Le chavirement d’une pirogue fait 15 morts
Après le drame survenu ce lundi dans l’archipel de la Madeleine, deux enquêtes sont ouvertes pour déterminer les causes et situer éventuellement les responsabilités. Mais les questionnements ne manquent pas sur la non-observance des consignes météo.
Quatre morts et 37 rescapés. Septembre 2019 a été endeuillé dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 par le chavirement d’une embarcation, à 4 km au large de Dakar. La sortie était un voyage d’excursion sur l’ilot Sarpan, l’un des endroits les plus prisés de l’archipel de la Madeleine. Si ce drame rappelle le naufrage du bateau ‘‘Le Joola’’ survenu le 26 septembre 2002, la tragédie d’avant-hier, bien qu’elle soit d’envergure moins grande, démontre l’ignorance (délibérée ?) des prévisions météorologiques. Cet accident fatal pouvait-il être évité ? Deux investigations tâcheront d’y répondre. Une enquête judiciaire qui sera confiée à la section Environnement de la légion Ouest de la gendarmerie nationale, tandis qu’une autre, administrative, sera pilotée par l’Agence nationale des affaires maritimes (Anam), nous souffle-t-on.
En tout cas, les prévisions météorologiques pour le lundi, jour du drame, étaient sans équivoque. ‘‘Attention Dakar. Des orages avec des rafales de vent entre 16:45 et 17:15 Gmt en cette fin d’après-midi ! Evitez de vous exposer à des objets pouvant être soulevés par le vent et mettez à l’abri vos objets périssables par l’eau !’’, relevait l’alerte météo.
Les consignes pour les sorties en mer ont été encore plus explicites. ‘‘Attention en mer !! Ces orages sont attendus d’atteindre les côtes avec de fortes rafales de vent au départ et de la foudre (sic)’’, prévoyait la note. Les agents du Parc national des îles de la Madeleine (Pnim), démembrement de l’Etat, chargés d’organiser ces excursions sur cet ilot Sarpan, faisant partie des îles de la Madeleine, ont-ils pris en compte les prévisions de la météo ? Pourquoi ont-ils décidé de quitter le quai de Soumbédioune avant-hier matin pour les 4 heures de visite habituelles, et surtout pourquoi ont-ils voulu rentrer précipitamment sur Dakar, alors que l’orage était inéluctable ?
Des questions que les enquêteurs ne manqueront certainement pas de poser. Motif de consolation, toutefois, les témoignages des secouristes laissent penser qu’on a évité un bilan beaucoup plus lourd, si l’embarcation et sa quarantaine de passagers s’étaient trouvées en pleine mer, au moment de l’accident. Le bateau a chaviré quelques mètres avoir quitté le rivage pour rejoindre Soumbédioune.
Coïncidence de taille, c’est depuis le quai de Soumbédioune que la ministre de la Pêche avait déploré, quelques heures plus tôt, l’entêtement des pêcheurs à aller en mer, malgré les conditions météo défavorables. ‘‘Parfois, on a l’impression que vous vous dites que c’est signe de bravoure. Ne pensez-vous pas que c’est du suicide (...) Je vous invite à écouter les consignes des agents de la météo. Quand ils vous disent que c’est risqué, n’y allez pas’’, avait alors déclaré Aminata Mbengue Ndiaye, en visitant les pêcheurs dont trois des leurs avaient été foudroyés en pleine mer durant un orage, il y a moins de deux semaines.
Contrôle de l’information
Alors que Moussa Niang, chargé de communication de l’hôpital Principal de Dakar (Hpd), parlait de trois victimes et d’un disparu hier matin, la Rfm a évoqué, dans son journal de la mi-journée, un bilan qui s’est alourdi aussitôt après, passant à six victimes. Une version qui a été réfutée par le ministre de l’Intérieur ainsi que par la gendarmerie hier, en début de soirée. Des doutes ont quand même plané dans l’esprit des journalistes présents sur les lieux du drame et à l’hôpital, et qui ont eu toutes les peines du monde à faire leur travail correctement. Huit confrères risquent même des poursuites judiciaires ‘‘pour présence irrégulière’’ sur les lieux, n’ayant pas ‘‘l’autorisation du directeur’’, témoigne Youssoupha Mine du site d’informations Dakaractu. Ils ont été chassés de Hpd, après que la trentaine de rescapés du drame y a été acheminée.
