Réagissant à cette procédure, Me Bathily, l'avocat du collectif, déclare : "Les procès de ce type sont rares dans notre pays, voire dans la plupart des pays africains. C’est un moment historique pour nos institutions de protéger les droits environnementaux des communautés locales, lorsque ceux-ci sont violés par des entreprises qui ne sont mues que par le profit. L'usine a enfreint à plusieurs reprises le Code de l'environnement. L'étude d'impact, réalisée avant son ouverture, présente clairement d'énormes lacunes."
Des membres de Taxawu Cayar renchérissent : "La longue lutte contre l’industrie de farine et de l'huile de poisson en Afrique de l'Ouest a atteint une nouvelle étape aujourd'hui.’’ Car pour donner plus de sens à leur combat, les plaignants ont fait savoir qu'un grand nombre de résidents de la zone s'est rassemblé au tribunal de grande instance de Thiès. Ce, pour montrer leur soutien au collectif ''face à l’injustice que constitue l’usine''.
La confiance et la fierté des habitants
Après avoir saisi la justice, les plaignants ont fait montre d'une fierté tout en se félicitant de l'engagement de chacun. À ce propos, Maty Ndao, femme transformatrice de poisson, a souligné les succès remportés par le collectif dont elle est membre : “Le peuple sénégalais se bat farouchement contre l’industrie de la farine et de l’huile de poisson. Maintenant, les grandes entreprises commencent à avoir peur.”
Poursuivant, Mme Ndao retrace leur combat contre la fameuse usine. Elle rappelle : “Nous avons lutté et protesté jusqu’à ce que les propriétaires espagnols vendent leurs parts de l’usine et s’enfuient. Mais les nouveaux propriétaires sont les mêmes responsables qui nous ont fait souffrir pendant des années. Ils ont essayé d’acheter la conscience de notre communauté et ils ont aussi essayé les menaces, mais rien n’a marché et nous n’arrêterons pas de nous battre. Nous sommes venus au tribunal aujourd’hui et nous allons user de nos droits pour fermer cette usine.”
Sans s'en arrêter là, la transformatrice précise que le collectif Taxawu Cayar ira jusqu'à la victoire finale. "Il semble que les propriétaires de l'usine aient besoin de temps pour trouver des excuses. Mais nous sommes prêts ; les preuves scientifiques dont nous disposons révéleront au monde entier qu'ils ont enfreint la loi. Le fait que les anciens propriétaires s'enfuient, après les protestations contre eux, nous rend encore plus déterminés dans notre combat. Ils polluent la terre, l'eau potable et détruisent la mer. Notre ville est empestée d'une terrible odeur nauséabonde. La santé de nos enfants et notre capacité à gagner notre vie sont en jeu. C'est pourquoi nous n'abandonnerons jamais'', martèle-t-elle.
Au-delà de la pollution, la surexploitation des ressources
Si ces genres d'usines portent préjudice aux populations riveraines, de par leur caractère polluant, il faut noter un autre problème très sérieux qui montre la dangerosité de sa présence.
En effet, l'usine de farine de poisson est une véritable source de surexploitation des ressources maritimes. D'ailleurs, les populations de Cayar en sont conscientes, grâce à Greenpeace. Le collectif avance à ce propos : "Cette nouvelle intervient alors que Greenpeace Afrique a révélé qu’un rapport du groupe de travail de la FAO a confirmé que les principales espèces de poisson ciblées par l'industrie de farine et d’huile de poisson sont surexploitées. Aussi, l'épuisement des stocks de petits pélagiques côtiers constitue une menace sérieuse pour la sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest.’’
Ceci dit, les représentants des communautés côtières et Greenpeace Afrique ont déjà mis en garde sur l'impact négatif du déclin des stocks de poisson sur les moyens de subsistance des 825 000 personnes au Sénégal qui tirent leurs revenus de la pêche.
D'autres faits préjudiciables causés par ces usines sont aussi révélés par Aliou Ba, responsable de la campagne Océans de Greenpeace Afrique : "Les usines de farine de poisson, comme celle de Cayar, se permettent de priver les populations locales de leur poisson et de l'exporter sous forme de farine et d'huile en Europe et en Asie pour nourrir des animaux. Elles concurrencent les marchés locaux de consommation, poussent les acteurs de la pêche à la faillite et privent les ménages sénégalais de poisson abordable pour leur subsistance. Cette façon inhumaine de faire des affaires sur le dos des communautés locales sape la sécurité alimentaire de plusieurs millions de personnes. Ainsi, il est temps que cela s'arrête, car elle ne profite qu’aux pays riches.''
El hadji Fodé Sarr