Le dramatique match Sorano / Grand Théâtre
Ils ont en commun la vocation de ''théâtre national''. Mais lequel de Sorano et de l'une des ''sept merveilles'' de l'ex-président Abdoulaye Wade est le plus en vogue cet été ?
Entre le Théâtre National Daniel Sorano, sur l’avenue de la République, et le Grand Théâtre National (GTN), inauguré en avril dernier par le président Abdoulaye Wade, le cœur des Dakarois et des promoteurs de spectacles balance… Ces derniers mois, les deux structures ont accueilli des événements d’envergure. Des têtes d'affiches comme Fatou Guéweul, à Sorano, les ''20 ans du rap'' et le ''Grand Begue'' du chanteur en apesanteur, Pape Diouf, au Grand Théâtre, ne cessent de se succéder sur les planches illustres des deux temples de la culture, rendant leurs programmations respectives très attractives aux yeux des Sénégalais. Mais, lequel des deux se démarque, aujourd’hui, de la concurrence et offre la meilleure programmation estivale ?
Commençons par le plus évident : l’emplacement. On pourrait croire ce facteur négligeable mais il influe grandement sur la perception que public et artistes ont de ces institutions culturelles. ''Le matin même du jour où j’ai été nommée à la tête de cette institution, Dieu a voulu que je passe en voiture devant le bâtiment et la première chose que je me suis demandée, c’est : 'Qu’est-ce qu’on allait bien pouvoir faire de cet endroit si énorme, si loin de tout ?' Aujourd’hui, il est en effet apparent que l’enclavement du Grand Théâtre n'incline pas à le rendre attractif aux yeux du grand public'', avoue Mme Youba Fall, directrice du Grand Théâtre.
Battu en accessibilité par Sorano, la ''merveille'' du président Abdoulaye Wade cherche donc à se rattraper en misant sur son volume, avec ses 3 hectares de superficie et une salle dont le nombre de sièges avoisine le double de celui du ''vieux théâtre'' érigé sous le président Léopold Sédar Senghor (1000 places à Sorano contre 1800 au Grand Théâtre). Un atout qui attire les manifestations de grande envergure : ''Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’orienter des organisateurs d’événements de type festival vers le Grand Théâtre, où je connais quelques personnes, car nous n’avons pas l’espace pour les accueillir'', confie Biradièye Fall, directeur des programmes à Sorano. C’est donc pour sa capacité que les ''20 ans du Rap'', le ''Fespenc'' (festival des traditions lébous) et le chanteur Pikinois, Pape Diouf, avaient jeté leur dévolu du côté de l'ancienne gare ferroviaire pour faire les choses en ''grand''.
Savoir-faire à Sorano vs liberté de création au Grand Théâtre
Aussi, les deux centres culturels sont-ils à couteaux tirés sur le front de la programmation. Fermé tout le long du mois d’août, Sorano semble partir avec un désavantage certain. Mais c’est sans compter avec sa longue et riche tradition artistique et l’expérience de ses agents, en termes de production de contenus. ''En rentrant du mois de relâche (NDLR : le mois d’août) qui est un congé traditionnel pris à Sorano, nos trois troupes attitrées, c’est-à-dire le ballet La Linguère, L’ensemble lyrique et la Troupe nationale dramatique sont tenues de présenter de deux à trois productions originales à la commission artistique du théâtre. C’est la même chose tous les ans et c’est ce qui fait de notre structure la seule qui, au Sénégal, peut prétendre au statut d’institution de création et de diffusion'', s'enorgueillit Biradièye Fall.
Pour sa part, le Grand Théâtre, qui ne peut se vanter d’un tel savoir-faire, joue sur la liberté de création que lui procure son propre statut : celui d’une institution naissante dont la vocation artistique reste encore à définir. ''Quand on a conçu ce projet, l’essentiel pour nous est d’en faire un outil de développement culturel, un espace d’excellence non élitiste. Notre but est de proposer au public des spectacles de qualité qui correspondent à ses attentes. C’est dans ce cadre que nous avons accepté d’accueillir Pape Diouf, par exemple, et qu’il y aura prochainement le Ramadan du Grand Théâtre avec sketchs, spectacles humoristiques et autres… En août, ce sera du 'théâtre pur' avec une production inédite du Grand Théâtre et, en septembre, on fera place aux cultures urbaines avec du bboy, du rap et du hip-hop. C’est la liberté totale'', informe la patronne de l'édifice, Youba Fall. Une stratégie ambitieuse, et qui s'avère payante, puisque de son propre aveu, la directrice du Grand Théâtre, récemment intéressée par l’exposition sur les traditions lébous du Fespenc, a déjà réussi à ''débaucher'' ledit festival, jusque-là apanage de la Ville de Dakar.
Politique tarifaire : à la ''tête du projet'' contre le prix ''culturels''
Mme Fall mise en outre sur une tarification de la location des lieux qui, loin d’être rigide, voire lourde vis-à-vis de l’envergure de la salle concernée, se fait au contraire sur mesure. ''Je ne saurais même pas vous donner une fourchette des prix… C’est vraiment à la tête du projet'', assure Youba Fall. Au Théâtre Daniel Sorano, les responsables revendiquent l’existence de tarifs dits ''culturels'', et misent sur des prix fixes et mesurables dont la grille est consultable sur le site web de l’établissement. ''Notre salle a été très rentable l’année passée, autant au niveau de la location que de nos productions propres. Cette année, malgré les trois mois où, à cause des élections, nous avons dû fermer, nous comptons refaire notre retard. La location aux associations et aux artistes de la salle de spectacles en soirée se fait, par exemple, sur la base d’un forfait horaire de 600 000 F Cfa'', explique le chargé des programmes, Biradièye Fall.
Tout compte fait, même si le Grand Théâtre semble tirer avantage de l’effet nouveauté aux dépens de Sorano, l'aîné, chacun a ses avantages comparatifs. Chose bien résumée par Biradièye Fall : ''Je ne sais pas si l’on peut parler de concurrence'' entre les deux Théâtres nationaux de Dakar. Elle est pourtant inévitable.
Sophiane Bengeloun