Certains ont même été sommés d’effacer leurs enregistrements vidéo ou audio, après avoir été entendus sous procès-verbal. ‘‘Nous nous sommes entourés de toutes les garanties pour la prise en charge, suite à l’accident. Les 36 blessés sont tous bien suivis et reçoivent les meilleures attentions du corps médical. C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne pouvait pas laisser la presse entrer et que les médecins soient sereins dans leur travail. Les blessés sont de nationalité sénégalaise, allemande et française et on espère que, d’ici ce soir (hier) ils seront tous rentrés chez eux. Il y a un suivi psychologique, car c’est toujours difficile après un accident’’, a alors tenté de rassurer Moussa Niang.
Macky Sall appelle à la prudence
Le ministre des Forces armées, Sidiki Kaba, n’a pas communiqué hier sur le drame. Pourtant, l’une des quatre personnes officiellement décédées dans le chavirement de la pirogue, Y. Kaba, lui est apparentée. C’est ce qui pourrait expliquer la solidarité agissante du gouvernement et du chef de l’Etat, dans la nuit du lundi à mardi, à l’annonce de la nouvelle. Aucun communiqué officiel de la présidence n’étant sorti non plus, c’est par son compte Twitter que le président de la République, Macky Sall, a appelé à la vigilance. ‘‘J’invite les Sénégalais à la plus grande prudence et au respect des normes de sécurité en vigueur, surtout en cette période d’intempéries. Mes condoléances aux familles des victimes de la foudre et personnes décédées hier lors du naufrage d’une pirogue au large de Dakar’’, a posté le chef de l’Etat.
Le jour du drame, les prévisions météorologiques avaient effectivement annoncé un risque de manifestation pluvio-orageuse accompagnée de vents. Le ministre de l’Environnement, Abdou Karim Sall, dont le Parc national des îles de la Madeleine est sous sa tutelle, a écourté une visite à l’intérieur du pays, Fatick, pour s’enquérir de la situation : ‘‘Je voudrais m’incliner pieusement devant la mémoire des disparus, présenter les condoléances du gouvernement à l’ensemble des familles qui ont perdu des personnes (...) Je voudrais remercier les autorités de l’hôpital Principal pour la prise en charge. Celle des 37 rescapés ne souffre d’aucun problème. Les corps des quatre personnes seront incessamment transportés ici à l’Hpd. Il s’agit d’une femme d’à peu près 30 ans, d’une fille, d’un agent du parc et d’un jeune homme de 24 ans. Nous prions pour qu’Allah les accueille au paradis. Je présente les condoléances du gouvernement à l’ensemble du peuple et à Son Excellence le Président de la République Macky Sall’’, a-t-il déclaré, après s’être enquis de la situation des rescapés qui venaient juste d’être recueillis à Principal.
SALE TEMPS teggi ndawal
Les esprits cartésiens vont devoir grincer des dents, mais le guide tidjane, Al-Matkhtoum, avait bien dit, dans l’une de ses causeries, ‘‘que ce pays avait besoin d’être purifié’’. Entre la succession d’accidents meurtriers sur la route (série macabre en cours), le débat enflammé et occulté sur le voile, les imprécations confrériques contre le Tome III de l’’’Hgs’’, la foudre qui tombe sur la tête des citoyens, les inondations et le risque des maladies tropicales... le pays est à un point de passage très critique, pour dire le moins.
L’inconséquence de nos dirigeants combinée à notre passivité agissante (contradictoire n’est-ce pas ?) ne pouvait déboucher que sur ces situations de crise où le pays est condamné à revivre, de manière cyclique, et dans une émotivité passagère, les mêmes malheurs sans qu’aucune solution durable ne leur soit apportée. Le drame de l’îlot Sarpan, chavirement d’une embarcation qui a fait 4 morts, a eu lieu malgré les prévisions météo très explicites, rappelant au passage le douloureux souvenir du ‘’Joola’’ qui a eu lieu le même mois. On sait tous (malheureusement) qu’à l’essoufflement de la vaste bulle médiatique, il ne ressortira rien de ce drame, quelles que soient les présentes résolutions prises. Aussi cynique que cela puisse paraitre, on pleure nos morts en sachant qu’on va bientôt s’émouvoir d’un autre drame. Ainsi va le Sénégal.
Sinon, qui va arrêter ce rhéteur épicurien qui décoche allègrement de son carquois des flèches empoisonnées sur Tivaouane ?
OUSMANE LAYE DIOP